CD – MARINA VIOTTI : A tribute to Pauline Viardot

Les artistes

Marina Viotti, mezzo-soprano

Les Talens lyriques, dir. Christophe Rousset

Le programme

A tribute to Pauline Viardot

Extraits d’Orphée et Eurydice (Gluck/Berlioz), I Capuleti e i Montecchi (Bellini), Marie-Magdeleine (Massenet), La Juive (Halévy), Il barbiere di Siviglia (Rossini), Semiramide (Rossini), La Favorite (Donizetti), Les Troyens (Berlioz), Sapho (Gounod), Samson et Dalila (Saint-Saëns).

1 CD Aparté, septembre 2022.

Nous n’entrerons pas dans le débat parfaitement vain consistant à chercher si oui ou non la voix de Marina Viotti est le reflet fidèle de celle de Pauline Viardot : la sœur de Maria Malibran s’est tue il y a quelque cent-dix ans, et aucun témoignage de l’époque, fût-il très renseigné et rédigé par un expert, ne pourra rendre parfaitement compte de la technique de la chanteuse, de sa façon de phraser, encore moins du grain de sa voix. Toutes les comparaisons que l’on pourrait tenter entre les deux artistes sont donc condamnées à relever de la pure hypothèse… Ce qui est sûr, c’est que Marina Viotti, qui n’interprète ici que des rôles jadis chantés par Viardot (parfois en extraits seulement) fait montre dans cet album de la même adaptabilité stylistique, d’un ambitus exceptionnellement étendu, et d’une technique suprêmement maîtrisée – comme l’était de toute évidence celle de son illustre aînée.

https://www.youtube.com/watch?v=WN_Jfv3Fi8E

Côté style : dans le répertoire français, on apprécie un sens certain de la déclamation, avec une attention aux mots, une noblesse et une grandeur dépourvue d’emphase (Sapho) et, quand il le faut (Marie-Magdeleine), une douceur et une sobriété très bienvenues. Dans le répertoire belcantiste, la voix se pare de couleurs plus chaudes et rend parfaitement justice tant aux douces cantilènes belliniennes (I Capuleti) et donizettiennes (« Ô mon Fernand » de La Favorite, pour peu qu’on considère cet opéra français comme « belcantiste ») qu’à la véhémence des cabalettes : la « tremenda ultrice spada » de Roméo – malheureusement privée de sa reprise – est virile à souhait, le « Io sono docile » de Rosine plein de rouerie, le « Dolce pensiero » de Semiramide flamboyant, agrémenté d’ornementations au goût très sûr.

Côté technique, on ne sait qu’admirer le plus. C’est peut-être la façon de lier les registres et notamment d’atteindre le registre grave qui séduit le plus, les graves se distinguant par leur facilité et leur élégance : ils sont naturellement intégrés à la ligne de chant, poitrinés juste ce qu’il faut pour prendre chair tout en tenant toujours à distance toute vulgarité. Écoutez notamment la sobriété avec laquelle est chantée la dernière phrase de Dalila (« … succombera à mes efforts ») : le contraste avec d’autres interprètes, souvent tentées d’en faire beaucoup dans cette descente progressive vers les notes les plus grave de la tessiture, est étonnant ! Les vocalises des cabalettes sont par ailleurs crânement assurées, et la maîtrise du souffle absolument impressionnante : il semble quasi inépuisable dans les vocalises de « Dolce pensiero » ! Cette maîtrise autorise à la mezzo un chant legato de toute beauté, conférant aux plaintes de Sapho (« Ô ma lyre immortelle ») ou de Léonore une grande poésie. L’air de La Favorite nous semble d’ailleurs particulièrement réussi et Marina Viotti pourrait sans doute exceller dans ce rôle : nous avons l’habitude d’entendre en Léonore soit des françaises parfaitement compréhensibles mais peu rompues au style donizettien, soit des chanteuses non-francophones maîtrisant la grammaire belcantiste mais peu compréhensibles. Marina Viotti est sans doute aujourd’hui l’une des rares chanteuses à maîtriser parfaitement ces deux composantes, indispensables à une bonne interprétation du rôle.

Reste la voix en elle-même : elle est d’une grande beauté et conserve son velours sur l’ensemble de la tessiture. Tout au plus sera-t-on parfois un peu surpris à l’écoute de certaines pages françaises (Marie-Magdeleine, Sapho, Les Troyens), dans lesquelles on est habitué à entendre des timbres plus larges, plus dramatiques – façon Crespin… Mais la relative légèreté de la voix est compensée par la véhémence de l’accent, et elle confère par ailleurs aux personnages une certaine fraîcheur, une juvénilité très intéressantes. Et puis n’oublions pas qu’il s’agit bien ici de rendre hommage à Pauline Viardot ; or si la contralto était capable, comme l’écrit Berlioz, de « déployer le luxe d’une vocalisation brillante et légère » dans le rondeau final de La Cenerentola[1], c’est qu’elle disposait probablement d’une voix relativement légère et souple, sans doute plus proche finalement de celle de Marina Viotti que de celle d’une Régine Crespin !

Signalons enfin l’excellence de l’accompagnement orchestral. Sous la baguette de Christophe Rousset, les Talens lyriques font merveille : la transparence et la poésie du style français sont bien sûr au rendez-vous ; mais le chef et son orchestre confèrent également aux pages italiennes une tendresse ainsi qu’une urgence dramatique, quand nécessaire, que l’on entend rarement dans ce répertoire : le crescendo rossinien est habité et non pas mécanique, les pizzicati de l’ouverture de Semiramide ne sont nullement décoratifs mais nimbent la page d’un mystère envoûtant… Il n’est jusqu’à l’ouverture de La Favorite, qui n’avait jamais vraiment attiré notre attention, qui ne revête ici un relief tout particulier. De toute évidence, Christophe Rousset et ses musiciens ont quelque chose à dire dans ce répertoire…

Un superbe programme servi par une artiste précieuse, qu’on retrouvera avec plaisir à Paris dans La Périchole au Théâtre des Champs-Élysées
Une question pour finir : quel directeur d’un théâtre hexagonal se décidera à inviter la superbe Voix humaine que Marina Viotti a chantée à Lisbonne  en décembre 2020 sous la direction de son frère Lorenzo et dans la belle mise en scène de Vincent Huguet ? Le spectacle, dont nous avons rendu compte ici, nous avait fait forte impression et il serait dommage qu’il ne fasse l’objet d’aucune reprise…

Retrouvez Marina Viotti en interview ici !

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[1] Revue et Gazette musicale du 27 février 1842