PENE PATI : « Chanter en France des rôles français est un honneur absolu ! »

Il a remporté trois triomphes absolus en France : en Roméo, par deux fois (à Bordeaux puis à Paris), et en Nemorino. Avant son retour dans la capitale en avril pour Thaïs et en attendant la parution de son CD (prévue pour mars), nous avons rencontré PENE PATI qui nous dit tout de ses débuts, sa carrière, ses envies… et son bonheur de chanter dans notre langue !

Nicolas MATHIEU : Comment avez-vous rencontré l’art lyrique ? 
Pene PATI :
C’était très difficile d’en venir à l’art lyrique depuis Samoa/NZ, car personne autour de moi ne pratiquait le chant lyrique ou ne savait ce qu’était la musique classique. La raison pour laquelle je m’y suis mis est qu’au lycée, pour pouvoir jouer au rugby, il fallait chanter dans la chorale de l’école. Là-bas, mon professeur de musique m’a fait découvrir la musique chorale. Et j’ai réalisé que j’aimais ça. En Polynésie, nous avons une grande culture du chant, avec l’importance des histoires de son village, de sa famille. Et quand j’ai découvert l’opéra, j’ai ressenti la même chose. Même si beaucoup de gens me disaient d’arrêter, et de jouer au rugby ou de faire du hip-hop, j’ai continué quelque chose qui était devenu un défi pour moi.

N.M. : Quels souvenirs gardez-vous de cette période ? 
P. P. : En 2013, j’ai fait partie du programme Merola qui est un programme d’été de 10 semaines sous l’égide de l’Opéra de San Francisco. Comme j’étais encore assez novice, je ne croyais pas en moi. Je me souviens m’être assis et avoir entendu les gens autour de moi, puis avoir appelé ma partenaire pour lui dire que je n’avais pas le bon métier et que je devais arrêter ! (rires) Puis j’ai été sélectionné pour l’Adler, alors j’ai commencé à penser que j’avais peut-être une voix, ou quelque chose… J’ai donc saisi cette opportunité, et pendant deux ans, j’ai appris tout ce que je pouvais ! La bourse Adler s’est terminée avec le Duc dans Rigoletto, et c’était le plus grand rôle qui était proposé pour un jeune artiste dans le programme depuis très, très longtemps. J’ai donc pensé que cela allait me faire ou me défaire ! (rires) C’était un tournant. 

N.M. : En dehors de ce parcours académique, vous avez passé plusieurs concours avec succès (Operalia, Caballé)… 
P. P. : Je n’ai jamais vu les concours comme quelque chose de difficile, peut-être parce que j’ai toujours eu un état d’esprit différent. Ma pensée n’était pas de gagner, mais simplement de chanter. Lorsque vous pensez à gagner, cela joue sur votre esprit, et si vous obtenez autre chose que la première place, vous pouvez être vraiment affecté. Pour ma part, tant que je donnais le meilleur de moi-même, tout allait bien. Ces concours ont été essentiels pour lancer ma carrière. Je voulais que les gens m’entendent. Et c’était une autre façon d’auditionner dans le monde entier (rires). 

N. M. : Cela a-t-il conduit à des propositions de contrat ? 
P. P. : Il y a eu des propositions très intéressantes. Mais je voulais protéger ma technique. Et beaucoup de propositions qui m’ont été faites étaient superbes sur le papier, mais n’étaient pas faites pour moi, du moins, pas pour l’instant. Il est si difficile pour un jeune chanteur de refuser des opportunités… parce que vous voulez être payé ! (rires), Mais je me disais que je protégeais ma voix, en me consacrant à des petits rôles, et que cela pouvait m’apporter de l’expérience. Je chanterais les rôles plus difficiles quand je serais prêt, avec tout mon potentiel, pour que les gens puissent m’entendre de cette façon.  

N. M. : Vous semblez donc être impatient, mais le chemin exige de la patience…
P. P. : Oui, il faut être incroyablement patient. Vous devez avoir un esprit concret de façon à faire le bon choix. Et je suis reconnaissant du fait que beaucoup de théâtres respectent cela. 

© Mark Leedom

N. M. : Pour l’instant, quels rôles vous intéressent ?
P. P. :
Je chante beaucoup de rôles lyriques légers. Je m’en tiens donc à Lucia, L’Élixir… Le répertoire du bel canto permet de garder la voix fraîche et de maintenir la technique à un bon niveau. Et quand vous passez à quelque chose de plus lourd comme Don José, Calaf, Mrio dans Tosca, vous ne pouvez plus revenir en arrière. Et bien sûr, en dehors du bel canto, il y a Roméo et Juliette.  

N. M. : Qu’est-ce qui vous intéresse dans le répertoire français et dans la langue française ?  
P. P. : J’adore la langue française. Je dirais cependant qu’au début de l’apprentissage, c’était tellement difficile ! (rires) J’avais l’habitude de demander à un Français de lire à voix haute tout mon livret sur mon téléphone. Puis j’imitais, en décomposant chaque voyelle ! Aujourd’hui, je sens que ma voix s’inscrit dans le répertoire français. En fait, ce répertoire ressemble à la musique samoane, car il comporte de nombreux traits mélodiques ! Et comme il n’y a pas beaucoup d’étrangers qui chantent bien le répertoire français, j’ai eu beaucoup de chance. Je sais que les Français aiment engager des chanteurs français parce qu’ils veulent entendre la langue française chantée correctement. Je suis donc heureux de faire partie de ce groupe : chanter en France des rôles français est un honneur absolu.  

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Pene Pati chante « Ah, lève-toi soleil » de Roméo et Juliette à l’Opéra de Bordeaux

N. M. : Concernant L’Elixir à Paris, comment avez-vous vécu vos débuts à Paris et dans cette production ? 
P. P. : J’adore la production de Laurent Pelly et surtout le personnage de Nemorino. J’ai l’impression de très bien m’identifier à lui. Cette production est très exigeante physiquement, il y a beaucoup de parties impliquant de courir et de danser. J’ai demandé à Laurent : « Est-ce qu’il y a des ténors qui font tout cela ? » et il m’a répondu qu’il avait essayé de le faire faire aux différents Nemorino, mais sans succès, car ils craignaient que cela perturbe le chant. J’ai donc décidé de faire l’effort — courir partout, chanter,  faire danser le personnage… C’était ce que Laurent voulait, et il a adoré. Incarner Nemorino de cette façon en valait la peine. Et les gens m’ont dit que c’était très rafraîchissant de voir quelqu’un performer le rôle et ne pas simplement rester dans une certaine position en fonction de la voix — ce qui est évidemment très bien aussi ! Les gens m’ont dit qu’ils avaient passé une bonne soirée. C’est ça, venir à l’opéra !  

N. M. : Quelles sont les figures lyriques qui vous inspirent ?  
P. P. : J’ai appris l’essentiel de ma technique de chant avec Pavarotti. Mais lorsque j’ai commencé, j’étais jeune et je ne pouvais pas me permettre de prendre des cours. La seule façon pour moi d’apprendre une technique était… de regarder ses vidéos sur YouTube. Je voulais comprendre comment il chantait et saisir sa façon de chanter. Je n’ai jamais voulu l’imiter, mais sa façon de « couvrir » ou d’effectuer le passaggio fonctionne bien pour moi et, par conséquent, certains ont même dit que j’avais une voix semblable à la sienne. Cependant, cela n’a jamais été le but.
Aujourd’hui, j’ai un grand respect pour Laurence Brownlee. J’ai travaillé avec lui une fois pour Don Pasquale de Laurent Pelly et j’écoutais tout ce qu’il me disait. C’était tellement fascinant. Il est si intelligent dans ses choix pour garder sa voix fraîche, je trouve cela vraiment admirable. 

N. M. : Quel serait le rôle de vos rêves ? 
P. P. : Les trois rôles que j’aimerais chanter sont Canio dans Pagliacci, Otello et Don José. Pour tous ces personnages, j’ai une interprétation différente dans ma tête. C’est important, car à l’heure actuelle, je pense que les ténors chantent ces rôles à peu près de la même manière.  

N. M. : Et pour la suite ?  
P. P. : Je suis sur le point de commencer La Bohème. Je sais que beaucoup de ténors veulent le chanter très jeunes, mais je voulais que le rôle de Rodolfo mûrisse, grandisse en moi, et avoir la technique idoine pour le rôle. En attendant, je m’en tiens à Roméo et Juliette que j’aime énormément, en partie parce qu’il n’y a pas beaucoup de ténors qui le chantent bien. On oublie toujours que c’est très, très difficile ! 

N. M. : Qu’en est-il des enregistrements ? 
P. P. : Mon premier album sortira en mars 2022. J’ai choisi des morceaux qui signifient quelque chose pour moi plutôt que ceux qui sonnent bien pour un ténor ! (rires) Je veux montrer mon parcours aux auditeurs. Il y aura donc Rigoletto, car c’est mon premier rôle, Manon, car c’est mon premier rôle français, mais aussi des pièces très difficiles à chanter pour un ténor, comme « Ah ! Lève-toi, soleil ! » dans Roméo et Juliette

N. M. : Vous avez dit précédemment que vous étiez très sensible à l’idée de proposer une interprétation différente des rôles que vous choisissez. Dans quelle mesure jouez-vous avec les intentions du compositeur pour y parvenir ? 
P. P. :  Quand j’ai appris la musique, je l’ai fait avec un pur respect de ce que le compositeur « voulait », et ensuite j’ai tout oublié ! (rires) Vous ne savez pas ce qu’ils voulaient… ils sont partis ! La chose la plus importante, donc, est de chanter ce que vous ressentez par rapport à ce qu’ils voulaient. Par exemple, dans L’Elixir, lorsque Nemorino rit, même si Donizetti a écrit des notes parce qu’il le devait, je ne les chante pas, je ris, tout simplement ! Et cela ne signifie pas que je ne respecte pas ce qui est écrit. J’essaie juste d’ajouter un élément différent. Et qui sait, peut-être que c’est ce que le musicien voulait, sans savoir vraiment comment le transcrire… Je ne sais pas. Et il y a tellement de choses que vous pouvez faire ! Sinon, toutes les interprétations deviennent les mêmes, et il n’y a pas de différences entre les ténors.
Interpréter un personnage de la manière dont vous ressentez les intentions du compositeur, c’est ça, l’art. Parce que les gens vous voient alors au lieu de voir un personnage de fiction, et dès lors, une identification devient possible.

Pour la version anglaise de cette interview, c’est ici !


Les spectacles et concerts de Pene Pati chroniqués par Première loge :

L’actualité de Pene Pati : 

  • CD : Airs de Verdi, Rossini, Meyerbeer, Gounod, Donizetti, Massenet, Godard. Orchestre national Bordeaux Aquitaine, dir. Emmanuel Villaume (Warner Classics, sortie le 25 mars 2022). 
  • Anna Bolena (Vienne), 12-19 février
  • Roméo et Juliette (San Diego), 26 mars-03 avril
  • Thaïs (Paris, TCE), 09 avril
  • La Traviata (Berlin), 21 avril-08 mai