Menée par Christopher Moulds, l’équipe de musiciens et de chanteurs offre une superbe réussite musicale, mais la réalisation scénique du spectacle est décevante…
Une fois encore (cela doit bien durer depuis un quart de siècle maintenant…), on est obligé de subir la tyrannie de mises en scènes qui n’ont aucun respect pour les œuvres qu’elles sont censées servir. C’est ainsi que ce Cosi , dont la lecture scénique est signée Benedict Andrews, commence dans une immense chambre d’hôtel sordide où, pendant l’ouverture, Don Alfonso, en T-shirt et cagoule de cuir, avec à ses pieds un godemiché géant, prend des photos d’une prostituée à peine habillée ; cela est d’autant plus gratuit qu’Alfonso revêtira très vite un costume beaucoup plus traditionnel (chemise et costume noirs) jusqu’à la fin de l’opéra. Ce décor (conçu par Magda Willi) servira une bonne partie de l’acte avant d’être remplacé par une voiture garée dans un parking non moins sordide, puis un immense graffiti obscène (un sexe masculin éjaculant) couvrant tout le fond de scène. Viendront ensuite un château gonflable à la Disney et un petit parterre de fleurs. Le fil rouge du décor, incompréhensible, est un matelas posé au sol, qui va parcourir toute l’œuvre et auquel il sera mis feu lors du finale. Les faux turcs se sont métamorphosés en faux baba cools, Gugliemo et Ferrando étant partis à la guerre en treillis militaire. Les costumes des deux sœurs (signés Victoria Behr) frisent la vulgarité, ce qui somme toute est en accord avec les gestes et attitudes imposés par la mise en scène.
Heureusement que la musique est là pour nous faire oublier tout cela. Et de ce côté-là, nous sommes comblés.
Dorabella est chantée par la mezzo suédoise Avery Amereau. On retient de très beaux moments tels l’air du premier acte « Smanie implacabili », tout en nuances, même si la voix manque parfois de puissance. È amore un ladroncello » est également abordé avec beaucoup de grâce.
La soprano ukrainienne Olga Kulchynska, qu’on avait pu applaudir à Paris dans Rosine en 2018, incarne Fiordiligi. Le rondo du deuxième acte « Per pietà, ben mio, perdona » est par moments des plus bouleversants. La maîtrise du chant, entre pianissimo et forte, est parfaite, d’autant que la chanteuse est superbement accompagnée par l’orchestre.
Les duos entre les deux sœurs sont vocalement magnifiques mais on a souvent du mal à y adhérer tant ce qui se déroule sous nos yeux est visuellement laid. Le constat est d’ailleurs le même pour les duos d’hommes. Comment savourer pleinement un chant quand on voit Ferrando et Guglielmo assis par terre avec un godemiché géant ?
Guglielmo est interprété par le baryton canadien Joshua Hopkins ; son air « Non siate ritrosi » est magnifique, la voix puissante et juste. « Donne mie, la fate a tanti » constitue une splendide leçon de chant, malgré un tempo un peu lent.
Daniel Behle chante le rôle de Ferrando. Même si la voix est belle, elle montre parfois certaines faiblesses (« Tradito, schernito »), mais peut-être sont-elles imputables au jeu d’acteur qu’on demande à l’interprète. En revanche, l’air « Un’ aura amorosa » fait partie des très grands moments de la soirée.
Sandrine Piau est une formidable Despina, tant dans son rôle principal de soubrette que dans ceux de faux médecin ou faux notaire. La voir minauder en chantant son air du premier acte « In uomini, in soldati sperare fedeltà » est un vrai régal. Elle aborde ce rôle qui lui colle à la peau avec une facilité et un naturel déconcertants. La voix est nette, cristalline, puissante et la chanteuse orne son chant de vocalises rarement entendues (sauf peut-être chez Bartoli). Mais c’est au deuxième acte, avec « Una donna a quindici anni », qu’elle se montre encore plus extraordinaire, ajoutant à la page un brin de suavité tout à fait réussi.
L’immense Thomas Hampson, avec Sandrine Piau, est la vedette de cette soirée. Comme depuis tant d’années, il vit à fond son personnage, en s’adressant souvent directement au public. À chacune de ses apparitions, son jeu de scène et sa voix superbement maîtrisée nous laissent béats d’admiration: c’est juste un bonheur de l’entendre chanter avec naturel et tant de facilité après tant d’années . Son monologue « Tutti accusan le donne, ed io le scuso » est ainsi extraordinaire de malice.
Les chœurs, admirables de précision, notamment dans « Bella vita militar » sont placés sur les deux loges d’avant-scène.
La direction musicale de Christopher Moulds se distingue notamment dans les ensembles vocaux, parfaitement maîtrisés. Ainsi le sextuor « Alla bella Despinetta », le trio « Soave sia il vento » bien qu’inhabituellement lent, sont des plus réussis. Le finale du premier acte entre tous les protagonistes nous emmène vers des sommets d’équilibre entre voix et orchestre et emporte l’adhésion d’une salle conquise. L’orchestre, d’une manière générale, fut magnifique à tous points de vue, à commencer par tous les pupitres de vents. Les tempi, souvent volontairement rapides, sont d’une formidable précision. Le chef recevra lors des saluts une ovation plus que méritée.
Une superbe réussite musicale, qui fait regretter que le spectacle n’ait pas été donné en version de concert.
Fiordiligi : Olga Kulchynska
Dorabella : Avery Amereau
Guilelmo : Joshua Hopkins
Ferrando : Daniel Behle
Despina : Sandrine Piau
Don Alfonso : Thomas Hampson
Bayerisches Staatsorchester, dir. Christopher Moulds
Choeur du Bayerische Staatsoper, dir. Franz Obermair
Mise en scène : Benedict Andrews
Décors : Magda Willi
Costumes : Victoria Behr
Lumières : Mark Van Denesse
Dramaturgie : Katja Leclerc
Così fan tutte
Dramma giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo da Ponte, créé au Burgtheater à Vienne le 26 janvier 1790.
Opéra de Munich, représentation du samedi 5 juillet 2025.