MATHIAS VIDAL – érudition, passion, profusion !

Rencontre passionnante et sympathique avec MATHIAS VIDAL au lendemain de son Enfance du Christ nantaise et à la veille de son Tamino versaillais. Le chanteur nous dit tout de son parcours, ses envies, ses passions, ses rêves… 

Mathias Vidal, ou le talent, l’érudition, la gentillesse et la modestie faits ténor ! 

L’Auberge du Cheval Blanc à l’Opéra de Lausanne en 2021. © Jean-Guy Python

Je rencontre Mathias Vidal dans un petit café près de Bastille. Il est 21 heures : malgré l’heure tardive et une journée de travail à Versailles où il répète La Flûte enchantée, le ténor m’accueille avec un franc sourire et entame la discussion avec un enthousiasme qui n’a d’égal que sa gentillesse : au bout de quelques minutes, alors que nous nous rencontrons pour la première fois, j’ai l’impression de dialoguer avec un ami de longue date !  

Ténor, mais pas que… tant Mathias Vidal déborde d’énergie, de projets, d’envies touchant à une variété de domaines bien plus large que le seul chant et la stricte technique vocale : intarissable – et extrêmement renseigné ! – sur des sujets aussi pointus que les typologies vocales, les affinités (voire la continuité) entre les répertoires italien et français, la prononciation reconstituée

© Bruno Perroud

du français des siècles passés, la nécessité ou non de faire telle ou telle liaison (« Pourquoi donc faire une liaison entre un verbe et son complément, quand les règles de la prosodie l’interdisent ? »), de ne pas lier ou de lier les mots entre eux dans le chant allemand, Mathias Vidal, dans ses propos, témoigne d’une érudition impressionnante, jamais pédante, que servent des propos empreints de clarté et de pédagogie.

Des vertus qui ont sans doute convaincu Philippe Do de faire appel à lui pour intervenir en tant que coach lors de la préparation des jeunes chanteurs participant aux récents concerts du Fonds Tutti (voyez notre compte rendu ici). Quand on lui demande s’il a lui même connu des « mentors » ayant contribué à sa formation artistique, Mathias Vidal parle surtout de rencontres, dont deux ont été particulièrement marquantes : les regrettés Christiane Patard, sa professeure de chant, mais aussi Pierre Jourdan qui, à Compiègne, lui permit de se familiariser avec le répertoire français, du XIXe siècle notamment.

https://www.youtube.com/watch?v=VZY-q5aYO7M

Platée : « Charmant Bacchus »

Car si Mathias Vidal est souvent considéré comme un spécialiste de la musique baroque, il estime que certains collègues (Cyril Auvity, Reinoud Van Mechelen par exemple), méritent bien plus cette qualification que lui-même, dont les interventions dans ce répertoire, pour brillantes qu’elles soient (remarque du rédacteur !), concernent surtout certains compositeurs bien précis, au nombre desquels on compte Rameau (Platée, Hippolyte et Aricie, Les Indes galantes, Le Temple de la gloire, Zoroastre,…) ou encore Monteverdi (Il Ritorno d’Ulisse in Patria, L’Incoronazione di Poppea, L’Orfeo,…). La voix et la technique de Mathias Vidal sont également particulièrement bien adaptées à la musique française des XVIIIe et XIXe siècles, d’autant que l’on renonce à solliciter dans ces répertoires, depuis quelque temps, des ténors dont l’émission « en force » est sans doute assez éloignée des canons esthétiques en vogue à l’époque où les œuvres furent composées.

https://www.youtube.com/watch?v=6gPiG1g5OuQ&list=PL_t82LwFebfsTuT4M8qKvkRGt2i_uEst3

La Damnation de Faust : « Merci, doux crépuscule »

C’est ainsi que Mathias Vidal a pu proposer en 2019 un étonnant Faust dans une Damnation dirigée par François-Xavier Roth (aux côtés d’Anna Caterina Antonacci et de Nicolas Courjal). De Berlioz, Mathias a également déjà chanté Lélio ou, tout récemment, L’Enfance du Christ dans un très beau concert nantais dirigé par Hervé Niquet. Mais il a également pris part aux productions ou enregistrements de Cinq-Mars et La Princesse jaune de Saint-Saëns, Les Bayadères de Charles-Simon Catel, ainsi que plusieurs œuvres d’Offenbach – dont La Périchole, avec le rôle de Piquillo pour lequel il garde une grande tendresse et qu’il aimerait beaucoup  chanter de nouveau un jour. Les rôles comiques, il connaît bien et il les apprécie… à condition toutefois d’avoir l’impression, en les chantant, de rester lui-même et de pas avoir à surjouer ou à sortir de ce qui est sa vraie nature. Mais c’est avec grand plaisir qu’il a pris part aux récentes productions de La Fille de Madame Angot, des Chevaliers de la Table ronde, ou encore de L’Auberge du Cheval blanc, un spectacle mis en scène par Gilles Rico à Lausanne il y a tout juste un an et repris en ce moment à l’Opéra de Marseille.

https://www.youtube.com/watch?v=9_GZzi0EH4c

L’Auberge du Cheval blanc : « Il est un p’tit peu chlass vot’ Léopold »

Outre le répertoire français, on sait peut-être moins que Mathias Vidal aborde aussi avec succès le bel canto : il y a eu bien sûr, en 2019, ce Comte Ory très réussi à Rouen, aux côtés de Perrine Madoeuf et mis en scène par Pierre-Emmanuel Rousseau. Mais Mathias est aussi un excellent Elvino de La Sonnambula, ou d’irrésistibles Ernesto de Don Pasquale, Ramiro de La Cenernetola et Almaviva du Barbier.

https://youtu.be/Dyegk-jDZMo

Don Pasquale : « Sogno soave e casto »

Le ténor revendique cet éclectisme, qui l’a même conduit à interpréter le rôle-titre du Zwerg de Zemlinsky, ou à participer à la nouvelle et récente production de Salome à l’Opéra Bastille, et trouve triste que certains mélomanes ou musiciens ne trouvent de plaisir que dans un seul type de répertoire… Il tient d’ailleurs absolument à préserver cet éclectisme, grâce auquel il a déjà pu aborder les répertoires et les rôles les plus variés – même s’il ne chantera sans doute plus « Vesti la giubba » de Paillasse, avec lequel il s’était présenté pour une audition aux chœurs de Nice !  « L’audition ne s’est pas mal passée, mais le jury, où se trouvait entre autres Giancarlo del Monaco, m’a fait promettre de ne plus jamais chanter cet air !! Sinon, il reste bien sûr certains rôles que je souhaiterais vraiment chanter, en particulier Nemorino… Mais ce sera bientôt chose faite, grâce à Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes, qui montent L’Élixir d’amour cette saison, en mai et juin prochains ! Côté français, il y a aussi un très beau rôle qui se prépare pour la saison 23-24, dans un opéra de région… Vous en saurez plus très prochainement ! »

À propos des théâtres de régions, Mathias Vidal caresse un doux rêve : arracher certaines salles à leur statut de « belles endormies » : « Combien de très belles salles de province dorment actuellement et sont fermées au public, faute de volonté politique et/ou de projet artistique… En Allemagne, nombreuses sont les petites villes à avoir leur propre théâtre, leur propre opéra, qui constituent même parfois le cœur économique de la cité. Il faudrait vraiment trouver les moyens, la volonté, le courage de faire de même chez nous ! ».

Un nouveau défi pour notre ténor ? Qui sait… Son enthousiasme est tel qu’on le sent prêt à déplacer des montagnes ! En attendant, rendez-vous à l’Opéra de Versailles où il reprend le rôle de Tamino « en français, avec l’esprit qui était celui de Mozart et Schikaneder lorsqu’ils décidèrent d’écrire une œuvre – un singspiel, en allemand – qui soit à la portée de tout un chacun ! » Ne manquez pas ce délicieux spectacle, donné jusqu’au 1er janvier, qui avait enthousiasmé notre chroniqueur Tom Mébarki lors de sa création à l’Opéra d’Avignon en 2019.

Cosi fan tutte au Théâtre du Capitole de Toulouse en 2020. © Mirco Magliocca