Les festivals de l’été –
Munich : Káťa Kabanová, une soirée à marquer d’une pierre blanche

NB : les photographies sont celles des représentations de mars 2025.
Une mise en scène convaincante et une exécution musicale de premier plan : une soirée à marquer d’une pierre blanche !
Katya Kabanova, opéra créé en 1921 et adapté de la pièce L’Orage du dramaturge russe Ostrovsky, fait partie des opéras relativement courts en trois actes de Janacek , dont la durée totale est d’une heure trente environ.
Si les visions scéniques proposées par Krzysztof Warlikowski atteignent parfois un degré élevé d’incongruité, force est de constater qu’ici sa lecture de l’œuvre peut parfaitement emporter l’adhésion. Depuis des décennies, l’usage fait que le décor unique de Katya Kabanova doit être le plus oppressant possible, avec un plafond bas et des parois resserrées pour évoquer l’atmosphère étouffante de l’œuvre. Ici c’est tout le contraire : le décor ouvert, conçu par Małgorzata Szczęśniak, laisse voir toute la largeur et la profondeur de la scène, laissant un espace scénique vide. Est placé au fond un bar, enfermé dans un grand caisson dont la paroi centrale se referme par moments pour permettre la projection de vidéos, et une série de chaises. On pense alors à un grand hall de gare routière, et à ces road movies à l’atmosphère tout aussi étouffante. C’est dans cette scénographie inattendue pour l’œuvre que prend corps la vision du metteur en scène polonais : un pari réussi qui, in fine, s’avère réussi.
Olga Kulchynska, jeune soprano ukrainienne chante le difficile rôle de Katya. Elle assume ce rôle épuisant avec une facilité déconcertante, étant sur scène pendant ces 3 actes joués sans entracte. La performance est d’autant plus remarquable que la chanteuse alterne cette production avec celle de Cosi fan tutte, dans laquelle elle chante Fiordiligi. Visiblement, le rôle l’habite : elle s’y montre extraordinaire par son jeu de scène tout en retenue, mais surtout par sa voix magnifique. La scène du deuxième acte où elle se donne à Boris est de toute beauté. Dans son dernier monologue du troisième acte évoquant la nature qui entourera sa tombe après son suicide (des projections de photographies représentant des prairies couvrent alors tout le fond de scène), la voix est précise et forte, d’une puissance émotionnelle qui tire les larmes. Accueil délirant à faire trembler les murs au moment des saluts.
Après nous avoir enchantés dans les plus grands rôles wagnériens (Kundry, Isolde, Venus, Brünnhilde, Sieglinde), la lumineuse mezzo-soprano lituanienne Violetta Urmana s’attaque au difficile rôle de Kanabicha, qu’elle incarne magnifiquement. À la différence d’une Rysanek dont le hiératisme imposait par sa froideur, Urmana, avec tout aussi peu d’émotion, aborde le rôle comme une marâtre excentrique, méchante et vulgaire, par moments à la limite de l’hystérie. La façon dont elle reproche constamment à Katya son manque d’attention pour son mari fait froid dans le dos. Sa voix est puissante et d’une incroyable projection, confirmant qu’elle reste une des grandes voix de la scène lyrique.
Après avoir chanté le rôle de Boris à l’Opéra de Paris, John Daszak reprend avec force et conviction le court rôle du mari (Tichon) – même si, scéniquement, il reste en deçà des autres artistes.
Boris est chanté par Pavel Černoch, bien connu des publics parisien et munichois (il se produit très régulièrement à la Bayerische Staatsoper). Vêtu d’un costume jaune flashy, il apporte la seule touche de couleur à la distribution. La voix, un peu métallique, est puissante, mais surtout vectrice d’une émotion incroyable à chacune de ses interventions.
Les autres rôles, plus secondaires, sont plus qu’honorablement tenus.
Mais l’une des vedettes incontestées de cette formidable soirée est sans doute le Bayerisches Staatsorchester, absolument impeccable. On ne peut que saluer tous les pupitres, tant ils sonnent tous juste sous la baguette du génial et inspiré Petr Popelka, chef principal de la radio de Norvège et de la radio de Prague. Si le travail sur les cordes est admirable, ciselé à merveille, on ne tarit pas d’éloge sur les vents et notamment les cuivres.
Triomphe aux saluts. Une de ces performances à marquer d’une pierre blanche et dont on peut avoir la chance de dire : j’y étais !
Dikoj : Milan Siljanov
Boris : Pavel Černoch
Kabanicha : Violeta Urmana
Tichon : John Daszak
Káťa : Corinne Winters
Kudrjáš : James Ley
Varvara : Emily Sierra
Kuligin : Tim Kuypers
Glaša : Ekaterine Buachidze
Fekluša : Elene Gvritishvili
Ein Mann : Samuel Stopford
Eine Frau : Natalie Lewis
Bayerisches Staatsorchester, dir. Petr Popelka
Bayerischer Staatsopernchor, dir. Franz Obermair
Mise en scène : Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes : Małgorzata Szczęśniak
Lumières : Felice Ross
Vidéo : Kamil Polak
Chorégraphie : Claude Bardouil
Dramaturgie : Christian Longchamp, Lukas Leipfinger
Figurants de l’Opéra d’État de Bavière
Danseurs de tango de la scène de tango munichoise
Kát’a Kabanová
Opéra en trois actes de Leoš Janáček, livret de Vincence Cervinka, d’après la pièce L’Orage d’Alexandre Ostrovski, créé à Brno en 1921.
Opéra de Munich, représentation du lundi 7 juillet 2025.