Opéra en deux actes de Francesco Filidei, livret du compositeur et de Stefano Busellato, créé le 27 avril 2025 à la Scala de Milan.
LES AUTEURS
Le compositeur : Francesco FILIDEI (né en 1973)
Né à Pise en 1973, Francesco Filidei est organiste et compositeur. Il est diplômé du Conservatoire de Florence et du CNSMDP de Paris, et a suivi le cursus annuel de composition et de nouvelles technologies à l’IRCAM.
Régulièrement invité par d’importantes festivals de musique contemporaine, il a notamment été programmé à la Philharmonie de Berlin, la Philharmonie de Cologne, la Cité de la Musique à Paris, la Suntory Hall et la Tokyo Opera House, la Theaterhaus de Vienne, la Herkulessaal de Munich, la Tonhalle de Zurich, ou encore au Disney Hall de Los Angeles.
Il est l’auteur, entre autres oeuvres, de Sull’essere angeli pour flûte et orchestre (2016), Killing Bach pour orchestre (2015), Missa super l’Homme armé pour douze interprètes (2014), Fiori di Fiori pour orchestre (2012) et sept Ballatas. Il a également composé trois opéras : Giordano Bruno (créé à la Casa da Musica Porto en 2013), L’Inondation (créé à l’Opéra Comique en 2019) et Le Nom de la Rose (créé à la Scala en 2025).
Les librettistes
Le livret a été rédigé par le compositeur Francesco Filidei et Stefano Buselatto, en collaboration avec Hannah Dübgen et Carlo Pernigotti.
Stefano BUSELLATO
Stefano Busellato vit actuellement au Brésil : il occupe les chaires de Philosophie du langage et de Philosophie de la littérature à l’Universidade Federal da Integração Latino-Americana (UNILA – Foz do Iguaçu). Il est également poète poèmes (Tutto è bene quel che finisce, Pise, ETS Edizioni, 2004 ; Chi non muore, Udine, Campanotto Editore, 2012), baryton, traducteur et librettiste : outre le livret du Nom de la Rose, il a également rédigé celui de Giordano Bruno du compositeur Francesco Filidei.
L'ŒUVRE
La création
Le Nom de la Rose est créé dans sa version italienne à la Scala de Milan le 27 avril 2025. La mise en scène était réglée par Damiano Michieletto , la directeion musicale était assurée par Ingo Metzmacher. Guglielmo da Baskerville était interprété par Lucas Meachem, Salvatore par Roberto Frontali. Le spectacle a remporté un très grand succès public.
Le livret
La source
Le livret s’inspire du roman Le Nom de la Rose d’Umberto Eco, publié pour la première fois en 1980, et en traduction française (signée Jean-Noël Schifano) en 1982.
L’œuvre a reçu en France le prix Médicis étranger en 1982, et a été adaptée pour le cinéma en 1986 par Jean-Jacques Annaud (Sean Connery y interprète le rôle de Guillaume de Baskerville).
Résumé de l'intrigue
PROLOGUE
Le vieil Adso de Melk (mezzo-soprano) se souvient d’un épisode de sa jeunesse, alors que, encore novice, il était disciple du franciscain Guillaume de Baskerville (baryton), dont la mission lui était alors inconnue.
Nous sommes en 1327, dans un contexte marqué par de fortes tensions entre Louis de Bavière et le pape Jean XXII. Guillaume est envoyé par l’empereur pour servir de médiateur lors d’une rencontre avec une délégation papale, prévue dans l’abbaye dirigée par l’abbé de Fossanova (basse). Dans une cellule de cette abbaye, le jeune miniaturiste Adelmo da Otranto supplie en vain Jorge da Burgos (basse), un vieux moine aveugle, de l’absoudre de ses péchés.
Sur le chemin qui mène à l’abbaye, Guillaume et Adso rencontrent le cellérier Remigio de Varagine (ténor), qui est stupéfait par les capacités de déduction du moine, capable de deviner que le cheval de l’abbé vient de s’échapper.
ACTE I
Premier jour
Arrivé à l’abbaye, Adso contemple le portail de l’église, où le Christ trône entouré de quatre terribles animaux et de vingt-quatre vieillards, tels que décrits dans l’Apocalypse de Jean. Soudain, derrière lui, apparaît Salvatore (baryton), un moine difforme, qui s’exclame « Pénitenziagite », une expression qui éveille immédiatement les soupçons de Guillaume quant à l’usage qu’en font les Dolciniens, disciples hérétiques du redoutable Fra Dolcino. L’abbé accueille les deux invités et demande à Guillaume de l’aider à résoudre le mystère de la mort d’Adelme, dont le corps a été retrouvé dans un ravin. Guillaume sera libre d’interroger les moines et d’enquêter dans toute l’abbaye, sauf dans la célèbre bibliothèque, dont l’accès est réservé au bibliothécaire Malachie (contre-ténor) et à son assistant Bérenger d’Arundel (contre-ténor). Dans le scriptorium, Guillaume consulte le catalogue de la bibliothèque avec Bérenger et s’arrête devant un signe en forme de « F ». Malachie montre au moine les notes imaginatives et amusantes créées par Adelme, mais Jorge intervient sévèrement, s’insurgeant contre les rires. Une discussion s’engage entre le vieux moine et Guillaume, à laquelle participe également le traducteur Venantius de Salvemec, qui fait référence à la deuxième partie de la Poétique d’Aristote, consacrée à la comédie. Guillaume commence à penser qu’Adelme s’est suicidé. Pendant la nuit, Salvatore entraîne secrètement dans les cuisines une villageoise (soprano), qui se donne à Remigio en échange d’un paquet d’abats. Peu après, Venantius entre, mourant, un livre à la main, et meurt ; Bérenger trouve le corps et l’emporte.
Deuxième jour
À l’église, Adso entend l’appel de la statue de la Vierge et se recueille. Tandis que les moines chantent un hymne, des porchers font irruption, terrifiés : un cadavre a été découvert dans une jarre remplie de sang de porc : c’est le corps de Venanzio.
Les moines, sous le choc, commencent à relier ces morts aux sept trompettes de l’Apocalypse. Examinant le corps avec l’herboriste Séverin, expert en poisons, Guillaume remarque que les doigts du traducteur sont tachés de noir. Il interroge alors Bérenger sur la nuit où Adelme est mort et pressent qu’il cache quelque chose sur leur relation. Guillaume décide d’entrer dans la bibliothèque avec Adso à la tombée de la nuit. Bérenger est dans le scriptorium en train de lire un livre lorsqu’il entend arriver Guillaume et Adso : il se cache avec le volume, mais perd un parchemin annoté en grec. Avant de s’enfuir, il parvient à voler les lunettes de Guillaume.
En approchant une lanterne, Guillaume et Adso voient apparaître des symboles, qu’ils relient au « F » remarqué le matin même : Secretum finis Africae. En entrant dans la bibliothèque, ils constatent que chaque pièce contient un parchemin avec des versets tirés de l’Apocalypse. Ils finissent par se retrouver devant un miroir déformant : c’est la porte du « Finis Africae », mais ils ne savent pas comment l’ouvrir. Alors qu’ils sortent de la bibliothèque, l’abbé annonce la disparition de Bérenger.
Troisième jour
Le corps de Bérenger est retrouvé dans les thermes, où il s’est noyé. L’examinant avec Séverin, Guillaume constate à nouveau que les doigts sont noircis, tout comme la langue : il s’agit vraisemblablement d’un poison. Séverin se souvient que, quelque temps auparavant, une fiole contenant une substance dangereuse avait disparu de son laboratoire. Guillaume retrouve ses lunettes dans l’habit de Bérenger.
Pendant ce temps, la délégation papale arrive à l’abbaye. Dans les cuisines, le cuisinier s’en prend violemment à Salvatore qui, comme à son habitude, est déterminé à voler de la nourriture. L’inquisiteur Bernardo Gui (mezzo-soprano), chef de la délégation d’Avignon, entre. L’abbé vient de le charger d’enquêter sur les crimes qui secouent le monastère. Adso, intrigué par l’histoire de Fra Dolcino, s’aventure seul dans la bibliothèque à la recherche d’informations et finit par avoir une vision. Peu après, il rencontre la jeune fille du village et la rejoint. À son réveil, elle a disparu. À côté de lui, Adso trouve un cœur et s’évanouit de peur.
ACTE II
Quatrième jour
Adso avoue à Guillaume avoir rompu ses vœux de chasteté, mais le moine, compréhensif, pressent que la jeune fille est exploitée par Remigio et Salvatore. Il décide de les interroger. Adso surprend Salvatore en train de préparer un sortilège d’amour, tandis que Guillaume parvient à faire avouer à Remigio qu’il était un disciple de Fra Dolcino. Salvatore et la jeune fille sont pris sur le fait alors que le moine s’apprête à accomplir son rite magique. Bernardo Gui les accuse aussitôt de sorcellerie. Adso craint pour la vie de la jeune fille et se désespère.
Cinquième jour
Les deux délégations se réunissent dans la salle capitulaire : d’un côté, les franciscains liés à l’empereur, de l’autre, Bernardo Gui et les délégués pontificaux. Le débat porte sur la pauvreté du Christ, fermement soutenue par les franciscains et rejetée par le pape : une question cruciale, dont dépend le droit de l’Église à exercer son pouvoir sur les choses terrestres. La discussion dégénère rapidement en bagarre. Dans la confusion, Séverin s’approche de Guillaume et lui murmure qu’il a trouvé un livre étrange ; puis il se retire dans son laboratoire, où il est rejoint par Malachie, qui le tue d’un coup porté à la tête avec une sphère armillaire et s’enfuit avec le volume. Peu après, Remigio, inquiet que Séverin ait découvert des documents compromettants, entre dans le laboratoire, ignorant le meurtre qui vient de se produire. Tout le monde se précipite dans la pièce et le trouve sur les lieux du crime.
Au cours du procès, Bernardo Gui accuse Remigio d’hérésie et d’être l’auteur de tous les meurtres, demandant à Salvatore et Malachie de témoigner. Craignant la torture, Remigio avoue tout. Pour Gui, le condamner au bûcher représente également une victoire politique : il parvient ainsi à associer la délégation franciscaine, et donc l’empereur, au monde de l’hérésie.
Sixième jour
À l’église, pendant l’office des morts, Adso s’endort et a une vision, interrompue par les cris des moines : Malachie meurt subitement, empoisonné par le « pouvoir de mille scorpions ». Il est clair que le meurtrier court toujours. L’abbé s’entretient avec Guillaume et l’accuse d’avoir failli, mais Guillaume a compris que la clé des morts réside dans le vol d’un livre interdit caché dans le finis Africae.
Guillaume doit partir le lendemain : les légations ont quitté l’abbaye et sa mission est terminée, mais il souhaite pénétrer une dernière fois dans la bibliothèque. Le voici de nouveau devant la porte-miroir. Grâce à une intuition d’Adso, Guillaume parvient enfin à entrer…
Septième jour
Jorge les attend, tandis que derrière le mur, ils entendent les coups frappés désespérément par l’abbé, mourant asphyxié dans un passage secret menant à la bibliothèque. Jorge est le meurtrier : il a tué pour empêcher la divulgation du seul exemplaire restant de la deuxième partie de la Poétique d’Aristote. Il n’y avait aucun lien avec les trompettes de l’Apocalypse : Jorge voulait simplement empêcher que le grand philosophe n’éloigne les hommes de la peur du péché ; c’est pourquoi il a empoisonné les pages du livre. Pris de délire, le vieil homme arrache les pages du manuscrit et commence à les dévorer. Guillaume et Adso se jettent sur lui, Jorge jette la lanterne parmi les volumes et met le feu à la bibliothèque.
DERNIER FEUILLET
Personne ne parvient à éteindre l’incendie, et l’abbaye entière est embrasée. Après avoir quitté les lieux, Guillaume et Adso se séparent, et le moine donne ses jumelles à son disciple.
Le vieil Adso se souvient être revenu, des années plus tard, visiter les ruines de l’abbaye : parmi les décombres, il a aperçu ce qui restait de la statue de la Vierge, et ses pensées se sont tournées vers le seul amour terrestre de sa vie, dont il ne connaîtra jamais le nom.
La partition
Filidei s’est dit convaincu que la forme opératique était la plus à même de rendre le monde complexe créé par Eco et a expliqué le choix de faire chanter les personnages comme suit : « Nous sommes dans une abbaye, un lieu de prière : qui dit prière dit chant, et plus précisément chant grégorien, un chant si ancien qu’il en est intemporel, dans lequel j’ai inséré des éléments baroques, du XIXe siècle et contemporains ». Troisième œuvre pour le théâtre après Giordano Bruno et L’inondation – au Carlo Felice, il y a quelques années, les Pagliacci de Leoncavallo étaient associés à la composition Sull’essere angeli pour flûte et orchestre de Filidei – Il nome della rosa suit une structure très précise : deux actes divisés en un prologue et 24 scènes, une pour chaque degré de la gamme chromatique, ascendante pour les scènes paires (do-do ♯-re-mi ♭…), descendante pour les impaires (do-si♭…), le tout répété symétriquement dans le deuxième acte. Les scènes alternent ensuite sur des intervalles de plus en plus grands, pour converger dans l’« ultimo folio » final sur la note de départ, formant ainsi une structure en miroir qui rappelle graphiquement à la fois une rose et un labyrinthe, selon ce schéma (fourni par le compositeur) :
Une structure en éventail déjà expérimentée dans Giordano Bruno mais également présente dans le Cantique des créatures pour soprano et orchestre, une œuvre de Filidei de 2023 qui peut être considérée comme un travail préparatoire au Nom de la rose, tant par son sujet – le Cantique est le manifeste théologique de l’ordre franciscain, incarné dans le roman par Guglielmo da Baskerville, en opposition au dogmatisme impitoyable de l’inquisiteur dominicain Bernardo Gui – que par sa forme : dans le Cantique, en effet, les treize strophes sont mises en musique en séquence du fa♯ jusqu’à la même note de l’octave inférieure, avec la note do au milieu, de manière à former l’intervalle le plus dissonant, le « diabolus in musica », dans la strophe du « frate focu », ce feu qui, dans Le nom de la rose, brûle la bibliothèque…
La partition est imposante : elle pèse 15 kilos, déclarait le chef Ingo Metzmacher qui assurait la direction musicale de l’oeuvre lors de sa création, et comporte de plus de 800 pages semée d’embûches. Filidei aspire à recomposer la fracture qui s’est produite dans la seconde moitié du XXe siècle entre la musique cultivée et la musique populaire, entre Nono et Sanremo, comme le dit le compositeur lui-même : d’où l’utilisation d’un langage musical qui n’exclut pas un niveau de compréhension immédiat, mais qui conduit à des niveaux de complexité croissante. La musique du Nom de la Rose se révèle souvent illustrative, suivant chaque détail du texte avec des images sonores qui surgissent pour coïncider avec chaque mot du livret : on parle d’un cheval et on entend un hennissement ; on manipule des livres et on entend le bruissement des pages ; nous sommes dans le réfectoire et le bruit des assiettes et des plats se fait entendre. Tout cela est rendu par des instruments traditionnels, bien que parfois joués de manière originale, mais surtout par un ensemble impressionnant d’instruments et d’objets divers placés entre les mains de pas moins de cinq percussionnistes.
Les parties vocales se réfèrent à la mélodie grégorienne typique, mais chaque personnage a sa singularité car son chant est accompagné par un orchestre qui double les lignes vocales avec des instruments toujours différents. Le style de chant lui-même est également souvent différent : celui de Guglielmo est un declamato qui empiète souvent sur la parole ; celui de Berengario est très virtuose, confié à la tessiture d’un contre-ténor ; celui de la Jeune fille du village est aérien et sensuel ; celui d’Abbone da Fossanova est presque celui d’un basso buffo ; Celle de Salvatore est unique en son genre. Un chœur exprime les pensées d’Adso, un vieil homme, et un chœur mixte à voix blanches chante les citations latines.