Le spectacle L’initiation à la Liberté de l’ensemble La Camera delle Lacrime réunit deux chanteurs-instrumentistes d’horizons très différents, Dalaijargal Daansuren et Bruno Bonhoure, dans la chapelle du Miracle en Avignon.
En clôture du festival de la FEVIS
Le 18 juillet 2025 eut lieu le dernier spectacle du festival Interférences de la FEVIS, fédération des ensembles vocaux et instrumentaux spécialisés et indépendants. Interférences réunissait des concerts-spectacles à la galerie Lambert et à l’Archivolte situé dans la chapelle Notre-Dame-des-Miracles. Si cette chapelle était idéale pour accueillir ce spectacle de musiques médiévales-contemporaines occitanes et mongoles, c’est qu’elle a été construite dans le Moyen Âge tardif avant de se transformer en « scène actuelle » ; et qu’elle a toujours été un lieu de passage où se sont retrouvés religieux et militaires, révolutionnaires et horticulteurs. Le festival de la FEVIS est lui-même inclus dans le Festival « off » d’Avignon, qui à son tour est un satellite du Festival « in ». Nous avons donc eu la joie d’entendre, pendant le mois de juillet, des ensembles bien connus de Première Loge tels que Le Banquet Céleste, Il Buranello et… La Camera delle Lacrime.
Des voix aux multiples couleurs
Les voix de Dalaijargal Daansuren et de Bruno Bonhoure sont bien différentes, et chacune d’elles possède une palette de timbres assez riche. Elles ne fusionnent pas pour offrir un style composite ; chacune d’elles présente au contraire ses caractéristiques propres, le tout formant une pluralité de tonalités qui s’harmonisent.
Dalaijargal Daansuren, originaire de la région du désert de Gobi en Mongolie et résidant actuellement en Allemagne, est capable de réaliser un chant diphonique selon plusieurs techniques ; il nous en explique quelques-unes lors du concert en imitant à la main le placement de la langue dans le palais. Le chant diphonique à une seule voix consiste à exploiter les harmoniques émergeant d’un son de basse. Chez les mongols, ce chant dit khöömi (« pharynx ») peut recourir à une technique nasale, pharyngée, dentale, thoracique, ou encore abdominale…
Bruno Bonhoure est quant à lui un spécialiste des musiques des XIe-XIIIe siècles, notamment occitanes ; il a fondé avec le musicologue Khaï-dong Luong La Camera delle Lacrime qui, pour ce projet, invite l’artiste mongol. Bruno Bonhoure pratique aussi bien la voix ordinaire que la voix de fausset, et trouve des timbres étonnants plus ou moins imitatifs (nous avons cru percevoir une bombarde !). Le tout a cappella ou accompagné, sans artifices technologiques.
Un zig-zag interculturel
Dalaijargal Daansuren se produit tant dans des dispositifs innovants que de façon plus traditionnelle, avec La Camera delle Lacrime mais aussi les groupes Argusan, DEELT Band ou encore la bassoniste Célia Verseils. Il transmet ainsi les traditions ancestrales de la culture nomade mongole tout en s’adaptant aux spécificités des musiques occidentales, au monde du spectacle et à la technologie du son.
De même, Bruno Bonhoure oscille entre la voix des musiques anciennes, héritée de l’ensemble Micrologus dont il fut membre, et la voix folklorique, se revendiquant héritière de la paysannerie aveyronnaise. Ainsi entame-t-il la soirée pas un Dominus en latin s’accompagnant avec une harpe portée au bras et du chant diphonique de son compagnon, suivi de la chanson d’Etienne Daho « Comme un igloo » mêlée à « Ont és passat ? » (« Où es-tu passée ? »). Puis l’ultra basse et la voix médium de Daansuren soutiennent sa vièle à tête de cheval (morin-khuur) dans un duo avec Bonhoure en voix de tête. Les parties musicales sont entrecoupées d’explications organologiques ; par exemple la position des doigts sous la corde du morin-khuur ou l’utilisation des ongles. Divers instruments seront utilisés tels un tambour sur cadre dit chamanique, un gros tambour à mailloche, même les pieds ou des sifflements… dans le conte chanté en occitan « Lo rossinhòl ». Ainsi se poursuit la soirée, mêlant la tradition occitane, le fonds médiéval, le chant des steppes, parfois des mélanges comme le chant Se canta (« s’il chante ») qui se rapproche du mongol Алтайн магтаал (« la montagne »)
Spectacularisation et spiritualisation
Le spectacle s’intitule Initiation à la liberté d’après un tableau du peintre d’ascendance surréaliste Victor Brauner (1903-1966). On y voit un oiseau, symbole de liberté, « nourrissant » un humain ; la dimension initiatique et la simplicité des formes renvoient à des cultures picturales non occidentales. Les chants sortis de leur contexte originel sont bien entendu vidés de leur contenu spirituel, mais celui-ci semble faire son retour par une porte dérobée. Le chanteur franco-occitan est debout, en mouvement, et s’affirme comme le « conducteur », alors que l’artiste mongol reste assis. La mise en scène a été pensée par Khaï-Dong Luong.
Des artistes émouvants
Bien que la cohérence et l’originalité thématique de ce spectacle auraient pu être plus clairement marquées, pour se différencier notamment des autres concerts de ce type par les groupes précités, ce qui ressort est la maturité vocale et instrumentale, l’expérience avérée des artistes pour la mise en spectacle des cultures anciennes et contemporaines, locales et lointaines, l’art de l’écoute mutuelle et de la transmission sur une scène. Le public, entre étonnement et émotion, sérénité et sourire, a découvert des artistes remarquables et captivants. Les applaudissements nourris ont laissé place à une libre discussion sur le parvis, avec les membres du groupe.
Dynamique, La Camera delle Lacrime s’affaire sur de nombreux autres projets, tant de diffusion, de pédagogie que de recherche ; un coup d’œil sur son site internet offre les informations nécessaires pour aller plus loin. Quant à Initiation à la liberté, le spectacle pourra être vu à Clermont-Ferrand le 21 septembre 2025. Signalons également que la soirée du 18 juillet a été filmée en vue de produire un teaser.
Initiation à la liberté
Avignon, festival off (L’Archivolte – Chapelle du Miracle), représentation du 18 juillet 2025