Festival Verdi 2025 – Falstaff : l’humour et la complexité humaine sous la baguette de Michele Spotti

Falstaff, Teatro Regio de Parme, dimanche 12 octobre 2025

Troisième opus shakespearo-verdien au Festival Verdi de Parme : Falstaff, une très belle réussite, scénique et musicale.

Pour sa 25e édition, le Festival Verdi de Parme a choisi de célébrer les liens entre le compositeur de Busseto et Shakespeare. Verdi, fasciné par le dramaturge anglais, lui doit trois de ses plus grandes œuvres : Macbeth, Otello et Falstaff – sans oublier le Roi Lear qu’il rêva de composer sans jamais réaliser ce projet… Ces trois opéras forment le cœur du programme 2025, avec notamment la rare version de 1847 de Macbeth.
Après un Otello perturbé par quelques remplacements de dernière minute, nous avons assisté à Falstaff, comédie ultime et testamentaire de Verdi.

Une préparation contrariée, une représentation unie

La genèse de cette représentation n’a pas été simple : la dernière répétition remontait au 2 octobre, la première du 3 ayant été annulée pour cause de grève. Dix jours d’attente, donc, pour les artistes, avant de proposer au public le fruit de leur travail … Pourtant, sur scène, rien ne transparaît de ces aléas. C’est au contraire un vrai travail d’équipe qui se manifeste, une cohésion palpable entre les chanteurs, le chef et la fosse.

Un vrai chef de théâtre : Michele Spotti, rigueur et poésie

La direction de Michele Spotti s’impose d’emblée par sa précision et sa vitalité. Le jeune chef, dont la carrière connaît une ascension constante, conduit la partition avec une élégance naturelle et un sens du théâtre affirmé. Le Mariage Secret, Don Pasquale, la Cenerentola, Barbe-Bleue, Les Brigands : on connaît les affinités de Michele Spotti avec le genre bouffe, et on attendait avec impatience sa lecture de Falstaff. De fait, l’extrême rigueur et l’extrême précision de ce chef ont fait merveille dans une partition où l’approximation et l’à-peu-près sont encore moins tolérables que dans n’importe quel autre opus verdien. Spotti ne laisse rien au hasard : les pages les plus complexes sont d’une clarté exemplaire, les tempi parfaitement tenus (y compris dans les ensembles les plus ardus), les transitions d’une souplesse remarquable. Il sait aussi ménager des moments de poésie suspendue, comme dans l’épisode féerique de l’acte III, ou encore faire jaillir la noirceur des passages plus dramatiques – notamment le monologue de la jalousie chanté par Ford.
Chef attentif, il accompagne ses chanteurs avec une sollicitude rare, leur offrant le soutien rythmique et expressif dont ils ont besoin. Ce Falstaff confirme son affinité profonde avec Verdi, et laisse augurer de beaux débuts au Metropolitan Opera, où il dirigera La Traviata en mai prochain.

Une mise en scène intelligente et ludique

La mise en scène de Jacopo Spirei et les astucieux décors de Nikolaus Webern trouvent eux aussi le juste équilibre entre comédie et réflexion. Le spectacle multiplie les trouvailles scéniques sans sombrer dans la vulgarité. Le gag inaugural du plancher qui s’incline sous le poids de Falstaff donne le ton : ici, tout est bancal, à l’image d’un monde où plus rien n’est droit ni moralement stable.
L’action, transposée dans un Londres contemporain, tire profit de cette actualisation : costumes acidulés, clins d’œil modernes (téléphones portables, mèches de cheveux bleues, kilt de cuir porté par Fenton) ancrent la comédie dans notre époque sans trahir son esprit.
Seul bémol : le dernier tableau de l’opéra, celui de la forêt de Windsor, dont la poésie fragile se trouve perturbée par l’agitation scénique inutile des figurants. Ce petit déséquilibre n’altère pas la cohérence d’ensemble d’un spectacle à la fois drôle et joliment pensé.

Un plateau vocal homogène et inspiré

La distribution ne connaît aucune faiblesse.
Le couple des jeunes amoureux séduit par sa fraîcheur : Dave Monaco (Fenton) charme par sa diction claire (le « Dal labbro il canto estasiato » de l’acte III, superbement phrasé, dégage toute la poésie requise par la page), sa musicalité et sa belle aisance scénique, tandis que la Nannetta de Giuliana Gianfaldoni, pourtant annoncée souffrante, offre des aigus filés d’une grâce exquise.
Les « commères » sont d’une belle homogénéité : Roberta Mantegna (Alice Ford) et Caterina Piva (Meg) rivalisent d’esprit et de vivacité, et Teresa Iervolino renouvelle avec bonheur le rôle de Mistress Quickly : plus jeune de silhouette et de voix de coutume, elle est une commère à part entière auprès de Meg et Alice, et non pas simplement leur intercesseuse.
Alessandro Lungo campe un Ford d’une belle intensité, sa grande scène de la jalousie prenant un relief tout particulier pour qui assistait la veille, en ce même théâtre, à la représentation d’Otello !
Enfin, le baryton géorgien Misha Kiria triomphe dans le rôle-titre : on retrouve la voix chaude, ronde, pleine d’élan mais aussi de douceur que l’on avait appréciée dans Gianni Schicchi la saison dernière à Bastille. Par ailleurs, l’incarnation du personnage convainc pleinement dans la mesure où son Falstaff n’est pas uniquement comique ou détestable : il a ses zones d’ombre, sa mélancolie, sa part de souffrance… Une belle performance, accueillie par une ovation.

Un final troublé

Au rideau final, les applaudissements sont nourris, enthousiastes. Puis, alors que le public célèbre le triomphe collectif, un immense drapeau palestinien descend des cintres, faisant écho à un “Free Gaza” lumineux aperçu deux jours plus tôt à la fin d’Otello.
L’initiative, reçue diversement, a suscité quelques huées. Nous aurons bientôt l’occasion de revenir sur la légitimité qu’il y a – ou non – à utiliser le médium d’un spectacle pour défendre une cause…

Quoi qu’il en soit, le Festival Verdi 2025 restera dans la mémoire des spectateurs comme une très bonne édition ! Rendez-vous l’année prochaine, pour un festival au programme une fois encore fort alléchant…

Les artistes

Sir John Falstaff : Misha Kiria
Mrs. Alice Ford : Roberta Mantegna
Ford : Alessandro Luongo
Nannetta : Giuliana Gianfaldoni
Mrs. Quickly : Teresa Iervolino
Fenton : Dave Monaco
Mrs. Meg Page : Caterina Piva
Bardolfo : Roberto Covatta
Pistola : Eugenio di Lieto
Dott. Cajus : Gregory Bonfatti

Filarmonica Arturo Toscanini, dir. Michele Spotti
Coro del Teatro Regio di Parma, dir. Martino Faggiani
Mise en scène : Jacopo Spirei
Décors : Nikolaus Webern
Costumes : Silvia Aymonino
Lumières : Giuseppe Di Iorio

Le programme

Falstaff

Opera buffa en trois actes de Giuseppe Verdi, livret d’Arrigo Boito d’après Les Joyeuses Commères de Windsor et les parties I et II de Henry IV de William Shakespeare, créé le 9 février 1893 au Teatro alla Scala, à Milan.
Teatro Regio de Parme, représentation du dimanche 12 octobre 2025.