Souvent beaucoup plus charnelle, incarnée et moins sujette à la folie que sa consœur la soprano, la mezzo elle, se voit souvent attribuer des rôles de vamp (Dalila), de matrone (Herodias), de sauveuse (Niklausse), d’épouse plus flirt que volage (Zerlina)… de vraies femmes éloignées des souveraines, magiciennes, sorcières, héroïnes éthérées auxquelles les sopranos sont presque « condamnées ». Mais heureusement certains répertoires propres aux mezzos floutent cette ligne de distinction et offrent à ces dernières des rôles ou cycles de chant plus mystérieux. C’est dans ce répertoire que Marianne Crebassa fait ses débuts dans la salle chaleureuse de l’Athénée-Louis Jouvet.
Pour son premier passage à l’Athénée-Louis Jouvet, la mezzo-soprano Marianne Crebassa, en collaboration avec Alfonse Cemin, a choisi pour ce récital un programme généreux et ambitieux. Non pas en technicité mais en émotion. A l’érotisme diffus des Chansons de Bilitis de Debussy, succède le vague à l’âme désespéré des « Kindertotenlieder » de Mahler. Puis le cycle du Combat du rêve par Federico Mompou vient introduire langueur et rêve, avant que Ravel ne vienne clôturer la soirée avec ces Cinq mélodies populaires grecques aux tons plus légers.
Débute donc la musique de Debussy, mélodies envoûtantes des Trois chansons de Bilitis, où « le tombeau des naïades » vient imposer un point d’orgue à la voix de Crebassa, et où la tension des morceaux se relâche et le caractère « flottant » des airs se dissout. La musique donne l’atmosphère propre à la soirée : intime et presque feutrée grâce à l’accompagnement attentif et élégant d’Alfonse Cemin tout au long du récital.
Cemin prend la relève avec le doux et évanescent « La fille aux cheveux de lin », presque trop chaleureux avant la tristesse résignée des « Kindertotenlieder » de Mahler, où la tonalité grave sied à merveille à Crebassa qui prend à son compte le chagrin de F. Rückert avec un vibrato intense et expressif.
« Bruyères » de Debussy permet de sortir le public de la mélancolie ambiante, et de l’emmener vers quelque chose de plus difficile à saisir : le « Combat del somni » de Federico Mompou où le très beau « Damunt de tu només les flors » émerge grâce au timbre sensible de Crebassa, dont la chaleur met en avant le ton à la fois nostalgique et trouble du cycle, où les notes sonnent comme des questions non résolues. Avec beaucoup de talent la chanteuse nage dans cet entre-deux, sans jamais s’abandonner d’un côté ou de l’autre, et maintient avec élégance toute l’ambiguïté de la partition.
Venant donner un petit soubresaut à l’humeur du public, Crebassa et Cemin finissent le récital par les Cinq mélodies populaires grecques de Ravel.
Si la jeune mezzo procure beaucoup d’émotion grâce à ce vibrato intense qui parfois entache très légèrement sa diction, la projection perd un peu en densité dans les hauteurs, faisant ressortir la difficulté sur certains airs dans les notes les plus hautes de la tessiture. Ainsi « la Chanson des cueilleuses de lentisques » rend un peu de cette difficulté, alors qu’ailleurs les graves plongeants parviennent à faire frémir la salle. Marianne Crebassa finit par un « Tout gai ! » plein d’entrain, rendant un peu de bonne humeur après les chansons tragiques du début.
Généreux, le duo se réunit pour plusieurs rappels dont un extrait de Pelléas et Mélisande de Debussy devant un public conquis qui en aurait bien redemandé encore plus.
Marianne Crebassa, mezzo-soprano
Alfonse Cemin, piano
Claude Debussy
Trois chansons de Bilitis de Pierre Louÿs
1. « La flûte de Pan »
2. « La chevelure »
3. « Le tombeau des Naïades »
Claude Debussy
« La fille aux cheveux de lin » (premier livre de Préludes)
Gustav Mahler
Kindertotenlieder de Friedrich Rückert
Claude Debussy
« Bruyères » (deuxième livre de Préludes)
Federico Mompou, Combat del somni de Josep Janés
1. « Fes-me la vida transparent »
2. « Ara no sé si et veig, encar »
3. « Damunt de tu només les flors »
4. « Aquesta nit un mateix vent »
5. « Jo et pressentia com la mar »
Ravel, Cinq mélodies populaires grecques
1. « Chanson de la mariée »
2. « Là-bas vers l’église »
3. « Quel galant m’est comparable »
4. « Chanson des cueilleuses de lentisques »
5. « Tout gai ! »