Un Américain à Paris, Grand Théâtre de Genève, mardi 16 décembre 2025
La comédie musicale créée au Châtelet en 2014 poursuit son tour du monde et fait escale à Genève, où le public lui réserve un accueil triomphal. Dix ans après la création du spectacle, sa magie demeure intacte.
On aurait tort de réduire Un Américain à Paris au poème symphonique de 1928 dans lequel Gershwin évoque le séjour qu’il effectua à Paris dans les années 20, ou encore au film mythique de 1951 réalisé par Vicente Minnelli : depuis 2014, Un Américain à Paris est aussi une comédie musicale à part entière, créée triomphalement au Théâtre du Châtelet avant de conquérir les scènes américaines, puis internationales – jusqu’à la Chine. Le spectacle présenté ce 16 décembre au Grand Théâtre de Genève rappelle avec éclat à quel point cette adaptation est une réussite artistique majeure.
L’œuvre est en effet remarquablement conçue. Loin de n’être qu’une simple transposition scénique des événements constituant la trame narrative du film, elle s’approprie son synopsis pour l’enrichir de ramifications donnant aux situations et aux personnages une épaisseur nouvelle tout à fait bienvenue, et permettant d’introduire dans l’œuvre certaines pages musicales nouvelles. Le mérite en revient au librettiste Craig Lucas – né en 1951, l’année même de la sortie du film de Minnelli ! –, qui respecte l’esprit du film originel tout en s’en émancipant avec intelligence. Le résultat est un spectacle d’une cohérence rare, un enchantement permanent pour les yeux comme pour les oreilles.
La mise en scène et la chorégraphie de Christopher Wheeldon sont une absolue réussite. En un clin d’œil et comme par magie, les tableaux se succèdent : un piano disparaît et fait place à une tour Eiffel ; la loge de Lise s’évanouit et est remplacée par la scène du Châtelet (avec vue sur la fosse d’orchestre et les fauteuils des spectateurs) ; les quais de la Seine font place en un instant au salon des Baurel… C’est on ne peut plus spectaculaire tout en restant miraculeusement léger, fluide, et surtout d’une élégance et d’une poésie constantes. Qu’il s’agisse d’évoquer le Paris de l’immédiat après-guerre (dès le tableau initial), l’intimité des scènes d’intérieur, le rayon parfumerie des Galeries Lafayette ou un cabaret de Montmartre, les décors (de Bob Crowley, qui signe aussi les superbes costumes), d’une remarquable force évocatrice, se meuvent sur scène comme par magie, redessinant constamment l’espace et contribuant pleinement à la narration sans jamais l’alourdir.
Les chorégraphies, apportant en permanence au spectacle la touche poétique ou dramatique idoine, sont tout simplement époustouflantes. La réussite musicale est elle aussi superlative. À la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Wayne Marshall — grand spécialiste des compositeurs américains du XXᵉ siècle — insuffle un swing, une précision rythmique et une générosité sonore exemplaires. L’orchestre, que l’on n’associe pas spontanément à ce répertoire, impressionne par sa formidable capacité d’adaptation et son engagement total.
Sur scène, la troupe d’artistes rallie tous les suffrages. Les rôles principaux éblouissent par leur virtuosité et leur aisance à chanter, danser et… chanter tout en dansant ! Le casting, particulièrement habile, repose sur des personnalités nettement différenciées, tant physiquement que vocalement. Robbie Fairchild incarne un Jerry Mulligan irrésistible de romantisme léger et souriant. Max von Essen, en Henri Baurel, est absolument remarquable : fort de ses nombreux succès sur les scènes américaines, il excelle à traduire la timidité, les hésitations et les questionnements du personnage. Il fait par ailleurs montre d’une fort belle assurance vocale dans les parties chantées. Etai Benson est parfait en Adam Hochberg, notamment dans la scène hilarante où il tente de séduire Lise Dassin avec une maladresse savoureuse. Ces trois voix masculines possèdent leurs particularités propres, qui leur permet de se distinguer clairement y compris lorsqu’elles s’unissent dans des numéros de trio emblématiques comme le ‘S Wonderful du premier acte.
Anna Rose O’Sullivan apporte à Lise Dassin une grâce chorégraphique lumineuse et se montre tout à fait convaincante vocalement. Scott Willis et Rebecca Eichenberger sont irrésistibles de drôlerie en Monsieur et Madame Baurel, tandis qu’Emily Ferranti remporte un franc succès en Milo Davenport, grâce à une voix de caractère qui contraste judicieusement avec le timbre plus épuré de Lise.
Le public, conquis — et comment ne pas l’être ? — réserve un triomphe à l’ensemble des artistes. Un Américain à Paris s’impose comme le spectacle idéal pour les fêtes de fin d’année, à ne manquer sous aucun prétexte ! Joué à Genève jusqu’au 31 décembre, il laisse une question brûlante dans son sillage : à quand une reprise parisienne ?
Solistes
Jerry Mulligan : Robbie Fairchild
Lise Dassin : Anna Rose O’Sullivan
Milo Davenport : Emily Ferranti
Adam Hochberg : Etai Benson
Henri Baurel : Max von Essen
Madame Baurel : Rebecca Eichenberger
Ensemble
Monsieur Baurel : Scott Willis
Olga : Julia Nagle
Mr. Z : Todd Talbot
Mr. Dutois : Charlie Bishop
Lowri Shone, Brianna Abruzzo, Brittany Cioce, Laura Kaufman, Marina Lazzaretto, Alishia-Marie Blake, Amba Fewster, Dana Winkle, Immy Challis
Francis Lawrence, McGee Maddox, Wilson Livingston, Brodie Donougher, Jake Mangakahia, Sayiga Eugene Peabody
Swing
Dance Captain : Nathalie Suzanne Marrable
Anya Nicole Alindada, Ellie Tames, Courtney Echols, Andrew Tomlinson, Aaron Smyth, Dustin Layton, Weston Krukow
Orchestre de la Suisse Romande, dir. Wayne Marshall
Mise en scène et chorégraphie : Christopher Wheeldon
Scénographie et costumes : Bob Crowley
Lumières : Natasha Katz
Son : Jon Weston
Vidéos : 59 Studio
Collaboration à la mise en scène et chorégraphie : Dontee Kiehn
Collaboratrice associée à la mise en scène : Hannah Ryan
Collaborateur associé à la chorégraphie : Dustin Layton
Superviseur musical et assistanat direction musicale : Todd Ellison
Collaboratrice costumes : Amanda Jenks
Collaborateur lumières : Craig Stelzenmuller
Collaborateur vidéo : Jon Lyle
Régie de production : Christopher R. Munnell
Un Américain à Paris
Comédie musicale de George et Ira Gershwin, livret de Craig Lucas, d’après le film homonyme de Vincente Minelli, créée en 1951.
Grand Théâtre de Genève, représentation du mardi 16 décembre 2025.

