Du bel canto à la comédie américaine, en passant par Paris et par le Danube
Annoncée en début de saison comme un concert consacré à la comédie musicale américaine, cette nouvelle production du cycle « Les Grandes Voix » retrouve Pretty Yende dans un répertoire qui, s’il n’est pas tout à fait le sien, lui est tout de même plus familier. En effet, à part la Manon de Massenet, aucune des héroïnes abordées ce soir n’a encore été approchée à la scène par la soprano sud-africaine. C’est sans doute l’occasion de se tester pour des prises de rôle à venir.
Entièrement consacrée à Verdi, sauf pour la sortita de Norma, la première partie est très exigeante. Le deuxième air de Leonora du Trovatore, malheureusement amputé de son Miserere et de sa cabalette, est très intensément vécu dès un récitatif richement articulé, maîtrisant savamment les moments de transition. Murmurée d’abord sur le fil, l’aria s’éclot progressivement jusqu’à atteindre une ampleur certaine. Et si une légère dureté transparaît dans la conduite de la ligne, la ductilité des vocalises et la souplesse des gammes sont remarquables. Un personnage que l’interprète devrait bientôt incarner au théâtre, puisqu’elle est programmée pour une série de représentations à l’Opéra de Monte-Carlo en mars 2026. Impérieux, le récitatif de Norma précède une cavatine à son tour attaquée pianissimo, se distinguant tout particulièrement par un phrasé impressionnant dans la seconde strophe et par un contrôle du souffle magistral dans les passages vers le haut du registre. Des trilles prodigieux viennent alors adroitement agrémenter la cabalette. En clôture de la première partie, chez la Duchesse Hélène des Vêpres siciliennes, proposée dans sa version en italien, Pretty Yende est totalement dans son élément de soprano colorature, du moins dans une sicilienne de l’acte V aux notes piquées et aux fioritures à la virtuosité éblouissante.
Remplaçant Giacomo Sagripanti, initialement prévu, Pablo Mielgo a une conception quelque peu abrupte des ouvertures de Verdi. Dans celle de La forza del destino, l’équilibre entre les différentes sections n’est pas toujours respecté, les vents résonnent assez violemment, même s’ils parviennent par moments à instaurer un beau dialogue entre eux, tandis que la perception des cuivres apparaît plutôt bruyante. Ce qui se renouvelle dans la sinfonia de Nabucco, aux vents et aux percussions passablement débraillés, malgré un bel a solo des clarinettes. En revanche, une certaine légèreté se dégage chez Offenbach, puis chez Johann Strauss II, le menant à diriger de manière plus enjouée l’Orchestre national d’Île-de-France dont les vents et les cordes se rejoignent enfin joliment après le crescendo du cancan de La Vie parisienne, le velours des flûtes annonçant l’ivresse de la valse dans Die Fledermaus.
En seconde partie, nous passons de l’opéra français au Danube. Le chant de bonheur de Louise, au français perfectible, s’impose donc par l’emphase du portamento. Tandis que dans l’air du Cours-la-Reine nous retrouvons l’aisance de la scène dans un rôle assidument fréquenté, notamment à l’Opéra Bastille, juste avant la fermeture de mars 2020 ; malheureusement la gavotte a été par deux fois interrompue par un public assez indiscipliné qui, par des applaudissements impromptus, avait déjà obligé l’artiste à s’arrêter après la prière de Norma. Une grande émotion se dégage ensuite de la chanson à la lune de Rusalka, grâce aussi au déploiement d’une palette chromatique très variée. Les réminiscences de Rosalinde se singularisent enfin par un chant syllabique exquis et la bonne dose d’humour qui leur sied.
Annoncé toujours comme sonorisé, le concert ne l’est, heureusement, que pour le medley de chansons américaines qui nous ouvre déjà au monde des bis. Si cet appendice n’apporte pas grand-chose à l’intérêt d’un programme déjà riche, relevons néanmoins un sens de la nuance prononcé, spécialement dans « Moon River », « Edelweiss » et « Somewhere Over The Rainbow » où l’interprète retrouve toute son épaisseur de soprano. Des deux véritables bis, « Paris, Paris, Paris » de Joséphine Baker constitue un avant-goût du Gala que donnera Pretty Yende, toujours au Théâtre des Champs-Élysées, le 4 octobre prochain, auquel fera suite, le 16 décembre, « Noël en chansons », encore en collaboration avec « Les Grandes Voix ». Désormais en passe de devenir son refrain et sa griffe, « I’m so Pretty », d’après West Side Story, clôt la soirée dans l’allégresse. Le public est comblé et, à juste titre, fait un triomphe à sa cantatrice bien-aimée.
Pretty Yende, soprano
Orchestre national d’Île-de-France, dir. Pablo Mielgo
Giuseppe Verdi
La forza del destino, ouverture
Il trovatore, « Siam giunti; ecco la torre, ove di stato // D’amor sull’ali rosee » (Leonora)
Vincenzo Bellini
Norma, « Casta diva, che inargenti // Ah! bello a me ritorna » (Norma)
Giuseppe Verdi
Nabucco, ouverture
I vespri siciliani, « Mercé, dilette amiche » (Elena)
Gustave Charpentier
Louise, « Depuis le jour » (Louise)
Jacques Offenbach
La Vie parisienne, ouverture
Jules Massenet
Manon, « Suis-je gentille ainsi ? // Obéissons quand leur voix appelle » (Manon)
Antonín Dvořák
Rusalka, « Měsíčku na nebi hlubokém » (hymne à la lune) (Rusalka)
Johann Strauss II
Die Fledermaus, ouverture
« Klänge der Heimat » (Csárdás) (Rosalinde)
Medley American Songs : Herman Hupfeld – « As Time Goes By » ; Johnny Mercer, Henry Mancini – « Moon River » ; Richard Rodgers – « Edelweiss » ; Marvin Hamlisch – « The Way We Were » ; Harold Arlen – « Somewhere Over The Rainbow »
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, concert du dimanche 8 juin 2025.