Gioachino Rossini, Petite Messe solennelle – Château de Fontainebleau, Salle de Bal, dimanche 12 octobre 2025
C’est dans la somptueuse Salle de Bal du Château de Fontainebleau, en cette magnifique après-midi d’automne, que Thomas Hengelbrock et le Balthasar Neumann Chor ont offert, le 12 octobre 2025, une interprétation rare et inspirée de la Petite Messe solennelle de Rossini. Le cadre, d’une incroyable beauté, conjugue le faste décoratif du lieu à une acoustique étonnamment claire, favorisant à la fois intimité et précision.
Un chef en résidence, un répertoire inédit
Thomas Hengelbrock poursuit à Fontainebleau une résidence féconde, consacrée à la redécouverte de répertoires dans une approche historiquement informée. S’il est encore peu familier de l’univers rossinien, le chef allemand, plus souvent associé à la musique baroque et classique, y a apporté son exigence stylistique et sa curiosité intellectuelle. Fidèle à son goût pour les configurations authentiques, il propose ici la version « originale » de 1864 : un piano, un harmonium, quatre solistes et un chœur.
L’équilibre de cette soirée repose notamment sur un chœur d’une trentaine de chanteurs – un effectif plus important que celui prévu par Rossini, mais d’une homogénéité et d’une cohésion remarquables. Le Balthasar Neumann Chor, fidèle à sa réputation, a offert une prestation d’une grande finesse, conjuguant précision rythmique, clarté du texte et profondeur expressive. Les attaques dans le Christe eleison sont éblouissantes : droites, lumineuses, mais jamais dures.
Une œuvre entre ferveur et élégance
Composée en 1863, la Petite Messe solennelle marque pour Rossini un retour à la musique sacrée, mêlant l’esprit du bel canto à une ferveur intime parfois presque méditative. Hengelbrock en a choisi la version sans le O salutaris Hostia, et intégrant le solo d’harmonium du Prélude religieux.
La direction de Hengelbrock, souple et précise, tire l’œuvre vers la lumière et la transparence, révélant la subtilité contrapuntique du Cum Sancto Spiritu, véritable fusion entre Bach et Rossini : élégante, spirituelle, et d’une originalité joyeuse saisissante.
Le Credo fut un sommet d’équilibre et de tension dramatique : tous les interprètes y déployèrent des contrastes et des nuances d’une beauté impressionnante, faisant ressortir la densité expressive du texte sans jamais perdre la fluidité du discours musical.
Le Crucifixus d’Emy Gazeilles s’impose comme l’un des moments les plus marquants de la soirée : une interprétation d’une intelligence et d’un style remarquables, alliant intensité intérieure et raffinement vocal.
Le Benedictus, quant à lui, illustre magnifiquement la complémentarité entre le chœur et les solistes, dans un dialogue d’une grâce et d’une délicatesse exemplaires.
Enfin, la messe s’achève sur un Agnus Dei poignant, porté par Eva Zaïcik (un peu sur la retenue en début de concert), qui trouve dans cette ultime prière la plénitude de son timbre et une force expressive bouleversante.
Des solistes jeunes et inspirés
Les quatre solistes, tous jeunes et talentueux, formaient un quatuor d’une cohérence exemplaire. Outre les déjà citées Eva Zaïcik, mezzo au timbre chaleureux et intense, et Emy Gazeilles (laquelle fait preuve d’une expressivité rare, d’un sens du style impeccable et d’une compréhension profonde du texte musical) déjà citées, le distribution comportait également Moritz Kallenberg, ténor élégant et lumineux, faisant valoir un sens de la ligne admirable, alliant pureté et émotion, et la basse Guilhem Worms. Ce dernier se remettait d’une indisposition, qui n’a guère laissé de traces sur ses moyens vocaux : tout juste remarquait-on un panel de nuances peut-être un peu plus restreint qu’à l’accoutumée, mais cela n’altéra nullement la présence et la musicalité de son chant, porté par un timbre d’une noblesse indéniable, qui impressionne par la profondeur de ses graves.
Les artisans du clavier
Il faut aussi saluer la contribution essentielle des deux accompagnateurs, Andreas Küppers au piano et Christophe Henry à l’harmonium.
Le premier, souple et attentif, a su donner au piano la clarté et la vitalité nécessaires sans jamais dominer les voix, restituant la ligne rossinienne avec énergie.
Le second, à l’harmonium, a apporté une couleur inspirée, notamment dans le solo du Prélude religieux, où sa sensibilité et son contrôle des timbres ont créé un climat de recueillement et de mystère dans ce moment liturgique suspendu de l’offertoire.
Une communion musicale rare
Au-delà de la qualité individuelle, c’est l’extrême engagement collectif qui marque ce concert et la liaison évidente entre Hengelbrock, ses choristes et ses solistes.
Un concert d’une exceptionnelle tenue musicale, à la fois lumineux et profond. On a hâte d’entendre la suite de la saison 2025-2026 dans ce cadre privilégié !
Cette Petite Messe solennelle est donnée avec les mêmes interprètes ce soir, mardi 14 octobre à l’Elbphilharmonie de Hambourg.
Emy Gazeilles, soprano
Eva Zaïcik, mezzo-soprano
Moritz Kallenberg, ténor
Guilhem Worms, basse
Chœur Balthasar Neumann
Andreas Küppers, piano / Christophe Henry, harmonium
Direction musicale, Thomas Hengelbrock
Rossini, Petite messe solennelle
Concert donné le dimanche 12 octobre 2025 au Château de Fontainebleau