Saint-Denis : Le Devoir du premier commandement – Il Caravaggio, sempre meglio !

Quelle belle surprise que ce Devoir du premier commandement donné ce jeudi 19 juin en la Basilique de Saint-Denis ! Cette œuvre, à laquelle Première Loge a récemment consacré un dossier, composée par un Mozart âgé d’une dizaine d’années, commandée par le Prince Archevêque de Salzbourg pour les célébrations de Pâques en 1767 et créée le 12 mars de cette même année, commence maintenant à être familière au mélomane grâce aux efforts de l’ensemble Il Caravaggio et de sa cheffe Camille Delaforge, qui en ont proposé un enregistrement pour « Château de Versailles spectacles » et l’ont déjà donnée en concert à la Chapelle royale de Versailles en novembre dernier. On s’attendait donc à retrouver avec plaisir cette œuvre pleine de vitalité et étonnante de maîtrise pour un compositeur à peine sorti de l’enfance, dans la très belle interprétation d’Il Caravaggio dont Première Loge a déjà eu l’occasion de vanter les mérites, revivifiée par une distribution (presque) entièrement nouvelle. Or c’est à bien plus que cela que nous avons assisté hier soir…

Deux des chanteurs présents dans l’équipe réunie, Karine Deshayes et Alasdair Kent, chantaient encore l’avant-veille dans la Semiramide donnée au TCE, et sortaient par ailleurs d’une série de trois représentations de cette même œuvre à l’Opéra de Rouen. On imagine donc aisément que dans ces conditions, répéter dans des conditions optimales cette œuvre rare de Mozart n’a pas été chose aisée… Et pourtant, avant même les performances individuelles des artistes, c’est la formidable cohésion de l’équipe, chanteurs, instrumentistes, cheffe, qui saute aux yeux et aux oreilles : une cohésion qui se traduit par un bonheur visible de jouer ensemble, une complicité musicale de tous les instants, une écoute mutuelle et une façon d’interagir on ne peut plus appréciable. La cheffe Camille Delaforge y est sans doute pour beaucoup, attentive à chacun des musiciens comme à chaque soliste, soucieuse de préserver l’équilibre entre l’orchestre et les chanteurs, précise dans ses attaques, raffinée dans les contrastes dont elle émaille son interprétation et dans l’expressivité dont elle pare la virtuosité vocale ou instrumentale, fréquemment sollicitée.

Jordan Mouaïssia (le Chrétien) est le seul artiste à avoir été triplement présent, dans l’enregistrement, lors du concert donné à Versailles, et dans celui de Saint-Denis. Stéphane Lelièvre disait, à l’issue du concert versaillais, qu’il s’agissait assurément d’un « talent à suivre », et pour notre part nous avions été pleinement conquis par sa prestation lors du concert pré-inaugural du festival de Saint-Denis, celui des « jeunes talents du Studio lyrique », où il avait brillé dans les Stances du Cid de Charpentier. Il renouvelle ici l’excellente impression qu’il nous avait alors laissée, par la beauté de son timbre et le raffinement de son chant – même s’il doit, le temps d’un air, partager la vedette avec un petit oiseau (un rouge-queue semble-t-il) venu spontanément proposer un « accompagnement obligé », en plus de celui du trombone, à l’air « Jener Donnerworte Kraft » ! Alidstair Kent (L’Esprit du Christianisme), dont Première Loge avait pour la première fois apprécié le talent lors du très beau Matrimonio segreto donné à Martina Franca en 2019, est absolument parfait dans ce répertoire qui demande tout à la fois agilité, pureté de la ligne,  sensibilité. Karine Deshayes passe avec une belle aisance de Rossini à Mozart (peut-être ses deux compositeurs de prédilection ?), et offre une incarnation sensible et techniquement parfaitement maîtrisée de La Miséricorde. Rocío Pérez, enfin, confirme qu’elle est décidément une soprano avec laquelle il faut désormais compter : très appréciée en nos colonnes dans des rôles assez divers (Gilda à Nancy, Olympia à Venise, Manon Lescaut d’Auber à Turin, Aristea dans l’Olimpiade de Cimarosa à Versailles, Nannetta à Nice,…), elle se montre ce soir absolument magnifique. Qualité du timbre préservée sur tout l’ambitus, aigus aériens, tenue du souffle, pureté du style : un sans-faute !

Osons le dire : ce concert nous a encore plus enthousiasmé que la version discographique gravée par le même ensemble, pourtant elle-même hautement recommandable !
Premier devoir du mélomane avide de raretés mozartiennes : guetter une reprise de ce concert… si possible avec la même affiche !

Les artistes

Rocío Pérez, soprano
Karine Deshayes, mezzo-soprano
Alasdair Kent, ténor
Jordan Mouaïssia, ténor

Ensemble Il Caravaggio, dir. Camille Delaforge

Le programme

Le Devoir du premier Commandement

Drame sacré de Wolfgang Amadeus Mozart, livret d’Ignatz Anton von Weiser, créé au palais de l’Archevêché de Salzbourg le 12 mars 1767.
Festival de Saint-Denis, concert du jeudi 19 juin 2025.