L’Opéra de Liège inscrit le CHAPEAU DE PAILLE DE FLORENCE à son répertoire

Il Cappello di paglia di Firenze, Opéra Royal de wallonie-Liège, vendredi 21 novembre 2025
De longue date, l’opéra italien a table ouverte sur la scène de l’Opéra Royal de Liège et le public wallon est probablement l’un de ceux, en Europe, qui connait le mieux le répertoire transalpin. Avant Lucrezia Borgia et Otello programmés pour les premiers mois de 2026, le Directeur général artistique Stefano Pace propose pour la première fois à Liège la partition de Nino Rota Il Cappello di paglia di Firenze.
Et on fait tourner les serviettes !
Déjà chroniquée par Première Loge lorsque cette mise en scène a été remontée à Gênes en décembre 2024, la production du Cappello di paglia di Firenze de Damiano Michieletto date de 2007 mais ne parait pas avoir pris une ride ! Comparée à celle de Pier Luigi Pizzi (Milan, 1998) qui momifiait le spectacle dans une esthétique Belle Époque, la scénographie épurée de Damiano Michieletto fait souffler sur cette partition une brise de modernité qui confirme, deux ans après le joli succès de la version théâtrale d’Eugène Labiche donnée au théâtre de la Porte Saint-Martin avec le comédien Vincent Dedienne et des musiques de Feu! Chatterton, la fraicheur des aventures de Fadinard.
On se gardera bien de chercher à résumer ici cette rocambolesque histoire de chapeau de paille englouti par la gourmandise d’un cheval et capable de menacer le succès des noces d’un jeune couple bien assorti. Comme le dit Danièle Darrieux dans Madame de (film de Max Ophüls de 1953), « ce n’est que superficiellement que cette histoire est superficielle ». L’essence du vaudeville est donc moins dans la répétition des quiproquos et des malentendus que dans une énergie qui va crescendo, emporte les personnages jusqu’aux lisières de l’hystérie et rétablit in fine un équilibre fragile qui rend possible le triomphe de l’amour conjugal.
Au cœur de son dispositif scénique, Damiano Michieletto a imaginé une structure ronde capable de tourner sur elle-même et de suggérer un mouvement perpétuel, comme les aiguilles d’un cadran d’horloge qui n’en finissent jamais de courir l’une derrière l’autre. Sur le plateau du praticable, un jeu de cloisons mobiles, toutes percées de portes, permet de délimiter des espaces plus ou moins vastes qui sont tour à tour l’antichambre de l’hôtel particulier de Fadinard, le salon de Mme de Champigny ou l’appartement de Beaupertuis. Une chaise, un lit et une baignoire font sens et suffisent à stimuler l’imagination du spectateur qui reconstitue par l’esprit le confort bourgeois de ces intérieurs parisiens de la Belle Époque.
D’une simple farce mondaine, Damiano Michieletto fait un drame universel en introduisant deux détails supplémentaires dans sa scénographie. Le premier est l’utilisation d’un blanc clinique qui aseptise totalement le plateau et réduit les protagonistes au rang de cobayes dont le spectateur observe les gesticulations à la manière d’un entomologiste. Dépouillé de tout superflu, chaque personnage devient un caractère (la coquette, le jaloux, l’obséquieux…) et c’est un peu de la profondeur de La Bruyère qui pointe alors sous la légèreté de Labiche. Le second est l’inclinaison du plateau tournant qui oblige en permanence chacun des protagonistes à se tenir dans un équilibre instable, prêt à glisser au moindre faux pas, comme en milieu hostile.
Dans un dispositif aussi contraint, il faut au metteur en scène une extrême rigueur et un sens aigu du théâtre pour régler les déplacements des personnages de façon millimétrée ! Chaque tableau s’inscrit dans une véritable chorégraphie et la manière dont les portes claquent à temps et contre-temps participent d’un spectacle global et jubilatoire.
Parmi les images fortes de la représentation, on retient celle de l’appartement de Fadinard encombré d’une montagne de cadeaux de noces ; celle de la rencontre de deux mondes, chez Mme de Champigny, quand la noce éméchée s’amuse à faire tourner les serviettes tandis que les invités de la baronne attendent le début du récital du violoniste virtuose Minardi ; ou bien encore celle de la tempête, au dernier acte, quand un policier en pélerine voit le ciel se peupler de dizaine de parapluies avant d’être lui-même emporté au ciel par une bourrasque !
Esprit de troupe
De la série de représentations donnée à Gênes en 2024, Blagoj Nacoski et Didier Pieri sont les seuls rescapés. Ils retrouvent à Liège des rôles qu’ils connaissent parfaitement et dont ils s’acquittent avec les honneurs. Dans le double rôle du mondain Achille de Rosalba et d’un policier enrhumé irrésistible de drôlerie, le ténor macédonien Blagoj Nacoski peut faire valoir un timbre brillant – presque surdimensionné pour ces petits rôles de comprimari – et un caractère d’acteur très affirmé. Dans le rôle de l’oncle Vésinet, intrusif et gaffeur, Didier Pieri trouve lui aussi l’occasion de montrer sa familiarité avec la comédie burlesque tout en délivrant un chant propre et nuancé.
Familier de la folie rossinienne à laquelle la partition de Nino Rota rend hommage, Pietro Spagnoli incarne un Nonancourt colérique et bonhomme à la fois, dans la grande tradition buffa italienne. Les années passant, le timbre a certes un peu perdu de son brillant mais l’autorité du chant et la vis comica sont des atouts dont le baryton italien, familier de la scène liégeoise, ne s’est jamais départi.
Le personnage de Beaupertuis domine tout le troisième acte et il faut pour l’incarner un chanteur-acteur de tout premier plan. Marcello Rosiello, baryton italien originaire de Bari, trouve à la fois des accents de Falstaff et d’Otello pour incarner ce jaloux maladif et sait plier sa voix éminemment lyrique à toutes les inflexions écrites par Nino Rota.
Le plateau féminin réuni à Liège pour porter ce Cappello di paglia donne lui aussi entière satisfaction, à commencer par Elena Galitskaya qui incarne la pétillante Anaide Beaupertuis, femme infidèle, coquette et déchapeautée! Comme l’ensemble de la troupe, elle affiche des qualités de comédienne hors pair sans pour autant négliger une ligne de chant à laquelle elle sait donner toute l’italianità nécessaire à la musique de Nino Rota. Dans le rôle d’Elena, Maria Grazia Schiavo (qui chantait Ilia sur cette même scène il n’y a guère) trouve un personnage qui convient à sa vocalité de soprano léger, agile dans les coloratures aussi bien que dans l’émission de notes suraiguës. Le manque d’épaisseur psychologique du personnage empêche de s’y investir vraiment mais la technique solide de l’interprète lui vaut de chaleureux applaudissements au rideau final.
C’est cependant Josy Santos et son interprétation souveraine de la baronne de Champigny qui constituent la performance féminine la plus saluée du spectacle. Un mois à peine après l’avoir vue à Luxembourg incarner Idamante dans Idomeneo de Mozart, on retrouve avec bonheur la mezzo brésilienne dans un impayable personnage snobinard à la manière d’une Mme Verdurin. Le portrait vocal qu’en dessine Josy Santos, voluptueux et fat à la fois, convient idéalement à son timbre charnu et à ses graves opulents.
Au cœur de cet écrin de voix parfaitement accordées les unes aux autres, le ténor russe Ruzil Gatin assume crânement le rôle de Fadinard qui nécessite d’être quasiment de toutes les scènes ! À Liège l’an passé, la solidité et le naturel de sa technique belcantiste nous avaient déjà bluffé dans un excellent Barbier de Séville. Confronté au langage musical de Nino Rota, l’artiste manifeste la même jubilation de chanter et le même plaisir enfantin à jouer des situations toutes plus abracadabrantesques les unes que les autres. À l’applaudimètre, il est le grand triomphateur de la soirée et confirme qu’il est actuellement l’un des ténors légers les plus séduisants des scènes européennes.
À la périphérie de ce casting homogène gravitent des comprimari et des chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège en excellente forme, tous gagnés par la légèreté et l’effervescence d’un spectacle construit comme un grand crescendo jubilatoire.
Dans la fosse, le jeune chef italien Leonardo Sini a l’intelligence et suffisamment de maturité pour prendre très au sérieux une partition d’apparence légère. La rigueur rythmique de sa battue permet, dès l’ouverture, de donner une colonne vertébrale au spectacle qu’il réussit à tenir tout au long des quatre actes jusqu’au lieto fine qui conclut cette course-poursuite à travers Paris, évitant les pièges de la précipitation ou de la trivialité. Face au Maestro, les musiciens de l’orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège sont animés du souci de tenir leur réputation d’excellence : tous les pupitres font preuve d’un bel engagement, et tout particulièrement les instruments à vent auxquels Nino Rota confie des solos virtuoses dans la plus pure tradition belcantiste italienne.
Quelques semaines avant d’afficher Die Fledermaus pour les fêtes de fin d’année, l’Opéra Royal de Wallonie réussit donc le tour de force de faire se déplacer des spectateurs nombreux et suffisamment enthousiastes pour faire un triomphe sincère à une œuvre encore jamais créée in loco. Avec la bénédiction du public de Liège, Il cappello di paglia di Firenze s’inscrit donc au répertoire lyrique de la cité ardente et gagne illico presto ses galons de « classique ».
Fadinard : Ruzil Gatin
Nonancourt : Pietro Spagnoli
Elena : Maria Grazia Schiavo
La baronessa di Champigny : Josy Santos
Beaupertuis : Marcello Rosiello
Emilio : Rodion Pogossov
Anaide : Elena Galitskaya
Lo zio Vezinet : Didier Pieri
Felice : Lorenzo Martelli
La modista : Elisa Verzier
Achille di Rosalba / una guardia : Blagoj Nacoski
Un caporale delle guardie : Marc Tissons
Minardi : Léonid Anikin
Orchestre et Choeur de l’Opéra royal de Wallonie-Liège, dir Leonardo Sini
Chef du chœur : Denis Segond
Chefs de chant : Lorenzo Masoni, Maddalena Altieri
Mise en scène : Damiano Michielotto
Décors : Paolo Fantin
Costumes : Silvia Aymonino
Lumières : Luciano Novelli
Assistante à la mise en scène : Paola Ornati
Assistante décors : Elena Zamparutti
Assistante costumes : Vera Pierantoni Giua
Lumières : Pasquale Mari
Il Cappello di paglia di Firenze
Farce musicale en quatre actes de Nino Rota, livret de Nino Rota et Ernesta Rota Rinaldi d’après la comédie Un Chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche et Marc-Michel. Créée au Teatro Massimo, à Palerme, le 21 avril 1955.
Opéra royal de Wallonie-Liège, représentation du vendredi 21 novembre 2025