Carnet de bord FROM Montpellier (2)

FROM comme Festival Radio-France Occitanie Montpellier. Notre carnet de bord vous communique les coups de cœur de l’édition 2021 sur la place montpelliéraine . Dès qu’une voix, un chœur ou un opéra se profilent, nous sommes en salle ou en coulisse pour expérimenter l’adage du festival : « chaque concert est une fête » !

17 Juillet : Viva Italia !

Programme 

Chants traditionnels du sud de l’Italie (Pouilles, Sicile, Sardaigne, Abruzzes) – Pisci spada de Domenico Modugno – Amore amaro de Maria Mazzotta

Artistes 

Maria Mazzotta, chant – Vince Abbracciante, accordéon

©  Marc Ginot 

Ce 17 juillet, le Festival pose ses valises en Italie : tous les concerts respirent l’italianità, berceau de tant de genres musicaux et de tant de ressources culturelles. Entre un récital de pian et le concert de l’Orchestre national de Montpellier (VERDI, DALLAPICCOLA), nous tendons l’oreille vers les « chants traditionnels du sud de l’Italie ». Sous l’immense tilleul de la cour Soulages (rectorat de Montpellier), un duo de choc embarque son auditoire vers le Salento (le talon de la botte) dans les Pouilles, mais aussi vers la Sardaigne, la Sicile. La chanteuse Maria Mazzotta (née à Lecce, double formation « classique » et traditionnelle) fait son miel de traditions poétiques et musicales du territoire, matinées d’influences balkaniques et jazzy, avec son comparse accordéoniste, Vince Abbracciante (Prix du Festival international de Castelfidardo, 2011). Les anecdotes qu’elle livre entre les 10 chansons de leur répertoire (entre le trad et la chanson populaire) tissent une délicieuse immersion italianisante. Car le tout est pimenté d’ingrédients « à la Nanni Moretti » : l’artiste et la femme se racontent plaisamment, mais sans complaisance !

Musicalement, le genre du stornello d’amore (petite histoire d’amour) ou de la pizzica (l’équivalent de la tarentelle pour sa transe curative) sont caractéristiques des Pouilles : la bravoure du duo y excelle. Le genre de la lamentation (Scura Maje) et la chanson Pisci Spada de Domenico Modugno (la pêche à l’espadon où le mâle se sacrifie pour sa femelle) complète la gamme des émotions humaines … universelles. Si l’amour est partout dans les textes (Vorei volare), son expression est immanquablement à double face avec la Mazzotta : soit la voix pure et lisse (nuance piano), soit les accents rauques ou cassés (les aigus en émission de poitrine), forte. Un peu de mezza voce ne nuirait pas … Notre préférence va vers les rythmes trépidants de pizzica, que l’accordéon fait virevolter, parfois même avec le tamburello (grand tambourin salentin) de la chanteuse. Citons enfin Tore tore tore en langue griko (grec ancien et dialecte mêlés), pour son déhanché rythmique (5/8) et l’improvisation virtuose de l’accordéoniste. Conquis, le public bisse les artistes.

18 Juillet : Fiesta latina

Programme 

Aldemaro Romero, Fuga con Pajarillo
Manuele Ponce, Concierto del Sur pour guitare et orchestre
Silvestre Revueltas (arrang. Paul Hindemith), La Noche de los Mayas, suite d’orchestre
Villa-Lobos, Bachianas Brasileiras n° 5 pour soprano et octuor de violoncelles

Artistes

Adriana Gonzalez, soprano
Thibaut Garcia, guitare

Orchestre Philharmonique de Radio-France, dir. Santtu-Matias Rouvali

 

© Marc Ginot

Par 36e degrés à Montpellier, les couleurs d’Amérique latine paraissent-elles un peu pâles le soir ? C’est ce que nous avons ressenti pendant la première partie du concert Fiesta latina du Philharmonique à l’Opéra Berlioz. La suite Fuga con Pajarillo du compositeur vénézuélien Aldemaro Romero entremêle l’écriture de la fugue au pajarillo (petit oiseau),  danse vénézuélienne, d’une manière plutôt scolaire, malgré quelques traits cuivrés évoquant le jazzband. Quant aux couleurs latino du Concierto del Sur, créé par son dédicataire guitariste (Andres Segovia en 1941), elles sonnent sans contraste dans l’interprétation scrupuleuse du jeune toulousain, Thibaut Garcia (Révélation des Victoires de la musique 2019). Sous la direction de Santtus-Matias Rouvali, habituellement plus fougueux au Festival (concert à la tête de l’Orchestre de Tampere, 2019), seuls les dialogues du soliste avec les bois du Philharmonique réveillent un hispanisme orientalisant.

Heureusement, la Fiesta surgit dès les premières notes de La Noche de los Mayas (La Nuit des mayas), musique du film éponyme (1940) du compositeur mexicain Silvestre Revueltas. L’opulence orchestrale du Philharmonique en grande formation, l’incantation des ostinati et de danses épicées transportent l’auditoire chez la civilisation préhispanique des Mayas, à l’instar des fresques d’un Diego Rivera.

Aussi intense, mais intime par sa formation (soprano et octuor de violoncelles), l’incontournable Bachianas Brasileiras n° 5 d’Heitor Villa-Lobos hisse le concert sur les cimes de l’émotion, pour toutes sortes de raisons … La première réside évidemment dans la musique elle-même qui juxtapose deux mouvements contrastés. L’aria (Cantilena), immense vocalise nostalgique posée sur le contrepoint des cordes, ou doublée par l’archet, est un miracle, qui enserre une séquence avec poème chanté « qui rit et qui pleure ». La dança qui suit (martelo) bondit d’exubérance sur un poème brésilien de Manoel Bandeira. Mais l’interprétation d’Adriana Gonzàlez, soprano d’origine guatémaltèque (prix Operalia en 2019) est aussi un miracle !  La pureté du timbre dans la Cantilena, le vibrato naturel, la justesse calée sur celle de l’excellente violoncelle solo (Nadine Pierre) ne faiblissent pas lors de la reprise pianissimo de la vocalise, bouche fermée (une performance, peu tentée par ses consoeurs). La dança entremêle ensuite les arpèges en cascade du chant vers les violoncelles, à l’instar d’une aria virtuose de J.-S. Bach, modèle du compositeur brésilien pour ses Bachianas. Troisième raison : la disposition en arc de cercle des 8 celli, la chanteuse au centre, optimise l’écoute chambriste de cette interprétation pénétrante. Et la soprano est radieuse dans sa robe et ses bandeaux tissés d’inspiration guatémaltèque.

En coulisse, nous questionnons l’artiste sur cette disposition en demi-cercle : elle confirme ce choix pour l’œuvre de Villa-Lobos « qui est de la musique de chambre, donc cela nécessite une autre acoustique et une autre disposition que l’opéra ». Ayant quitté la troupe de l’Opéra studio de Zurich afin de mener une carrière indépendante, elle souhaite « mener son développement vocal via la pratique chambriste » en parallèle de ses rôles d’opéra (la Comtesse, Micaëla, Mimi, etc). Si la référence gravée de la Bachianas est jusqu’alors celle de Sandrine Piau et d’Anne Gastinel (CD Americas, label Naïve), Adriana Gonzalez serait-elle en bonne voie pour succéder à l’historique Maria Lúcia Godoy, interprète fétiche de l’œuvre de Villa-Lobos ? Acclamés par le public, la chanteuse, le pupitre des violoncelles et le chef ont fait de cette seconde partie une fête, comme la suite de Revueltas!

Nota bene : Pour en savoir plus sur Adriana Gonzales, Première Loge l’a interviewée avant son premier prix à Operalia, puis lors de la sortie du CD de mélodies de Robert Dussaut et Hélène Covatti