Mrs Higgins : Penelope Wilton
Freddy Eynsford-Hill : Laurence Kilsby
Eliza Doolittle : Scarlett Strallen
Higgins : Jamie Parker
Alfred Doolittle : Alun Armstrong
Pickering :Malcolm Sinclair
La gouvernante : Julia McKenzie
Sinfonia of London, dir. John Wilson
My fair Lady
Comédie musicale de Frederick Loewe, livret d’Alan Jay Lerner, créée au Mark Hellinger Theatre de Broadway le
2 CD Chandos, septembre 2025.
Vous n’aimez pas la comédie musicale américaine ? Disons-le tout net, vous avez tort. A son apogée, le genre produisit des chefs-d’œuvre comparables aux plus belles réussites de l’opérette européenne, et lui succéda tout naturellement quand celle-ci devint incapable de se renouveler pour survivre. Les maisons d’opéra du monde entier programment désormais Candide de Bernstein, quand ce n’est pas West Side Story, et même la France, longtemps réfractaire, propose à présent des productions marquantes : à Toulon, bien sûr, où l’on put voir plusieurs titres en création française, et plusieurs salles parisiennes rivalisent désormais pour offrir au public les fleurons de ce répertoire, et pas seulement au moment des fêtes de fin d’année.
Bref, vous n’y échapperez pas. Mais cherchons d’autres raisons encore qui pourraient retenir votre attention dans ce tout nouvel enregistrement de My Fair Lady. Vous êtes fan de Downton Abbey ? Alors vous serez ravi d’entendre Penelope Wilton, l’interprète de Mrs Crawley, rivale puis amie de Maggie Smith dans la célèbre série, qui campe ici le rôle (non chanté) de Mrs Higgins. Vous n’aimez que les voix d’opéra ? Alors comment pourriez-vous résister à celui qui a été choisi pour incarner Freddy Eynsford-Hill, le jeune premier qu’incarnait (sans le chanter) dans le film Jeremy Brett, illustre Sherlock Holmes de la BBC ? Il s’agit en effet ici de Laurence Kilsby, véritable héros des différents opéras de Rameau qui furent donnés à Paris au cours de la saison dernière, et qu’on put admirer dans Ariodante à l’Opéra du Rhin. Sa voix de ténor léger fait merveille dans ce qui est peut-être le plus bel air de la partition, « On the Street where You Live », qui n’a rien à envier à « Dein is mein ganzes Herz », par exemple.
Franz Lehár fut d’ailleurs l’un de ceux qui envisagèrent dès les années 1920 de tirer un spectacle musical du Pygmalion de Bernard Shaw, mais après bien des tentatives sans suite, c’est Frederick Loewe (né Fritz Löwe à Berlin en 1901) qui surmonta tous les obstacles, avec l’aide du librettiste Alan Jay Lerner, lui-même aidé par le scénario tiré de la pièce en 1938 par le Hongrois Gabriel Pascal. Bien sûr, les airs qu’il composa furent orchestrés et adaptés par d’autres pour la création à Broadway en 1956. C’est d’ailleurs l’une des plus-values qu’apporte l’intégrale Chandos : le scrupule musicologique qui prévaut pour les œuvres « savantes » est ici appliqué à cette partition « légère », ce qui nous vaut un enregistrement ultra-complet, avec morceaux coupés avant la première et musiques d’entracte composées pour les besoins des changements de décor (on entend ainsi notamment la première version de la musique du bal à l’ambassade, qui lorgne sur La Valse de Ravel, utilisée dans les premières minutes du film de George Cukor pour la sortie des spectateurs de Covent Garden).
Bien sûr, il est difficile de succéder à Julie Andrews, ou à Marni Nixon, qui prêta sa voix en 1964 à Audrey Hepburn : excellente actrice, Scarlett Strallen a toute la gouaille de la marchande de fleurs, puis la distinction acquise pour se faire accepter par la haute société, mais on pourrait souhaiter un timbre un rien plus juvénile. Jamie Parker est un Higgins de haute volée, qui parle plus qu’il ne chante, admirablement un rôle prévu d’emblée pour ne pas être chanté. Alun Armstrong est un Alfred Doolittle plus cockney que nature, Malcolm Sinclair ne joue pas, il est le colonel Pickering, et Julia McKenzie est parfaite en gouvernante du professeur Higgins. Le tout sous la baguette subtile de John Wilson qui, à la tête du Sinfonia of London, renoue avec la réussite de ses précédentes intégrales pour Chandos, Carousel et Oklahoma ! de Rodgers & Hammerstein.