Des marionnettes, de belles voix,  « Una furtiva lagrima » bissée : L’Elisir d’amore de Donizetti triomphe à Parme !

Nemorino, Dulcamara et les marionnettes de Daniela et Giordano Ferrari font du melodramma giocoso de Donizetti une fantasmagorie qui surprend, amuse et émeut.

Un Elisir d’amore très original vient d’être proposé au Teatro Regio de Parme. Le metteur en scène Daniele Menghini – ancien collaborateur de Davide Livermore et Graham Vick – a mis en scène le melodramma giocoso de Donizetti sous la forme d’une fantasmagorie, avec des marionnettes, des mimes et les burattini[1] de Daniela et Giordano Ferrari. Le protagoniste Nemorino est apparu non seulement comme le paysan naïf, amoureux de la réticente Adina, mais d’abord comme un Geppetto romanesque désireux de sculpter dans le bois les personnages de l’opéra, puis comme un Pinocchio adolescent impliqué dans le dur monde des adultes, et enfin comme un homme heureux de réaliser son rêve d’amour.

L’année 2024 marque le 141e anniversaire de la publication des Avventure di Pinocchio de Collodi (pseudonyme de Carlo Lorenzini) et cet hommage à la marionnette italienne la plus célèbre du monde redonne de la visibilité à une forme de théâtre populaire répandue aux XIXe et XXe siècles. Par ailleurs, en 2002, le Castello dei Burattini-Museo Giordano Ferrari avait vu le jour à Parme : une extraordinaire collection de matériel de théâtre, de figures et d’animation, rassemblées par Giordano Ferrari au cours de sa vie. Les loggionisti[2] ont critiqué les choix pour le moins originaux de la mise en scène mais le public, séduit surtout par l’excellent Nemorino et le nonchalant Dulcamara, a applaudi avec enthousiasme.

Francesco Meli s’est révélé être un grand artiste, aussi bien au niveau de la technique vocale que du jeu d’acteur. Il a magistralement exprimé les nombreuses nuances du personnage : simple et naïf, mais aussi sensible et courageux, mélancolique et enjoué. À la fin de son air le plus célèbre, « Una furtiva lagrima », la salle tout entière l’a ovationné et il a généreusement donné un bis. La prestation de Roberto de Candia, qui figure actuellement parmi les meilleurs interprètes du répertoire buffo et qui s’est déjà produit plusieurs fois à Parme, a tout autant été satisfaisante. Les mélomanes de Parme l’attendaient et l’ont accueilli avec joie. Sa voix chaude et égale, son phrasé précis et l’audace nonchalante du charlatan ont amusé et ravi les spectateurs. Sa cavatine, chaleureusement applaudie, a mis en valeur l’espièglerie linguistique du livret de Felice Romani, qui conserve, après presque deux siècles, une extraordinaire fraîcheur.

A côté de ces deux interprètes fortement charismatiques, la jeune soprano d’origine arménienne Nina Minasyan a paru parfois peu sûre d’elle, bien qu’elle ait déjà chanté plusieurs rôles de Donizetti (Lucia à la Bayerische Staatsoper de Munich et à l’Opéra national de Paris, Norina dans Don Pasquale au Bolchoï de Moscou, Adina à l’Opera House de Mascate). Lodovico Filippo Ravizza est également très jeune, mais sa voix douce et sombre, homogène dans l’émission et bien timbrée, laisse espérer que ce baryton sera une nouvelle promesse dans le monde de l’opéra. La prestation de Yulia Tkachenko dans le rôle de Giannetta a été digne.

 L’orchestre du Teatro Comunale di Bologna, dirigé par Sesto Quatrini, était parfois trop emphatique par rapport aux nuances délicates indiquées par la partition de Donizetti, mais le chef a bien accompagné les chanteurs dans les magnifiques duos, trios et morceaux d’ensemble. Le chœur du Teatro Regio di Parma, préparé par le maestro Martino Faggiani, a donné entière satisfaction. Les costumes, conçus par Nika Campisi, étaient remarquables.

© Roberto Ricci

Photo Ivonne Begotti

À la fin de la représentation, dès que les applaudissements ont commencé, le réveil a été très brusque : les travailleurs sont apparus sur scène en brandissant une grande banderole portant l’inscription « Cessez le feu », manifestant ainsi haut et fort leur désir de voir cesser les violences qui ensaglantent Gaza ou l’Ukraine. 

Le tonnerre d’applaudissements prolongés pour les chanteurs a cependant redonné vie à la soirée.

Bien que donné dans une mise en scène surprenante, L’elisir d’amore a confirmé le triomphe obtenu depuis sa première représentation au Teatro della Canobbiana de Milan le 12 mai 1832 ; et, bien qu’elle ait été composée en seulement quatorze jours, l’œuvre reste après deux siècles l’un des chefs-d’œuvre les plus inspirés du génie de Donizetti. Dans l’atmosphère de gratitude intime qui suit la vision d’un beau spectacle, une pensée émue va à Alexander Weatherson – père fondateur de la Donizetti Society et son président pendant près de cinquante ans, décédé à Londres le 7 février. Lorsque les grands nous quittent, le souhait que les jeunes puissent redonner vie, à leur manière, aux chefs-d’œuvre intemporels du passé est très réconfortant.

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[1] Type de marionnette dont le corps est en chiffon et la tête en bois, qui apparaît sur la scène à mi-corps.

[2] Fanatiques d’opéra, habitués du poulailler.

© Roberto Ricci

Les artistes

Adina : Nina Minasyan
Nemorino : Francesco Meli
Dulcamara : Roberto de Candia
Belcore : Lodovico Filippo Ravizza
Giannetta : Yulia Tkachenko

Orchestra del Teatro Comunale di Bologna, dir. Sesto Quatrini
Coro del Teatro Regio di Parma, dir. Martino Faggiani

Mise en scène : Davide Signorini
Costumes : Nika Campisi
Lumières : Gianni Bertoli

Le programme

L’elisir d’amore

Melodramma giocoso en deux actes de Gaetano Donizetti, livret de Felice Romani, créé au Teatro alla Cannobiana de Milan le 12 mai 1832.

Parma, Teatro Regio, représentation du 15 mars 2024.