Une salle pleine et ravie, la présence de nombreux jeunes, attentifs et intéressés, un beau spectacle, sobre et émouvant, deux chanteurs français de valeur dans les rôles principaux, un accueil on ne peut plus enthousiaste : voilà une soirée qui met du baume au cœur et qui, en cette période quelque peu morose, peut légitimement nous rendre de nouveau optimistes quant à l’avenir de l’opéra.
La réussite de ce spectacle est avant tout celle d’une équipe : nous évoquions, dans notre dernier éditorial, tout le bénéfice que l’on pouvait tirer d’un travail collectif, d’une mise en commun et d’un partage des moyens et des talents. N’est-ce pas un peu ce qui vient de se produire avec cette collaboration fructueuse entre les opéras de Rennes, Nantes et Angers, autour d’un spectacle invité (il a été créé au Maggio Musicale de Florence), et selon une démarche qui avait déjà été mise en œuvre autour du Vaisseau fantôme en 2019 ?
Le spectacle imaginé par Fabio Ceresa correspond tout à fait à la logique du projet, qui souhaite rassembler un public large – incluant des non habitués – autour d’une œuvre phare du répertoire : évitant soigneusement les deux extrêmes que constituent le carton-pâte d’une époque révolue et la relecture absconse difficilement déchiffrable, il fait le choix de la sobriété mais non du dénuement : la scénographie (les décors sont signés Tiziano Santi ) met en valeur de larges panneaux coulissants (isolant habilement certains espaces sur la scène pour mieux focaliser l’attention sur tel ou tel tableau, comme le feraient des plans rapprochés au cinéma), mais aussi une passerelle de bois ouverte sur le vide, ponton où accostent les bateaux des visiteurs de Cio-Cio-San mais également, et même surtout, ouverture vers un au-delà tantôt prometteur, tantôt angoissant (les États-Unis) : une passerelle dont la fonction devrait être de rapprocher et réunir les êtres, les mondes différents, mais qui, in fine, ne fera que confirmer leur inaliénable altérité et leur impossible fusion. La mise en scène réserve ainsi, grâce à ces décors sobres mais signifiants mais aussi un jeu d’acteurs travaillé, quelques moments forts parmi lesquels le duo d’amour du premier acte, où aux volutes du violon (« Vogliatemi bene ») correspondent les caresses de Pinkerton, dont la main suit les courbes que forme le corps de Cio-Cio-San ; ou encore l’attente angoissée de Butterfly agenouillée sur la passerelle, face à l’immensité d’une nuit noire comme l’encre. Notons également les très beaux costumes imaginés par Fiammetta Baldiserri, dont l’éclat tranche habilement sur la simplicité des décors.
Sous la direction inspirée de Rudolph Piehlmayer, mettant au mieux en valeur les subtilités de l’orchestre puccinien sans jamais perdre de vue l’implacable progression du drame, l’Orchestre national des Pays de Loire s’est montré en excellente forme, avec notamment des cordes soyeuses et des cuivres étincelants. Belle participation des chœurs également (Chœur d’Angers Nantes Opéra) : si le « Quanto cielo ! Quanto mar ! » du premier acte cueille un peu les choristes à froid et manque de velouté, le chœur à bouche fermée du second acte distille toute la poésie et toute la nostalgie attendues.
Prenant appui sur une solide équipe de comprimarii (Kate très crédible de Sophie Belloir, Yamadori bien chantant de Jiwon Song, Goro fourbe et mielleux à souhait de Gregory Bonfatti), la distribution affiche une belle homogénéité. Le Sharpless de Marc Scoffoni, très classe dans son beau costume blanc, fait entendre un chant sobre au service d’une incarnation pleine de retenue. La Suzuki de Manuela Custer est hautement émouvante et fait de la domestique de Cio Cio San bien plus qu’un second rôle : la voix est belle et dispose de beaux graves que la chanteuse ne poitrine qu’avec parcimonie et toujours à bon escient ; et l’actrice se montre extrêmement convaincante, avec notamment un visage on ne peut plus expressif, par exemple au premier acte quand Suzuki semble consternée par les propos de Pinkerton, traitant avec légèreté les coutumes japonaises comme les sentiments sincères de la geisha qu’il épouse ; ou encore lorsque Suzuki écoute le chant de Butterfly (« Un bel di ») plein d’un espoir qu’elle sait parfaitement vain. Sébastien Guèze incarne un Pinkerton finalement plus bête que méchant et convainc dans l’expression de la culpabilité qui le gagne au dernier acte. Il est en ceci en parfait accord avec le livret d’Illica et Giacosa, qui font dire au marin américain, lorsqu’il saisit l’ampleur du drame qu’il a suscité : « Je comprends en un instant toute mon erreur et je sens que mon tourment ne me laissera plus jamais de répit »… Vocalement, le ténor fait preuve de vaillance mais – heureusement – sans excès et sait aussi dispenser ici ou là de belles nuances bienvenues. Anne-Sophie Duprels, enfin, est une Butterfly très émouvante. Habituée du rôle qu’elle a chanté de nombreuses fois et dont elle connaît toutes les facettes, la soprano en possède l’ambitus (l’aigu est facile, même si certaines notes sont esquissées, voire esquivées, comme l’aigu final de la berceuse à l’enfant), le legato nécessaire à « Io seguo il mio destino », « Un bel di » ou « Dormi amor mio », mais aussi les éclats dramatiques qui jalonnent la partition, notamment le « Che tua madre » et bien sûr la scène finale. L’actrice est par ailleurs pleinement convaincante, et l’interprète reçoit un accueil plus que chaleureux au rideau final.
Si vous habitez Rennes ou sa région, rendez-vous à l’Opéra pour l’une des 4 représentations restantes (les 10, 12, 14 et 16 juin). Et si vous n’osez pas (quelle idée !) franchir les portes du théâtre, ne manquez pas la diffusion en direct sur écran géant de la dernière représentation, à Rennes, Nantes et Angers, et dans plus de 40 villes de la région ! (Informations ici)
Cio-Cio-San : Anne-Sophie Duprels
B.F. Pinkerton : Sébastien Guèze
Suzuki : Manuella Custer
Sharpless: Marc Scoffoni
Goro: Gregory Bonfantti
Le Prince Yamadori : Jiwon Song
Kate Pinkerton : Sophie Belloir
Orchestre National des Pays de la Loire, dir. Rudolf Piehlmayer
Mise en scène : Fabio Ceresa
Assistant à la mise en scène : Mattia Agatiello
Décors : Tiziano Santi
Costumes : Tommaso Lagattolla
Lumières : Fiammetta Baldiserri
Chœur d’Angers Nantes Opéra, dir. Xavier Ribes
Madama Butterfly
Tragédie japonaise en trois actes de Giacomo Puccini, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa d’après la pièce de David Belasco Madam Butterfly, basée sur une nouvelle de John Luther Long (1898), créée au Teatro alla Scala, Milan, le 17 février 1904.
Opéra de Rennes, représentation du mercredi 08 juin 2022.