KATHRYN LEWEK : rencontre avec un soprano drammatico d’agilità d’exception !

Après une Reine de la Nuit très remarquée à Aix-en-Provence, elle vient de triompher en Lucia à Nice : rencontre avec Kathryn Lewek, qui nous dit tout de sa voix aux facilités étonnantes, de ses prochains rôles, programmés ou rêvés, de son amour pour le répertoire français.

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Die Zauberflöte, « Der Hölle Rache »

STÉPHANE LELIÈVRE : Kathryn Lewek, la France vous connaît bien, vous avez eu un grand succès à Aix dans la Reine de la nuit, et vous venez de triompher en Lucia à Nice : comment avez-vous été amenée à chanter en France ? Vous aimez chanter dans notre pays ?
KATHRYN LEWEK : J’aime chanter en France, sans aucun doute ! D’une part le public français manifeste très volontiers son enthousiasme, d’autre part il a une très bonne connaissance du contexte culturel de chaque opéra, comme des efforts et de l’engagement que nécessite pour les chanteurs une représentation. Cela fait une heureuse combinaison qui est très agréable pour les artistes !

S.L. : Vous avez eu un très grand succès public et critique en Lucia. Comment situez-vous votre interprétation par rapport à toutes les illustres chanteuses qui vous ont précédé ? On a entendu dans le rôle des sopranos  légers, d’autres plus lyriques, des sopranos dramatiques d’agilité…
K.L. : J’ai un infini respect pour les grandes chanteuses qui m’ont précédé – Maria Callas bien sûr, mais également Beverly Sills, ou Joan Sutherland qui sont pour moi de grandes sources d’inspiration. J’ai grandi en visionnant et en écoutant d’anciens enregistrements de ces artistes… Le fait, notamment, d’étudier l’intensité dramatique avec laquelle Maria Callas a abordé ses rôles – sans même parler de son chant ! – est extrêmement instructif.
La plupart des chanteuses ont commencé par le chant en général, avant de se tourner vers l’opéra en particulier. Mon parcours est un peu différent : j’ai commencé l’étude de la musique par le piano classique, et j’admire tout particulièrement Rachmaninoff, Liszt, Mozart ou Beethoven. J’ai également étudié et pratiqué l’art dramatique quand j’étais jeune. Et c’est ainsi que je suis venue à l’art lyrique : l’opéra a constitué une façon de concilier mon amour de la musique classique, dont je voulais qu’elle fasse à jamais partie intégrante de ma vie, et mon amour de l’art dramatique, qui me pousse à donner toute l’intégrité et l’authenticité que je peux aux rôles que j’interprète.

S.L. : Dans la scène de la folie, qui a justement été à Nice un moment de haute intensité dramatique, vous avez choisi une cadence originale, qui n’est pas celle que nous entendons habituellement. Pourquoi ce choix ?
K.L. : Lorsque j’ai commencé à travailler ce rôle il y a huit ans, j’ai décidé d’utiliser ma propre cadence – après tout, d’autres chanteuses, Beverly Sills, Joan Sutherland, avaient leur propre cadence, pourquoi pas moi ? L’intensité dramatique portée par chaque vocalise est pour moi de la plus haute importance. J’ai voulu utiliser ce moment de l’œuvre, où l’héroïne se remémore son passé,  pour essayer de faire comprendre comment le personnage a évolué au fil de l’opéra. On doit parvenir à comprendre ainsi quelle est la source de son instabilité, comment elle trouve sa source en elle, comment, au fil du temps, le psychisme de cette jeune fille évolue au point qu’elle finisse par mourir de folie. On ne peut pas passer sans transition du portrait d’une jeune fille sans histoire, à une héroïne tragique mourant de folie. Il doit y avoir un point de départ à cette instabilité, puis toute une évolution conduisant à cette issue tragique : j’ai souhaité que la cadence récapitule, en quelque sorte, cette histoire-là.

Lucia di Lammermoor à Nice (© D. Jaussein)

S.L. : Lors de la deuxième représentation de Lucia, votre mari Zach Borichevsky vous a rejointe sur scène pour remplacer Oreste Cosimo qui était souffrant. Parlez-nous de cette expérience ! C’est la première fois que vous chantiez tous les deux ensemble sur scène ?
K.L. : En fait non, j’ai déjà chanté ce rôle il y a huit ans, avec mon mari Zach en Edgardo ! En répétant de nouveau ce rôle, la chose qui m’apparaissait la plus difficile, c’était… de ne pas chanter avec mon mari. Même si bien sûr Oreste est un collègue et un ami formidables ! Lorsqu’Oreste m’a dit qu’il était malade et m’a demandé si mon mari pouvait chanter ce rôle à brûle pourpoint, Zach a accepté… Mais il était bien sûr anxieux, il n’était pas sur Nice, nous ne disposions pas de suffisamment de temps pour répéter, et j’ai travaillé la mise en scène avec lui par vidéo interposée, depuis mon salon, alors que les enfants faisaient la sieste dans leur chambre !

S.L. : Vous avez une facilité étonnante dans les aigus mais aussi de vrais graves et un réel sens dramatique. Vous pourriez être sans doute être de formidables Anna Bolena, Maria Stuarda ou Elisabetta dans Roberto Devereux. Ces rôles pourraient-ils vous intéresser ?
K.L. : Je suis à 100% d’accord avec vous ! J’ai déjà chanté Marie Stuart, mais j’aimerais beaucoup dans le futur chanter toute la trilogie des reines donizettiennes. Ma voix a mis un certain temps à se stabiliser : j’ai commencé en tant que mezzo-soprano avant de m’aventurer dans le répertoire de soprano – et on m’a même dit que j’étais, peut-être, un soprano wagnérien ! J’avais l’impression qu’il n’y avait pas deux personnes ayant le même avis sur ma voix !… Et puis les choses se sont finalement stabilisées : ma voix est aujourd’hui celle d’un soprano colorature dramatique, avec une certaine facilité dans l’aigu, mais elle possède aussi des couleurs sombres, est très riche dans le medium, et le grave. J’ai chanté beaucoup de Reines de la Nuit, et on a tendance à me proposer un peu toujours les mêmes rôles… J’aimerais beaucoup faire comprendre au milieu artistique quelle est exactement la nature de ma voix, afin qu’on me propose une plus grande variété de rôles. Je suis très heureuse que vous perceviez dans ma voix les qualités qui pourraient être celles de grands rôles de bel canto, et peut-être au-delà du bel canto : Violetta, ou  Juliette du Roméo et Juliette de Gounod, que je vais aborder dans un an.

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Les Contes d’Hoffmann, le duo Hoffmann/Antonia avec Oreste Cosimo (Berlin, 2022)

S.L. : À propos de vos grandes versatilité et adaptabilité vocales, vous venez de chanter à Berlin les quatre rôles féminins des Contes d’Hoffmann : un vrai challenge ! Avez-vous aimé cette expérience ? Y aurait-il d’autres rôles français qui pourraient vous intéresser : Lakmé peut-être ? ou Manon, Juliette ?
K.L. : Oh oui… Je vais d’ailleurs bientôt chanter Lakmé, et Juliette comme je le diasis… Et j’aimerais beaucoup chanter Manon, ou encore Marguerite de Faust. Chanter les quatre rôles des Contes d’Hoffmann a été une expérience extrêmement intéressante, précisément parce qu’ elle m’a permis de montrer que je pouvais chanter dans différents registres et passer de l’un à l’autre en une seule et même soirée ! Cela commence par un chant colorature avec Olympia, puis on enchaîne avec un emploi nettement plus lyrique (Antonia), et le rôle de Giulietta est également très riche, et convoque d’autres possibilités (il est parfois distribué à un mezzo). Dans cette production, Stella chantait également un air à la fin de l’œuvre… Quoi qu’il en soit, chanter en français est pour moi un grand plaisir !

S.L. : Vous reverra-t-on bientôt en France ?…
Je dois revenir à Nice lors de la prochaine saison et ce sera avec grand plaisir – mais dans un rôle qui n’a pas encore  été annoncé…

Questions Quizzz…

1. Y a-t-il un rôle que vous adoreriez chanter ? – même s’il n’est pas (ou pas encore) dans vos cordes ?
Le rôle que j’ai toujours voulu chanter, même lorsqu’il n’était pas pour moi, c’est celui de Violetta. Je l’ai beaucoup travaillé, j’ai attendu que ce soit le bon moment, mais maintenant je suis prête. Le rôle de Lucia bien sûr est également très important pour moi. Et puis je rêve aussi de chanter Mimi, en raison de l’émotion extrême que dégage ce personnage … Et par ailleurs mon mari est un magnifique Alfredo, un magnifique Rodolfo !… Nos rêves sont donc largement partagés… J’ai la chance d’être mariée à mon ténor favori !

2. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le métier ? 
Je voyage dans un grand nombre de villes importantes, dans le monde entier, et j’ai la chance de pouvoir y rester pendant un temps suffisamment long pour pouvoir réellement comprendre la façon de vivre et m’imprégner du rythme quotidien de la vie des gens. C’est magnifique de pouvoir se dire que l’on a une véritable famille de collègues d’opéra, éparpillés dans le monde entier… Cela rend mon univers tellement vaste !

3. Ce qui vous plaît le moins ?
Les aéroports.

4. Qu’auriez-vous pu faire si vous n’aviez pas chanté ?
J’aurais été anthropologiste. Je suis particulièrement intéressée par les civilisations passées… Cette vocation est d’ailleurs sans doute liée au fait qu’en tant que grande voyageuse, je suis obligée de m’adapter sans cesse. Il y a tellement de façons de vivre différentes ! La chose la plus fabuleuse dans la nature humaine, c’est, pour moi, sa capacité à s’adapter…

5. Une œuvre d’art, un artiste que vous appréciez particulièrement ?
Peut-être la statue de David par Michel-Ange. Ici à Nice il y en a une copie. Elle m’a fait une très forte impression ! C’est une de ces œuvres qui, hors de tout contexte et même sans en connaître l’histoire, produit immédiatement un impact très fort.

6. Une activité favorite quand vous ne chantez pas ?
La photographie.

7. Y a-t-il une cause qui vous tient particulièrement à cœur ?
La faim dans le monde : c’est une cause à laquelle mon mari et moi sommes particulièrement sensibles. Quand le conflit a éclaté en Ukraine, mon mari et moi avons organisé un concert en Pennsylvanie, mais cette cause dépasse bien sûr le cadre de cette guerre, c’est d’une crise mondiale qu’il s’agit et nous souhaitons vraiment nous engager pour cette cause.