Les festivals de l’été
CARMEN à Orange : entre tradition et modernité

Marie-Nicole Lemieux incarne Carmen aux Chorégies d’Orange

Qui programme Carmen, le chef-d’œuvre de Bizet, s’assure le succès. Les Chorégies ne s’y sont pas trompées et le public était au rendez-vous de cette unique représentation avec plus de 7000 spectateurs enthousiastes venus vibrer aux accents andalous de la brûlante zingara incarnée par Marie-Nicole Lemieux.

On a peine à croire que cet ouvrage dont on connaît chaque note, n’a pas connu la gloire dès sa création. Autre temps, autres mœurs, me direz-vous et la société parisienne de 1875 n’était pas prête à accueillir les désirs de liberté de cette femme volage. Qu’importe ! L’œuvre a pris sa revanche en devenant au fil des décennies l’opéra le plus joué dans le monde. La présente production s’éloigne de l’image d’Épinal et nous donne à voir une Carmen plus mûre, mais plus dangereuse encore, maniant les artifices séducteurs avec une assurance et un savoir-faire diaboliques.

Clelia Cafiero et Jean-Louis Grinda aux commandes

Mené de main de maître par la jeune cheffe montante Clelia Cafiero, l’Orchestre National de Lyon déploie toutes les couleurs et les nuances de l’orchestration de Bizet pour accompagner ce drame de la jalousie qui rassemble tous les ressorts de la tragédie, et l’inéluctabilité de la mort de l’héroïne. La configuration du théâtre antique nous permet d’apprécier l’énergie extraordinaire que Clelia Cafiero insuffle à ses musiciens pour nous donner à entendre une interprétation particulièrement enlevée et puissante tout autant que subtile et raffinée dans les moments plus intimes. Cette cheffe, qui se partage entre ses deux carrières de pianiste et de chef d’orchestre a sans nul doute un grand avenir dans cette dernière activité.

La mise en scène était signée Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies, qui a également mis en scène la Carmen donnée à l’Opéra de Marseille en février 2023. Tirant parti de l’immense scène à sa disposition, il imagine une ingénieuse structure mobile s’ouvrant en deux par le milieu et animée en direct, qui permet de délimiter les espaces selon les scènes intérieures et extérieures avec de subtils jeux d’ombres et de lumières. L’usage de la vidéo au dernier acte, donnant à voir l’intérieur de l’arène et la victoire d’Escamillo pendant le duo fatal de Carmen et José, vidéo projetée sur l’immense mur de scène du théâtre, est d’un très bel effet, accompagnée par les réminiscences de l’air du Toréador aux cuivres. Le contraste entre le drame qui se joue sur la scène et les images de triomphe et de joie est particulièrement saisissant avec cette mise en scène.

Marie-Nicole Lemieux et Jean-Louis Borras au sommet

Le premier acte voit la prestation attendue de la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon dans le célèbre « Avec la garde montante » magnifiquement interprété par ces jeunes chanteurs dirigés par Florence Goyon-Pogemberg. Puis, Marie-Nicole Lemieux entre en scène et la habanera si célèbre (« l’amour est enfant de bohème ») met le public en transe. Elle campe une Carmen déterminée, sachant ce qu’elle veut, sûre de sa séduction, un rien vulgaire comme il sied à une fille de cette condition. La voix est ample et chaude, les graves suaves et sensuels, les aigus puissants.

Jean-François Borras en Don José tourmenté lui donne la réplique. Le public retient son souffle quand il attaque l’air « La fleur que tu m’avais jetée », et son interprétation tout en délicatesse lui vaut les applaudissements nourris et bien mérités d’un public conquis. Sa parfaite maîtrise technique lui permet un aigu final pianissimo qui donne des frissons. Il sait donner à sa voix les accents déchirants du désespoir comme dans la dernière scène avec Carmen lorsqu’il tente une dernière fois de la convaincre de partir avec lui. Borras a parfaitement saisi l’ambiguïté de ce Don José, qui est à la fois la victime d’un destin implacable et l’acteur de son propre malheur quand il se mesure au brillant Escamillo. Celui-ci, interprété par Ildebrando D’Arcangelo, nous a donné une petite frayeur au début de son grand air où on l’a senti fébrile, peut-être impressionné par le gigantisme de cette scène. Mais il s’est très vite repris pour nous offrir un second couplet de toute beauté, mêlant la puissance vocale à un timbre chaud et velouté.

Une distribution de grande qualité

Les deux comparses de Carmen, Mercédès (Éléonore Pancrazi) et Frasquita (Charlotte Despaux), nous proposent un superbe duo au sein du trio des cartes, soulignant, là aussi, le contraste permanent qui sous-tend toute l’œuvre : la vie d’un côté, joyeuse, et insouciante, et la mort, implacable, toujours en embuscade. Les deux jeunes bohémiennes se livrent à une séance de tirage de cartes pour connaître leur avenir et se félicitent de ce que celles-ci leur révèlent tandis que dans le même temps, Carmen découvre quel sera son destin : la mort ! Pour elle, puis pour lui ! « La Mort ! Moi d’abord, ensuite lui ! » Les mots résonnent terriblement, chantés sur une ligne mélodique descendante pendant la joyeuse chanson de Frasquita et Mercédès.

Cet univers dur et noir qui transparaît tout au long de l’œuvre est cependant contrebalancé par la seule note de pureté et de vraie beauté incarnée par la douce Micaëla, la fiancée de José avant sa rencontre avec Carmen. Ce personnage a été inventé par les librettistes Meilhac et Halévy pour donner une caution honnête et vertueuse à l’ouvrage. Micaëla tente de ramener José dans le droit chemin. Elle est la conscience de José comme le Commandeur l’est pour Don Giovanni. Elle est ici interprétée par la soprano Alexandra Marcellier qui réalise une belle performance, saluée par une ovation du public. Seul air sentimental de l’opéra, il vaut à son interprète, lorsqu’il est bien chanté, ce qui est le cas ici, un véritable succès public. Rappelons qu’Alexandra Marcellier est lauréate des Victoires la Musique 2023 dans la catégorie « révélation artiste lyrique », récompense ô combien méritée. Son jeu délicat et tout en retenue sert parfaitement le rôle et sa voix solide et bien menée, aux accents chaleureux se mêle à l’orchestre et le transcende dans un aigu plein et brillant comme dans le médium ou le grave avec une superbe homogénéité des registres.

Les autres rôles sont tenus avec conviction par des artistes de talent, faisant de cette production une vraie réussite, à la hauteur de la réputation de l’œuvre et du cadre majestueux qui l’accueille. Les sept mille spectateurs présents sont repartis émerveillés et radieux, faisant le bonheur de l’équipe d’un festival toujours à l’écoute de son public.

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Retrouvez les artistes de Carmen en interview :
Jean-Louis Grinda
Clelia Cafiero
Alexandra Marcellier

Les artistes

Carmen : Marie-Nicole Lemieux
Don José : Jean-François Borras
Escamillo : Ildebrando D’Arcangelo
Micaëla: Alexandra Marcellier
Lilas Pastia: Franck T’Hézan
Frasquita : Charlotte Despaux
Mercédès : Éléonore Pancrazi
Le Dancaïre : Lionel L’Hote
Moralès : Pierre Doyen
Zuniga : Luc Bertin-Hugault

Orchestre National de Lyon, Chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo et de l’Opéra Grand Avignon, Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, dir. Clélia Cafiero

Mise en scène : Jean-Louis Grinda
Décors et costumes : Rudy Sabounghi
Éclairages : Laurent Castaingt
Chorégraphie : Eugénie Andrin
Vidéos : Gabriel Grinda

Le programme

Carrmen

Opéra-comique en quatre actes de Georges Bizet, livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après Prosper Mérimée, créé à l’Opéra-Comique à Paris le 3 mars 1875.
Chorégies d’Orange, représentation du samedi 8 juillet 2023.