I puritani, Crémone, samedi 6 décembre 2025
La production d’ I puritani de OperaLombardia relève, avec de jeunes interprètes, un vrai défi : celui de s’attaquer à un titre ardu, tant pour l’interprétation vocale que pour la lecture scénique. La direction de Sieva Borzak et l’Elvira convaincante de Maria Luisa Iacobellis y brillent tout particulièrement ; et Valerio Borgioni se montre courageux en Arturo. La mise en scène de Daniele Menghini transpose l’intrigue dans le fanatisme religieux américain, avec des résultats audacieux et quelques surprises qui secouent le public.
Qu’ I puritani n’ait pas été donnés à La Scala pendant cinquante-cinq ans n’est pas une simple donnée statistique : c’est aussi un signe révélateur de la difficulté à monter un opéra qui peut faire des victimes parmi ses interprètes ! Pourtant, tandis qu’à Milan l’opéra de Bellini sommeille dans les archives, ailleurs dans le monde les productions de qualité ne se comptent plus. En cette seule année 2026, que le cygne catanais prendra son envol pour de New York, Budapest, Londres, Turin… et Catane.
Affrontant sans trembler une tâche qui met en difficulté des théâtres bien plus prestigieux, le circuit OperaLombardia — Côme, Pavie, Crémone — décide aujourd’hui de relever le défi avec une équipe de jeunes : chanteurs, chef d’orchestre, metteur en scène. Dans la fosse, face à l’Orchestra I Pomeriggi Musicali, un chef italo-russe de vingt-huit ans à la baguette déjà assurée : Sieva Borzak. Sa lecture de la partition est passionnée et finement calibrée : lyrisme et suspensions belcantistes cohabitent, sans à-coups, avec les tensions romantiques les plus sombres, produisant des couleurs finement ciselées, des clair-obscurs vivants, des dynamiques fortes et quelques instants de vitalité brillante. Les tempi, toujours justes, ne mettent jamais les chanteurs en difficulté. Pour venir en aide aux jeunes interprètes, Borzak introduit quelques coupures et abaissements de tonalité. Des mesures de bon sens, non arbitraires. Si nous n’entendons pas ici une version « critique », du moins le dernier chant du cygne bellinien est ici restitué de façon pleinement satisfaisante.
Les interprètes des rôles d’Elvira et d’Arturo, sommets de l’écriture belcantiste bellinienne, sortent tous deux indemnes de l’épreuve, avec une mention spéciale pour Maria Luisa Iacobellis, chanteuse dotée d’une belle voix, d’une technique solide et d’une agilité assurée. Les aigus, bien que légèrement raides, sont lumineux ; le phrasé est net, sculpté, et la diction très claire. C’est ainsi qu’elle construit une Elvira intense, dramatique sans maniérisme, notamment dans les périlleuses scènes de folie. Son jeu scénique réussit à rendre avec naturel toutes les oscillations émotionnelles du personnage.
Valerio Borgioni — le Nemorino turinois de la saison passée dans le second casting — fait preuve d’une belle témérité en affrontant Arturo, un rôle qui fait trembler même les ténors les plus aguerris. Certes, quelques adaptations ont été nécessaires, surtout à l’approche du fameux contre-fa : mais qui, avec le diapason actuel rendant cette tessiture encore plus impitoyable, peut aujourd’hui accomplir le miracle de rendre justice à cette partition ? Dans quelques mois, à Turin, ce sera au tour de John Osborn de s’y confronter: attendons… En attendant, Borgioni montre une bonne technique, une diction excellente, une présence scénique généreuse et atteint les aigus, bien qu’avec une certaine appréhension, mais avec une détermination admirable.
Pleine satisfaction également avec Roberto Lorenzi, un Giorgio à la voix veloutée, de grande projection au legato impeccable. Il redonne au personnage sa noblesse, rachetant son intransigeance par un chant plein et une présence scénique autoritaire. Sunu Sun est un Riccardo bien conduit et nuancé, même s’il n’est pas toujours incisif dans l’expression. Brèves mais intenses sont les interventions de Benedetta Mazzetto en tant qu’Enrichetta de France. Le chœur OperaLombardia, dirigé par Massimo Fiocchi Malaspina, se distingue par sa cohésion et sa précision.
La difficulté des I puritani ne réside pas seulement dans les aigus assassins et les agilités pyrotechniques, mais aussi dans le livret, qui progresse par à-coup, contradictions, approximations narratives. Le livret de Carlo Pepoli ressemble plus à un collage d’épisodes qu’à une action dramatiquement cohérente ; les personnages, souvent réduits à des fonctions vocales, semblent destinés à exalter la dimension abstraite du chant plutôt qu’à construire une dramaturgie réelle. Un défi considérable pour tout metteur en scène. Daniele Menghini décide de l’affronter avec une solution radicale : un double plan temporel qui transporte l’intrigue à nos jours, transplantant le puritanisme dans celui de la droite religieuse américaine contemporaine. Le résultat ? Costards et cravates, Bible à la main, un arsenal d’armes digne d’un film d’action, et une communauté fermée, identitaire, qui punit violemment quiconque s’écarte des diktats du dogme.
Dans cet environnement étouffant, la folie d’Elvira prend la valeur d’une libération. Même le décor — imaginé par Davide Signorini, avec les costumes de Nika Campisi et les lumières de Gianni Bertoli — s’allège progressivement jusqu’à l’épisode du gâteau de mariage, symbole à la fois ironique et onirique. Arturo, pour sceller la réunion, tend un ours en peluche, geste ayant déclenché quelques rires dans le public – assez âgé – de l’après-midi.
Très différent fut l’effet suscité par la fin de l’acte II : le retentissant « Suoni la tromba intrepido », au lieu de célébrer l’héroïsme patriotique, accompagne le brutal passage à tabac d’un dissident, puis son exécution par une balle tirée par le “bon” Giorgio. Un choix scénique qui a laissé plus d’un spectateur choqué.
Quelques détails symboliques un peu audacieux ou quelques naïvetés affleurent ici ou là, mais la mise en scène de Menghini révèle des qualités indéniables : la direction des mouvements du chœur, toujours précise et sûre ; la richesse des idées avec lesquelles il clarifie, souvent avec une efficacité surprenante, les nœuds de l’intrigue ; le soin apporté au jeu d’acteur. Tout contribue à faire de Daniele Menghini l’un des plus intéressants metteurs en scène italiens de la nouvelle génération.
Lord Arturo Talbo : Valerio Borgioni
Elvira : Maria Laura Iacobellis
Sir Giorgio : Roberto Lorenzi
Enrichetta :Benedetta Mazzetto
Lord Gualtiero Valton : Gabriele Valescchi
Sir Riccardo : Sunu Sun
Sir Bruno Roberton : Enrico Basso (sur scène)/ Ermes Nizzardo (voix)
Orchestre I Pomeriggi Musicali, chœur OperaLombardia (chef de chœur : Massimo Fiocchi Malaspina), dir. Sieva Borzak
Mise en scène : Daniele Menghini
Décors : Davide Signorini
Costumes : Nika Campisi
Lumières : Gianni Bertoli
Nouvelle production, coproduction des Teatri di OperaLombardia
I puritani
Opera seria en trois parties de Vincenzo Bellini, livret de Carlo Pepoli, créé au Théâtre Italien de Paris le 24 janvier 1835.
Crémone, représentation du samedi 6 décembre 2025.

