ALADDIN de C.F.E. Horneman : découvrir un opéra romantique danois

Les artistes

Aladdin : Magnus Tødenes 
Gulnare : Dénise Beck
Nouredin : Johan Reuter 
Sultan :  Stephen Milling 
Vizir : Henning von Schulman 
Morgiane : Hanne Fischer
Génie de la lampe : Steffen Bruun
Génie de l’anneau : Elisabeth Jansson 
 Servantes : Frederikke Kampmann, Sidsel Aja Eriksen
Elfes : Klaudia Kidon, Rikke Lender 
Messager : Jakob Soelberg 

Orchestre symphonique national danois, Choeur du Concert national danois, direction Michael Schønwandt.

Le programme

Aladdin

Opéra en 4 actes de C.F.E. Horneman, livret de Benjamin Pedderson d’après le conte des Mille et une nuit et la pièce d’Adam Oehlenschläger, créé le 19 novembre 1888.

3 CD Dacapo, mai 2022 (durée : 3 h). Livret en danois et traduction anglaise.

Si certains auditeurs connaissent la musique de scène d’Aladdin de Carl Nielsen (Copenhague, 1919), qui aurait écouté l’opéra romantique Aladdin (Copenhague, 1902) du compositeur Horneman, hors des frontières danoises ? Sous la baguette de Michael Schonwandt, cet excellent enregistrement, répare une faille tant l’œuvre est d’un bout à l’autre captivante, alliant l’influence orientaliste des Mille et une nuits aux ambiances mystérieuses de l’Europe nordique.

Transposer le conte des Mille et une nuits en un opéra de 4 actes

Signé de Benjamin Pedderson, le livret d’Aladdin est réalisé d’après deux sources : Les Mille et une nuit en sus de la pièce éponyme du dramaturge danois, Adam Oehlenschläger. Pièce dont la reprise génère d’ailleurs la future musique de scène de Nielsen, disciple admiratif de Horneman. Au fil des quatre actes, les aventures du jeune et naïf Aladin sont presque aussi animées que celles de Peer Gynt, via Grieg et Ibsen.

Le sorcier Nouredin et le jeune Aladin percent le secret d’entrée d’une grotte.  L’intérieur se transforme en univers de plantes et fruits en pierres précieuses dès la rencontre avec le Génie de la lampe. Le ballet d’elfes et de gnomes dansant autour d’Aladin cède la place à l’apparition du Génie féminin de l’anneau. Aladin exprime le souhait de retourner dans sa modeste demeure familiale, à Ispahan. Exaucé, il est emporté sur un nuage (Ier acte).

Morgiane, mère d’Aladin, chante lorsque son fils vient lui confier son amour naissant pour la princesse Gulnare, qui a manifesté ses sentiments en lui lançant une rose. En frottant la lampe, la scène se métamorphose en palais somptueux où Aladin, devenu riche, demande la main de la princesse au Sultan, tandis que le traitre Nouredin vole la lampe (II).

Au palais du Sultan, Gulnare pleure la disparition de celui à qui elle a secrètement donné son cœur.  Lorsque le Sultan conduit Aladin à la princesse, sa promise, elle réalise que son futur époux n’est autre que son secret admirateur. Dans un duo, tous deux se promettent une fidélité éternelle. Les fêtes du mariage débutent par un somptueux ballet d’esclaves. Lors d’une brutale interruption, Gulnare est enlevée. Fou de douleur, le sultan donne 40 jours à Aladin pour ramener sa fille Gulnare (III).

Dans un cimetière, la nuit, un chœur invisible d’esprits et de génies du sommeil berce Aladin endormi près de la tombe maternelle. Réveillé, il exprime au Génie de l’anneau son désir de retrouver Gulnare. La scène se transforme en un palais d’où la belle contemple le désert en pleurant la perte de son bien-aimé. Nouredin apparaît et rage qu’elle soit insensible à ses avances, en dépit du pouvoir que lui confère le Génie de la lampe. Au moment où il s’empare de Gulnare, Aladin surgit, le terrasse avec son épée avant de récupérer la précieuse lampe. Les amoureux retournent à Ispahan où le Vizir leur annonce que le décès du Sultan, mort de chagrin depuis le rapt de sa fille, libère la succession en faveur d’Aladin. Le peuple se réjouit en louangeant les nouveaux époux (IV).

Horneman, le Schumann de Copenhague

La carrière de Christian Frederik Emil Horneman (1840-1906) est symptomatique des difficultés que les compositeurs romantiques sans mécénat ont affrontées, forcés d’assumer plusieurs métiers. Fils du pianiste Johan Ole Emil Horneman, petit fils du peintre Christian ayant portraituré Beethoven, le jeune musicien accomplit de solides études musicales à Leipzig, condisciple du jeune Edvard Grieg. Revenu au Danemark, le jeune Horneman s’engage dans la promotion de la génération nordique en fondant la Société Euterpe de Copenhague avec la complicité de son ami Grieg. En assumant les multiples fonctions d’éditeur de musique, d’enseignant à l’Institut musical, Horneman consacre un temps restreint à la composition de musique vocale, de scène, symphonique  – Ein Heldenleben (Une vie de héros[1]). Après la réception enthousiaste de son Ouverture d’Aladdin (1866), il poursuit la longue gestation de son opéra qui le conduit aux représentations de 1888, puis à la refonte de l’œuvre pour celles triomphantes de 1902, au Royal Danish Theatre (version de ce CD).

Si l’écriture vocale et symphonique ressortit à l’école romantique nordique, sans l’héroïsme wagnérien – Aladdin n’est pas Siegfried, en dépit de l’épée – la puissance dramatique du chœur semble la composante originale de cet opéra, chant du cygne de Horneman. Certes, l’orchestration romantique magnifie les scènes pompeuses, apanage de l’opéra romantique, tel l’acte au palais du Sultan (III). Cependant, la mobilité des tempi et des nuances de l’ouverture (influence de Mendelssohn depuis les études à Leipzig ?), l’agitation qui sourd des accompagnement (Scène des esprits au cimetière, n° 12 au IVe acte) et la sauvagerie des danses (les cris Hejo ! pour la Danse des Elfes, n° 11 du Ier acte) outrepassent l’académisme. Certains motifs qualifient les rôles – dont celui des cors pour le Génie de la lampe – sans que le wagnérisme ne devienne un référent envahissant, d’autant que la tonalité irrigue le langage avec quelques détours vers la modalité. La couleur orientale s’exprime à l’évidence dans les ballets rutilants du 3e acte (n° 1 et 8 du IIIe acte), à l’instar de ceux d’Aida. Mais l’auditeur est tout aussi envouté lors des sortilèges plus mystérieux des deux Génies qui semblent personnifier les forces du mal contre celles du bien.

L’homogénéité de la distribution offre un éclat particulier à cette découverte discographique. Le trio des protagonistes – Aladin, Nouredin, Gulnare – est d’une excellente tenue. Ténor dramatique, Magnus Tødenes (Aladdin) sait fleurter avec le registre de naïveté native (cantilène n° 13 du IVe acte, a cappella). Un registre fort éloigné des rôles contemporains de premier ténor, penchant soit vers l’héroïsation (Wagner), soit vers la sensualité (Massenet). Pour autant, la fougue amoureuse surgit à bon escient, exigeant une belle densité vocale (duo d’amour n° 5, III). En princesse Gulnare, Dénise Beck convainc plus par son engagement (duo avec Nouredin, IV) que par son soprano, à l’aigu parfois tendu. Le baryton basse Johan Reuter (Nouredin) affirme une personnalité d’opposant en incarnant les forces maléfiques tant par le timbre que par ses accentuations incisives. En outre, les deux Génies de cette originale dramaturgie trouvent des interprètes investis : celui masculin de la lampe (la basse Steffen Bruun) n’éclipse pas celui féminin de l’anneau : le soprano Elisabeth Jansson rayonne dans le halo d’arpèges de harpe, associée à son apparition (actes I et IV). Chez les basses, la solennité du Sultan (Stephen Milling) est surpassée par celle du Vizir (Henning von Schulman). Parmi les autres rôles féminins, signalons la prestation du mezzo Hanne Fischer (Morgiane) et la souplesse juvénile des comparses, elfes (Klaudia Kidon, Rikke Lender) ou bien servantes (Frederikke Kampmann, Sidsel Aja Eriksen[2].

Toutefois, ce sont les chœurs qui touchent le plus par leur expressivité, leur volupté (1er et 2e actes) et la couleur mystique qui tend à balayer celle orientaliste au fil de l’opéra (n° 15 du IVe acte), d’autant qu’ils incarnent des êtres surnaturels (gnomes, elfes, esprits) ou bien le peuple. L’influence du Schumann des Scènes de Faust est indéniable, sans que la comparaison minore le talent de Horneman. Et le chœur conclusif de réjouissance populaire aborde un fugato impressionnant. Impressionnant est aussi ce qui qualifie le maître d’œuvre de cet enregistrement, le chef Michael Schønwandt. Lors d’une récente interview, le maestro danois nous expliquait comment la dramaturgie d’un enregistrement d’opéra diffère de celle d’une représentation scénique. Mission accomplie à la tête de formations performantes, le Danish National Symphony Orchestra et le Danish National Concert Choir.

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[1] Avant Richard Strauss…

[2] Signalons le délicieux trio d’ouverture du IIIe acte avec Gulnare.