CENTENAIRE DE LA MORT DE PUCCINI
Quel hommage rendre au compositeur lucquois ?

Avec le centenaire de la mort de Puccini ressurgissent un débat et des questionnements pour le moins rebattus : faut-il saisir l’occasion de dates anniversaires pour rendre hommage à tel ou tel compositeur ? Célébrer un musicien aussi fameux, aussi présent sur les scènes lyriques que Giacomo Puccini a-t-il vraiment un sens ?

Selon nous, à ces deux questions, la réponse est oui.

D’abord parce qu’il est indispensable, plus que jamais, de se décentrer (le monde n’est pas fait que de lyricophiles avertis !) et de penser au grand public en général et aux jeunes générations en particulier, pas toujours familiers de la culture dite « classique » – une culture dont, au demeurant, la visibilité se fait chaque jour un peu plus discrète dans notre société… Rappeler l’importance du compositeur lucquois dans l’histoire de l’opéra et de la musique n’est pas anodin, et ce sera peut-être l’occasion de faire découvrir aux néophytes d’autres pages que les sempiternels « O mio babbino caro » ou « Nessun dorma », morceaux favoris des chanteurs amateurs tentant leur chance devant les jurys de The Voice ou La France a un incroyable talent.

Ensuite parce qu’il existe diverses façons de rendre hommage à un compositeur, dût-on le compter au nombre des plus célèbres musiciens du répertoire. Il est certain que programmer une énième reprise de La bohème ou Turandot ne présente que peu d’intérêt, sauf à proposer une lecture musicale ou scénique exceptionnelle… Sur ce plan-là, rares sont les théâtres aux programmations véritablement excitantes, à l’exception peut-être de la Turandot viennoise, qui a vu s’affronter en décembre dernier Asmik Grigorian et Jonas Kaufman dans les deux rôles principaux, dans une mise en scène signée Claus Guth. Une affiche très alléchante sur le papier, pour un spectacle auquel nous n’avons pu assister mais qui sera repris en juin.
Mais il existe bien sûr d’autres options, à commencer par la programmation d’œuvres rarement entendues : Le Villi, Edgar, La Rondine, La fanciulla del West, Il trittico et même Manon Lescaut sont extrêmement rares sur les scènes françaises – voire mondiales…
Edgar sera le grand absent de cette année du centenaire. En France, seul Lyon osera La fanciulla del West (en mars). Mais pour entendre La Rondine, il fallait se rendre cet automne à Zurich ou Turin, ou il faudra aller à New York en mars-avril, à Vienne ou encore à Milan en avril ; Le Villi, si l’on excepte les programmations des festivals, ne seront donnés qu’à Liège et Turin. Il trittico est un peu mieux servi : la production d’Amsterdam, en particulier (Barrie Kosky/ Lorenzo Viotti) est assez alléchante. Mais inexplicablement, Manon Lescaut, , véritable chef-d’œuvre du répertoire, si l’on excepte là encore la programmation des festivals, ne sera à l’affiche que du Teatro communale de Bologne ! Pour rappel, l’Opéra de Paris n’a jamais connu qu’une seule production de cette œuvre (Carsen, 1991), absente de l’affiche depuis presque 30 ans. Et faut-il rappeler que La Rondine ou Le Villi n’ont tout simplement jamais été joués sur la première scène nationale ?

Autre option : proposer au sein de la programmation annuelle une sorte de « festival » qui soit consacré au compositeur et qui permette d’avoir un aperçu plus moins complet de son œuvre et d’apprécier l’évolution de son écriture musicale au fil des ans. C’est nous semble-t-il la seule option rendant intéressante la présence de reprises d’œuvres (ou de spectacles) bien connus. Mais là encore, les théâtres, et plus particulièrement les théâtres français, se montrent bien frileux… à l’exception de Bologne qui affiche lors de sa future saison Manon Lescaut, Il trittico et Tosca, de la Deutsche Oper de Berlin (qui, outre des reprises de Tosca, La bohème, Turandot, Madama Butterfly, a proposé cet automne une nouvelle production d’Il trittico), et surtout Turin, qui ose en une seule et même saison quatre des cinq ouvrages pucciniens les moins souvent joués : La rondine, Le villi, La fanciulla del west, et Il trittico dans la bouleversante production de Tobias Kratzer déjà applaudie à Bruxelles.

Enfin, on ne peut que déplorer la rareté d’événements culturels autres que purement musicaux liés à cette date anniversaire : l’Opéra de Paris aurait pu par exemple, dans le petit musée du Palais Garnier, proposer une exposition sur les différentes productions pucciniennes liées à la première scène nationale ! Ç’aurait été une belle occasion de voir des photographies, peut-être des costumes, des maquettes de décor, de productions ayant marqué leur temps – et d’apprécier ainsi l’évolution des goûts et des esthétiques : La bohème de Samaritani en 73 (dans laquelle chanta Ileana Cotrubas), ou celle de Jonathan Miller ; la Butterfly de Lavelli (1978), ou celle de Samaritani (1983, avec Raina Kabaivanska) ; la Manon Lescaut de Carsen ; la Turandot de Margarita Wallmann et Seiji Ozawa (1981), avec Montserrat Caballé ; la Tosca de Zeffirelli et Callas (1965), ou celle de Jean-Claude Auvray (1982) dans laquelle chantèrent rien moins que Gwyneth Jones, Hildegard Behrens, Raina Kaibavanska, Luciano Pavarotti et Sherill Milnes !

Autant d’occasions manquées… mais celles et ceux qui peuvent se permettre de voyager n’hésiteront pas à se rendre à Turin, Bologne, Vienne, Amsterdam… sans parler des festivals, celui de Torre del Lago notamment, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.