Jonathan TETELMAN, Arias : un CD en forme de (séduisante) carte de visite

Les artistes

Jonathan Tetelman, ténor
Vida Miknevičūté, soprano
José Simerilla Romero, ténor

Capella Cracoviensis, Orquesta Filarmónica de Gran Canaria, dir. Karel Mark Chichon.

Le programme

Arias

Ponchielli, Amilcare
Cielo e mar [La Gioconda, Acte II]

Giordano, Umberto
Amor ti vieta [Fedora, Acte II]

Verdi, Giuseppe
Non maledirmi, o prode [I due Foscari, Acte II]

Flotow, Friedrich von
M’apparì tutt’amor [Martha, Acte III]

Bizet, Georges
La fleur que tu m’avais jetée [Carmen, Acte II]

Cilea, Francesco
La dolcissima effigie [Adriana Lecouvreur, Acte I]

Verdi, Giuseppe
La vita è inferno… O tu che in segno agli angeli  [La Forza del Destino, Acte III]

Giordano, Umberto
Come un bel dì di Maggio [Andrea Chénier, Acte IV]

Zandonai, Riccardo
Paolo datemi pace… Perché volete voi ch’io rinnovi  [Francesca da Rimini, Acte III]

Massenet, Jules
Toute mon âme est là – Pourquoi me réveiller [Werther, Acte III]

Mascagni, Pietro
Mamma, quel vino è generoso (Addio alla madre) [Cavalleria rusticana, Scène 11]

Puccini, Giacomo
Addio fiorito asil [Madama Butterfly, Acte III]

Verdi, Giuseppe
Ah! sì, ben mio, coll’essere… Di quella pira [Il Trovatore, Acte III]

1 CD Deutsche Grammophon, 2022. Enregistré en octobre-novembre 2021 à l’auditorium Alfredo Kraus, Las Palmas de Gran Canaria. (56:40)

C’est toujours un grand plaisir de constater l’envol d’un artiste prometteur, dont nous avions remarqué le talent à l’occasion de différents spectacles donnés ici et là dans l’hexagone : Jonathan Tetelman n’est en effet pas inconnu du public français, qui a pu applaudir son beau Pinkerton à Montpellier, son Mario émouvant à Lille, et surtout son Stiffelio bouleversant dans le superbe spectacle proposé par l’Opéra du Rhin il y a tout juste un an. Ce CD, gravé pour Deutsche Grammophon, confirme la place de choix que le chanteur semble appelé à tenir dans le cercle somme toute assez fermé des ténors lyriques et lirico-spinto (même si pour le répertoire spinto, Jonathan Tetelman doit sans doute avancer encore prudemment…).

Côté enregistrement, les choses ont été bien faites : la Capella Cracoviensis, la soprano Vida Miknevičūté et le ténor José Simerilla Romero apportent à Jonathan Tetelman une réplique soignée, et l’Orquesta Filarmónica de Gran Canaria, sous la direction de Karel Mark Chichon, trouve pour chaque extrait du programme les accents idoines. Pour le livret, c’est autre chose : nous sommes chez Deutsche Grammophon, il faut donc se contenter, comme c’est maintenant devenu la norme (sauf, paradoxalement, chez les petites firmes discographiques), d’un texte de présentation en allemand traduit en anglais. Les textes chantés ne bénéficient quant à eux d’aucune traduction, ce qui relève – pour le moins – d’un manque de pédagogie, tout le monde ne connaissant pas sur le bout des doigts les livrets de Martha, Fedora, I due Foscari ou Francesca da Rimini

Verdi, Bizet, Masgani, Cilea, Massenet, Flotow : le programme du CD peut certes sembler un peu disparate. Il a sans doute été pensé tout simplement comme une carte de visite permettant au ténor de faire valoir et faire connaître au public les différentes facettes de son talent. Si Jonathan Tetelman a commencé, comme Domingo, par chanter dans la tessiture de baryton, son timbre est aujourd’hui lumineux, avec un aigu facile et ensoleillé. Le grave est certes facile, mais la voix ne présente pas ces couleurs sombres et barytonnantes que l’on trouvait précisément chez Domingo – ou que l’on entend aujourd’hui chez Kaufmann. La projection, qui pouvait il n’y a guère sembler un peu inégale en fonction des registres, a gagné en homogénéité et la voix se déploie maintenant sans effort apparent sur l’ensemble de la tessiture. Si l’on ajoute à cette qualité une belle versatilité stylistique qui lui permet d’être parfaitement convaincant dans le romantisme allemand (même si la romance de  Lyonel « Ach, so fromm » est ici chanté dans sa version italienne), le répertoire français (son français est particulièrement limpide !), le romantisme et le vérisme italiens, on comprendra que nous tenons là un artiste que les premières scènes mondiales devraient rapidement être impatientes d’inviter ! D’autant que ces qualités vocales se doublent d’une présence scénique incontestable.

Plus encore que la facilité vocale, c’est la sobriété de l’interprétation que nous apprécions chez Jonathan Tetelman – une sobriété qui n’exclut nullement la chaleur ni l’émotion ! -, notamment dans le répertoire italien du second ottocento où certains de ses collègues s’abandonnent parfois à des effets quelque peu faciles. Interprétées avec un gout très sûr, les pages de Giordano, Cilea ou Zandonai retrouvent ici toute leur noblesse. Appréciable également est le sens des nuances dont Tetelman fait preuve à maintes reprises : le « O tu che in seno agli angeli » de La Forza del destino, le « Bella tu sei » final de l’air de Maurizio (Adriana Lecouvreur), abordés en voix mixte avec une douceur extrême, sont de toute beauté, le diminuendo par lequel s’achève l’air de la fleur (Carmen) parfaitement réussi… Seule concession (bien pardonnable !) à l’hédonisme vocal : un contre-ut longuement et spectaculairement tenu à la fin de la « Pira » de Manrico qui conclut en beauté ce beau CD, à découvrir si vous ne connaissez pas encore ce ténor attachant, en attendant de le retrouver en France en avril prochain dans le Requiem de Verdi (à la Philharmonie de Paris).

https://www.youtube.com/watch?v=x4v9a-M-wo8