LAKMÉ : entre rêve et enchantement à l’Opéra de Nice

Sous la direction de Jacques Lacombe, Kathryn Lewek s’épanouit dans le rôle-titre au sein d’une mise en scène dépouillée qui cède toute marque d’exotisme à l’univers onirique né de la musique.

Derrière l’opacité d’un décor de papier de riz où la référence à l’Extrême-Orient est réduite à une simple évocation apparaissent les personnages. Rapidement, le duo des fleurs imprègne la salle de ses fragrances tout en nuances où les aigus tintent comme les pétales tournent.  Majdouline Zerari donne de la profondeur au chant de Malika, et apporte comme la note de fond au filtre de Lakmé.

De la part de la soprano, Kathryn Lewenqui a triomphé sur cette même scène l’an dernier en Lucia -, l’accent est mis sur l’envoûtement davantage que sur l’intelligibilité des paroles. Prononcer de manière trop distincte les consonnes pourrait brusquer le cours des voyelles, rompre l’enchantement. Et de fait, ce choix interprétatif est réussi, les notes se succèdent insensiblement, l’on n’entend pas les déchirures que peuvent causer les fricatives ou les dentales dans le déploiement du thème musical. En outre, les volutes si sophistiquées de la partition semblent issues de la nature, les envolées lyriques sont douces et les suraigus aisés, la voix se fond parfois avec les instruments, s’estompe pour que le charme subsiste tout entier et gagne les spectateurs. Le fameux air des clochettes « Où va la jeune hindoue » est réalisé avec de très beaux pianos, une fluidité aérienne et des suraigus de haute-voltige entonnés comme une caresse, dont les contre-mi apocryphes, imposés par la créatrice du rôle Marie van Zandt.

L’aspect théâtral de l’opéra est mis en valeur avec dynamisme et révèle le talent d’acteur des chanteurs : Frédéric, joué par le ténor facétieux Guillaume Andrieux, Ellen jouée par Lauranne Oliva, au chant délicat et élégant, Rose jouée avec adresse par Elsa Roux Chamoux et la comique Mrs Bentson interprétée avec consistance par Svetlana Lifar.

A travers un livret d’Edmond Gondinet dont on apprécie la versification, l’on ne reste pas insensible à la problématique si actuelle des femmes et du changement, de la relativité des mœurs : les femmes sont-elles toutes les mêmes ici et là-bas ? « Quand une femme est si jolie, elle a tort de se cacher »… Une œuvre majeure du répertoire questionne ainsi notre rapport aux femmes, et nos préjugés sur le « beau sexe ».

Gérald, interprété par le ténor Thomas Bettinger qui participe de l’atmosphère onirique de la pièce chante avec une sorte de nostalgie de l’instant « Fantaisie aux divins mensonges, rêves éphémères qui troublez ma raison ». Le duo de fleurs repris par les instruments attestent que le charme a pénétré son cœur.

Nilakantha, le père de Lakmé, est interprété par Jean-Luc Ballestra  est un baryton à la voix chaude, compréhensible et implacable comme les rites des brahmanes. Ce remarquable chanteur, qui revient sur la scène de sa ville natale, déploie une puissance vocale fascinante, aux modulations aisées et au timbre infaillible.

Hadji, qui « sait lire sur les visages » comprend l’émoi que ressent Lakmé. D’une voix homogène et soutenue, Carl Ghazarossian apparaît ainsi comme l’homme de confiance de l’héroïne, son allié.

Dans un décor épuré, imaginé par Camille Dugas et une mise en scène de Laurent Pelly et Luc Birraux, des paysages géométriques sont suggérés. Une montage surplombée d’un soleil couchant, voilà l’évocation de l’Extrême-Orient via la référence aux célèbres tableaux de Hokusaï. Le parti pris du rêve  et de l’imagination pour ne pas céder à l’écueil de l’orientalisme est intéressant mais l’on regrette que la force de suggestion de la mise en scène et du décor ne se réfère qu’à l’Asie à grand traits plutôt qu’à l’Inde en particulier où est censée se dérouler l’histoire. Les jeux de lumières sont bien pensés par Joël Adam, où les lueurs sont préférées à la lumière crue, avec un éclairage opaque comme à travers des photophores. Cela concourt à l’évocation de l’ambiance exotique, tournée vers un ailleurs plus fantasmé que réel.

Cet opéra magique, qui s’écoute et se regarde comme l’on regarde un beau film vaut le détour par Nice, placé sous le signe du rêve et de l’enchantement.

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Retrouvez Kathryn Lewek et Carl Ghazarossian en interview.

Les artistes

Lakmé : Kathryn Lewek
Gérald : Thomas Bettinger
Mallika : Majdouline Zerari
Nilakantha : Jean-Luc Ballestra
Frédéric : Guillaume Andrieux
Ellen : Lauranne Oliva
Rose : Elsa Roux Chamoux
Mrs Bentson : Svetlana Lifar
Hadji : Carl Ghazarossian
Un Domben : Emanuele Bono
Un marchand chinois : Elio Trombetta
Un Kouravar : Joan Hotensche

Orchestre Philharmonique de Nice, dir. Jacques Lacombe
Assistant à la direction musicale : Frédéric Deloche
Choeur de l’Opéra Nice Côte d’Azur, dir. Giulio Magnanini.
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly, reprise par Luc Birraux
Décors : Camille Dugas
Adaptation des dialogues ; Agathe Mélinand
Lumières : Joël Adam

Le programme

Lakmé

Opéra en trois actes de Léo Delibes, livret d’Edmond Gondinet d’après Rarahu ou le Mariage de Loti de Pierre Loti et d’après les récits de Théodore Pavie, créé le 14 avril 1883 à l’Opéra comique de Paris.
Opéra de Nice, représentation du vendredi 29 Septembre 2023