Requiem de Verdi (Terezin), Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, mercredi 5 novembre 2025
Dans l’infinie litanie des atrocités dont l’histoire des camps de concentration et d’extermination nazis est tissée, l’épisode du « Requiem de Terezin » occupe une place singulière. Dans ce camp-ghetto situé à Theresienstadt, en Bohème-Moravie, où quelque 144 000 personnes (en grande partie juifs tchécoslovaques, allemands et autrichiens) furent déportées, un prisonnier du nom de Rafael Schächter, compositeur et chef d’orchestre, obtint l’autorisation d’organiser des concerts avec certains détenus pour le compte de leurs bourreaux et geôliers. À côté d’opéras de Mozart, il montera ainsi la Messa da Requiem de Verdi dans une version écourtée (1 heure au lieu des 1h40 habituelles), où l’orchestre est remplacé par un piano.
Comble du cynisme et de l’horreur : à l’issue de chaque concert, les 120 choristes seront envoyés à Auschwitz pour y être assassinés, les SS obligeant Schächter à recruter d’autres chanteurs pour les concerts suivants… Un ultime Requiem sera donné le 23 juin 1944 lors d’une visite de la Croix-Rouge, pour accréditer la fable d’une vie paisible à Terezin, où les prisonniers peuvent donner libre cours à leur passion pour les arts…
Sous les ors du Grand Amphithéâtre de la Sorbonne et la fresque arcadienne de Puvis de Chavannes, il y avait d’abord quelque chose de déroutant, en cette soirée du 5 novembre, à assister à la reconstitution de ce concert. Mais très vite, la rutilance du cadre s’efface devant l’implication de tous les artistes et la solennité dépouillée de l’événement. Les extraits du livre de Joseph Bor[1] lus avec sobriété par le comédien Antoine David-Calvet, rehaussent la beauté sombre de la musique d’un hymne extraordinaire à la résilience par l’art.
La petite trentaine de chanteuses et chanteurs du Chœur Arthémys, parfaitement mis en place par Cyrille Rault-Gregorio, confèrent à l’œuvre de Verdi toute la puissance qu’elle requiert (Dies Irae) mais aussi toute sa poésie, comme dans ce Lacrimosa déchirant, et toute sa virtuosité dans l’impressionnante fugue finale. On est surpris de voir combien le piano solo de Daniel Propper parvient à restituer l’ampleur et la théâtralité de la partition orchestrale, mettant en relief ses accents les plus opératiques. Les prestations des quatre solistes sont tout aussi impressionnantes, de l’unique intervention du ténor chinois Ping Zhang (l’Ingemisco du Dies Irae), d’une digne intensité, au baryton d’airain de Nicolas Cavallier dans le Confutatis, en passant par l’Agnus dei lumineux de la mezzo belge Florine God, en duo avec la soprano Claire de Monteil. C’est à cette dernière, la plus sollicitée de la soirée, qu’il revient de conclure avec un Libera me bouleversant, tantôt cri et tantôt murmure. Lorsque la musique parvient à son terme, le public a besoin d’un moment avant d’ovationner les acteurs de la soirée.
Et l’on songe aux paroles introductives de Stéphane Lelièvre, à l’origine de ce projet : le Requiem de Terezin est la meilleure réponse apportée aux terribles mots marquant le fronton des camps nazis. Non plus Arbeit macht frei, le travail libère, mais bien Kunst macht frei : l’art libère.
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Le dossier du concert : Programme_Terezin_L.pdf
[1] Le Requiem de Terezin (1963 / Robert Laffont 1966, Éditions du Sonneur 2005)
Claire de Monteil, soprano
Florine God, mezzo-soprano
Ping Zhang, ténor
Nicolas Cavallier, baryton-basse
Antoine David-Calvet, récitant
Daniel Propper, piano
Chœur de chambre Arthémys, dirigé par Cyrille Rault-Gregorio
Giuseppe Verdi, Messa da Requiem (1874)
Reconstitution de la version abrégée pour piano, chœur et quatre solistes réalisée par Rafael Schächter et donnée au camp de concentration de Terezin à trois reprises entre septembre 1943 et juin 1944.
Production de l’Inspé (Institut national supérieur du Professorat et de l’Éducation) de l’Académie de Paris.
Concert du 5 novembre 2025, Grand Amphithéâtre de la Sorbonne.

