Édito de mars – « Komm, Hoffnung ! » : l’espoir, de nouveau ?

Ce n’est un secret pour personne : le monde de l’opéra va mal. La situation financière de plusieurs théâtres est préoccupante, et a contraint certains d’entre eux à revoir leur programmation à la baisse (l’Opéra du Rhin, l’Opéra de Rouen ont ainsi annulé plusieurs productions qui avaient été prévues) ou à proposer des saisons moins riches que par le passé. Et c’est peu de dire que le taux de fréquentation des salles est loin de renouer avec les fastes de l’avant-Covid. Se rappelle-t-on qu’il y a encore deux ou trois ans, si l’on ne réservait pas ses billets dès le jour d’ouverture des locations, il était quasi impossible d’obtenir une place pour l’Opéra de Paris pour quelque spectacle que ce soit, à l’exception peut-être des œuvres des XXe, XXIe siècles et des créations ? Au lieu de quoi la première scène nationale a été contrainte de brader récemment des milliers de places, y compris pour des œuvres habituellement extrêmement courues…

À cela, sans doute, plusieurs raisons :

  • Contrairement à ce qu’on pouvait espérer, la pandémie a plus ou moins déshabitué le public aux sorties culturelles auxquelles il tenait il n’y a guère. La frustration engendrée par l’obligation de rester chez soi et/ou la crainte de tomber malade en fréquentant des lieux publics n’a pas entraîné, une fois les confinements terminés, le retour massif du public dans les salles de spectacles.
  • Le prix des places, encore et toujours. La vitesse avec laquelle les places bradées par l’Opéra de Paris ont disparu en est un signe : nous avons atteint un niveau de prix bien trop élevé et parfaitement rédhibitoire, y compris pour le public aisé. Près de 300 euros la place de première catégorie pour les spectacles de certains festivals européens, est-ce bien raisonnable ?…
  • Ce à quoi il faut peut-être ajouter une vraie lassitude du public face à certaines propositions scéniques faisant systématiquement le choix de la laideur, ou de l’absolu hiatus entre la dramaturgie et ce que disent le livret et la musique. Une lassitude qui gagne non seulement le public mais aussi certains artistes : Jonas Kaufmann s’en est fait récemment l’écho sur les réseaux sociaux, et Philippe Jordan a déclaré vouloir diriger de moins en moins d’opéras en versions scéniques, expliquant « ne plus voir l’unité entre la musique et la scène à l’opéra[1]».

Doit-on pour autant se désespérer et se résigner à voir s’éteindre l’opéra à petit feu ? Peut-être pas, et plusieurs signes encourageants viennent contrebalancer ce tableau bien morose… 
Le public vient peut-être moins à l’Opéra, mais il a aussi et surtout changé ses habitudes de réservation, comme nous l’ont récemment expliqué plusieurs directeurs de théâtres. Les abonnements et les réservations effectuées des mois à l’avance sont certes en nette perte de vitesse ; en revanche, nombreux sont les spectateurs qui se décident à aller au concert, au théâtre ou à l’opéra au dernier moment, et l’on observe tout récemment que les salles se remplissent bel et bien… mais plutôt au dernier moment, dans les quelques jours précédant la représentation. Ainsi les derniers spectacles auxquelles il nous a été donné d’assister (notamment Lucie de Lammermoor à Tours, ou Lucia à Nice ou Paris) ont-ils fait salle comble (ou quasi), et des œuvres bien moins courues (telle la Zaïde mozartienne proposée par Rennes, Nantes et Angers) affichent également complet. Quant au merveilleux Songe d’une nuit d’été de Britten vu par Robert Carsen, repris récemment par l’Opéra de Rouen et présenté lui aussi devant une salle comble, il a déchaîné dans le public (étonnamment jeune !) un enthousiasme qui fait chaud au cœur – et qui prouve que les spectateurs ne demandent qu’à être de nouveau émus, touchés, émerveillés, amusés, bouleversés par la poésie, le drame, la musique. Et s’il suffisait tout simplement, pour entretenir la flamme, de faire au public des propositions artistiques adéquates, à des prix raisonnables ?…

L’optimisme est donc permis, et nous voulons, en cette fin d’hiver particulièrement morose, chanter avec la Leonore de Fidelio le retour de l’espoir : « Komm, Hoffnung, lass den letzten Stern /
[…] nicht erbleichen!
 » : « Viens, espérance, ne laisse pas s’éteindre la dernière étoile ! ».

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[1] https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/l-invite-du-jour/philippe-jordan-je-ne-vois-plus-l-unite-entre-la-musique-et-la-scene-a-l-opera-8503515

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Fidelio : « Abscheulicher ! Komm, Hoffnung… » (Karita Mattila, Metropolitan Opera, 2000)