Venue du théâtre de Kiel, cette remarquable production du chef-d’œuvre de Saint-Saëns convainc pleinement par une lecture abstraite et stylisée, qui laisse la part belle à la danse.
Si l’action se situe à Gaza, le metteur en scène Immo Karaman choisit la carte minimaliste et les oppositions chromatiques pour distinguer les deux groupes de l’intrigue. Sur le plateau, une immense bande blanche (écho à la bande de Gaza ?) sur laquelle sont projetées des images également abstraites, quelques chaises, une table, des armoires, complètent le décor ; des costumes blancs pour les Philistins, noirs pour les hébreux, mais sexuellement indifférenciés, tous portant vestes et pantalons, de même pour les danseurs qui, hommes et femmes, portent des robes. La chorégraphie tantôt volubile, tantôt langoureuse de Fabian Posca, qui signe également les costumes, s’intègre parfaitement au drame comme pour mieux souligner la faconde des personnages. Au décor simple mais figé répondent ainsi les corps mouvants des danseurs, dont l’esthétique orientalisante à la derviche-tourneur rappelle l’ancrage géographique de l’intrigue. Pour une fois, et c’est tant mieux, le regietheater d’outre-Rhin évite les poncifs d’une transposition contemporaine, tentante mais attendue, et finalement théâtralement inefficace.
Il faut saluer une distribution splendide et sans faille qui nous réserve même quelques surprises. Dans le rôle-titre, Florian Laconi, qui sort d’un éprouvant Sigurd marseillais, assure sa partie avec la vaillance et la rigueur nécessaires, malgré ici ou là quelques légers problèmes de justesse. Après son triomphe avignonnais, Marie Gautrot est une Dalila impériale, constamment habitée par le personnage qu’elle pare d’un timbre aux riches harmoniques, à la projection sans faille et à la diction impeccable (superbe « Printemps qui commence », tout comme le fameux « Mon cœur s’ouvre à ta voix » auquel répond un Samson qu’on eût souhaité plus lyrique). Très belle prestation de Philippe-Nicolas Martin, dans le rôle du grand prêtre de Dagon, qui rend enfin pleinement justice à un timbre solide, charnu et d’une grande aisance. Dans sa brève intervention au début du premier acte, le satrape de Gaza Alexandre Baldo révèle une belle présence scénique, héritée de sa riche expérience de « baroqueux » et dont l’ironie pleine de sarcasme est magnifiée par un timbre de baryton-basse qui se bonifie d’année en année. L’une des révélations de cette production est sans conteste le vieillard hébreu de Louis Morvan, déjà remarqué par Stéphane Lelièvre lors de la demi-finale « Voix nouvelles » à l’Opéra de Massy en juin 2023 : une rare basse profonde qui a littéralement percé l’espace volumineux du Grand Théâtre ; un immense talent qu’il faudra suivre de très près.
Opéra-oratorio oblige, les chœurs sont très présents ; fort bien dirigé par Laurent Touche, le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire saisit par son homogénéité et sa riche sonorité lors de ses nombreuses interventions, en particulier dans le premier acte. Dans la fosse, l’excellent Guillaume Tourniaire, spécialiste de ce répertoire (il a signé un très réussi Ascanio du même Saint-Saëns et une excellente Sorcière d’Erlanger, tous deux pour le label B-Records), à la tête de l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, dirige avec précision et ferveur une partition mouvante dans ses tempi, plus modérés au premier acte, atteignant un impressionnant climax à la fin du deuxième, lorsque Dalila brandit la longue chevelure de Samson, dans une tension dramatique qui ne cesse qu’à la fin du dernier acte. Une très belle réussite.
Samson : Florian Laconi
Dalila : Marie Gautrot
Le grand prêtre de Dagon : Philippe-Nicolas Martin
Abimélech, satrape de Gaza : Alexandre Baldo
Le vieillard hébreu : Louis Morvan
Un messager Philistin : Corentin Backès
Premier Philistin : Frédéric Bayle
Deuxième Philistin : Christophe De Biase
Danseurs : Romane Christin, Bettina Fitsche, Élodie Lavoignat, Anja Straubbhar, Juliette Malala Tardif, Victor Bouaziz-Viallet, Yon Costes, Pierre D’Haveloose, Rudolf Giglberger, Denis Lamaj
Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire : dir. Guillaume Tourniaire
Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire : dir. Laurent Touche
Mise en scène, scénographie : Immo Karaman
Costumes, chorégraphie : Fabian Posca
Reprise lumières : Pascal Noël
Maquillage et coiffure : Corinne Tasso
Régie de production : Elsa Ragon
Chefs de chant : Catherine Garonne, Landry Chosson
Samson et Dalila
Opéra en trois actes et un prologue de Camille Saint-Saëns, livret de Ferdinand Lemaire, créé le 2 décembre 1877 au théâtre de la Cour grand-ducale de Weimar.
Grand Théâtre Massenet de Saint-Étienne, représentation du dimanche 11 mai 2025.
2 commentaires
Passé le premier quart d’heure de surprise face aux choix esthétiques pris pour la mise en scène de ce spectacle, j’ai fini par m’ennuyer ferme avec ce pseudo drame en noir et blanc sur papier glacé façon magazines de mode et de décoration pour bobos branchés.
Et c’est vrai qu’on ne nous épargne rien en matière d’habillages/déshabillages de fringues plus que banales, l’inutile ballet des cintres en sus.
Et que penser de l’alcôve de la belle Dalila réduite à la grisaille d’un maigre mobilier passe-partout.
Pas étonnant que les « deux amoureux » aient l’air de s’y ennuyer fort, Samson, un peu godiche, condamné à rester un long moment, assis en tailleur, au beau milieu de cette horrible table aussi grise que le pont de Kiel en hiver ! Comment être convaincant (Dalila, je t’aime !) dans de telles conditions ?
Ratée donc, cette fin de l’acte II – et ce d’autant plus que Dalila brandit la longue chevelure de son amant, ce qui n’existe pas dans le livret car il faut attendre l’acte III pour comprendre ce qui s’est passé.
Il ne s’agit pas pour autant, à l’inverse, de tomber dans des excès hollywoodiens façon péplum à la Cecil B. DeMille (film de 1949), mais quand donc a-t-on pu vibrer au souffle épique de ce drame ?
Jamais selon moi, sauf peut-être au niveau des chœurs remarquables – et du chef d’orchestre – qui se rappellent que Saint-Saëns voulait à l’origine composer un oratorio sur cette histoire du Livre des Juges.
Quant aux deux rôles titres, Elle, elle est incompréhensible bien que de langue française, et Lui, il est desservi par un vibrato fort désagréable.
Reste la sublime musique de notre amoureux fou de l’Orient ; et ça, ce fût un vrai régal, l’orchestre et son chef étant là – vraiment à la hauteur.
(Spectacle vu le dimanche 11 mai)
Complètement d’accord avec Jean Paul Kan, et nous ne sommes pas seuls, hélas à n’avoir pas apprécié cet opéra sauf la musique,, le choeur et les chefs ! Quel dommage.