LES ITALIENS À PARIS (6) : Donizetti, L’Ange de Nisida [1839]

Découvrez, dans cette nouvelle rubrique, un florilège d’opéras (du Siège de Corinthe à Don Carlos) composés par des musiciens italiens pour l’Opéra de Paris !

Donizetti, L’Ange de Nisida (composé en 1839)


LES SOURCES – LA GENÈSE

Les sources de L’Ange de Nisida remontent au XVIIIe siècle : en 1764 paraissent les  Mémoires du comte de Comminge de Mme de Tencin, ouvrage rencontrant un grand succès et adapté au théâtre quelques années plus tard par François-Thomas-Marie de Baculard d’Arnaud (1718-1805), dont la pièce Les Amants malheureux ou le Comte de Comminges (un drame en trois actes en vers) paraît en 1769 et est créée en 1790. Cette pièce met en scène un homme,  le Comte de Comminges, éperdument amoureux d’une femme (Adélaïde) qui lui est refusée pour des questions de querelles familiales. Il tue le prétendant d’Adélaïde et se réfugie à l’Abbaye de la Trappe, où il devient le frère Arsène. Malgré ses vœux, son esprit reste constamment occupé par le souvenir d’Adélaïde. La jeune femme de son côté a épousé un autre homme mais elle ne l’aime pas et en vient même à souhaiter sa mort. 

Après la mort de son mari, elle se réfugie à son tour à l’Abbaye de la Trappe où elle peut côtoyer celui qu’elle n’a cessé d’aimer en se faisant passer pour un homme, le «frère Euthime». Le Duc de Comminges (ou frère Arsène) ne découvre la véritable identité du frère Euthime que pour voir sa bien-aimée expirer dans ses bras.

Ci-contre : illustration d’Augustin de Saint-Aubin pour la dernière scène des Amants malheureux de Baculard d’Arnaud.

Baculard d’Arnaud, Les Amants malheureux ou le Comte de Comminges, acte III, scène 6 et dernière

Le jeune Baculard d’Arnaud




Ce drame de Baculard d’Arnaud inspire à Gaetano Rossi le livret d’ un melodramma semiserio : Adelaide e Comingio, que Giovanni Pacini met en musique et qui est créé le 30 décembre 1817 au Teatro Re de Milan. En 1834, Donizetti s’empare de cet opéra pour composer un opéra-comique, Adélaïde, avec l’espoir de le faire représenter à Paris. Mais le projet est abandonné, avant d’être repris sous la forme d’une nouvelle œuvre : L’Ange de Nisida.

L’ŒUVRE

Alphonse Royer vers 1840

Gustave Vaëz en 1835

Le livret de L’Ange de Nisidaopera semiseria en quatre actes) est signé Alphonse Royer et Gustave Vaëz. Il reprend plusieurs éléments des Amants malheureux ou le Comte de Comminges, si ce n’est que l’action est transposée dans l’île de Nisida ; le duc de Comminges devient le soldat exilé Leone de Casaldi, et celle qu’il aime (Sylvia et non plus Adélaïde) n’est pas une femme mariée mais est la maîtresse du roi de Naples. Leone aime Sylvia en ignorant tout de son identité et du rôle qu’elle joue à la cour. Ayant été emprisonné sur ordre du roi, Leone est libéré grâce à Sylvia, à qui le roi avait promis d’exaucer ses souhaits. Leone et Sylvia se marient, mais la jeune femme reste cependant la maîtresse du roi. Lorsque Leone comprend, il brise son épée devant le roi, s’enfuit et trouve refuge dans un monastère. Sylvia, repentante, l’y rejoint déguisée en novice et meurt dans ses bras.
La partition reprend plusieurs pages d’Adélaïde.

L’île de Nisida en 1856 (Illustrated Times)

LA CRÉATION ET LA FORTUNE DE L’ŒUVRE

L’œuvre était destinée à la France, probablement pour contourner d’éventuels problèmes avec la censure italienne en raison de la présence sur scène de la maîtresse d’un roi d’Italie. Donizetti travaille sur sa partition jusqu’à la fin de l’année 1839 (époque où l’on annonçait également la création prochaine de La Fiancée du Tyrol, un opéra qui aurait dû être une adaptation française de Il Furioso all’isola di San Domingo, créé à Rome en 1833, mais qui ne resta qu’à l’état de projet).

Il fut décidé que l’œuvre serait montée par le Théâtre de la Renaissance (alors installé salle Ventadour), comme en témoigne le contrat ci contre paraphé par Donizetti, le directeur du théâtre Anténor Joly et les librettistes Alphonse Royer et Gustave Vaëz  Mais ce théâtre fit faillite, annihilant ainsi tout espoir de création. Il fallut attendre le début du XXIe siècle (2018 exactement) pour que L’Ange de Nisida ait enfin les honneurs d’une exécution publique.

 La partition ayant été patiemment reconstituée par Candida Mantica à partir de sources diverses (dont la plupart se trouvaient à la Bibliothèque nationale de France), l’œuvre fut créée en version de concert à Londres, à la Royal Opera House, grâce à Opera Rara qui l’enregistra pour la circonstance. Joyce El-Khoury interprétait Sylvia, David Junghoon Kim Leone ; Mark Elder dirigeait l’orchestre de la Royal Opera House. La première représentation scénique de L’Ange de Nisida eut lieu l’année suivante au festival Donizetti de Bergame. Un DVD existe, dont nous vous proposons le compte rendu ici.


Si L’Ange de Nisida ne fut jamais représentée du vivant de Donizetti, la partition en fut très largement réutilisée pour une œuvre bien plus célèbre créée en 1840 : La Favorite

https://www.youtube.com/watch?v=-z48e4sj2ao

Le duo Sylvia/Leone « Ah ! Leone » (acte I) par Joyce El-Khoury et David Junghoon Kim