L’Opéra de Rennes couronne Poppée en beauté !

Ted Huffman est sans doute l’un des metteurs en scène les plus intéressants parmi ceux de la jeune génération. Madame Butterfly, Le Songe d’une nuit d’été,  Denis et Katya ou Il trionfo del Tempo e del Disinganno à Montpellier, The time of our singing à Bruxelles : nombreux sont les spectacles du jeune metteur en scène d’origine new-yorkaise à avoir séduit les chroniqueurs de Première Loge. Ce fut également pour le cas du Couronnement de Poppée, créé au festival d’Aix en 2022 et actuellement repris à l’Opéra de Rennes.

Bien sûr, il y a ce fameux « tube » sur lequel les spectateurs auront beaucoup glosé à l’entracte : s’agit-il d’une allégorie du destin, de la fatalité qui pèse sur les personnages ? D’une représentation du Bien et du Mal, des pulsions positives ou négatives qui agitent tour à tour les personnages du drame et que symboliseraient les couleurs blanche et noire ? D’un tunnel figurant métaphoriquement le passage des ténèbres à la lumière ou de la lumière aux ténèbres ? Peu importe finalement : si visuellement le dispositif n’est pas des plus élégants, sa position (il est le plus souvent suspendu très en hauteur) fait qu’il n’envahit pas l’espace visuel ni ne distrait l’attention du drame qui se joue sur scène. Et c’est tant mieux… car c’est véritablement là que tout se joue, avec, comme le soulignait déjà notre chroniqueur lors de la création du spectacle, une direction d’acteurs réglée au cordeau, révélant constamment la psyché des personnages, dévoilant les motifs qui régissent leurs actions, prolongeant de façon poétique ou dramatique les émotions véhiculées par le chant en une parfaite symbiose avec la musique. On sait gré au metteur en scène, enfin, de respecter très exactement la tonalité des scènes dont se compose le livret : on tremble quand il faut trembler, on s’indigne quand il faut être indigné, on rit quand il faut rire – et seulement quand il faut rire : Ted Huffmann prend soin de ne pas transformer les héros monteverdiens en caricatures offenbachiennes – rien n’étant plus déconcertant que d’entendre une salle hurler de rire trois heures durant aux amours de César et Cléopâtre, Poppée et Néron ou Armida et Rinaldo – entre autres exemples –, comme c’est parfois le cas dans certains spectacles qui, parce que les livrets contiennent quelques moments de pure comédie, transforment les œuvres en des opéras bouffes qu’elles ne sont pas.

Si la distribution est (presque) intégralement renouvelée par rapport aux représentations d’Aix, les nouveaux venus se sont glissés avec une aisance étonnante dans la peau des personnages qu’ils incarnent, avec une crédibilité scénique de tous les instants. Vocalement, les chanteurs apportent de grandes satisfactions, y compris dans les rôles secondaires, avec d’impeccables Yannis François (le licteur), Thibault Givaja (Libertus) et Sebastian Monti (Lucain).
Les voix des sopranos sont idéalement différenciées pour permettre des caractérisations singulières des différents personnages : Camille Poul prête ainsi son timbre charnu à un Amour plein de vivacité, tandis que la voix plus légère de Maïlys de Villoutreys, à la ligne de chant soignée, permet à la chanteuse de dessiner le portrait d’une Drusilla à la fois tendre et volontaire. Catherine Trottmann est une Poppée dont la sensualité émane tout autant de la présence scénique (très affirmée) que du chant, constamment maîtrisé et nuancé, la voix révélant une belle homogénéité sur l’ensemble de la tessiture. Adrien Mathonat est un noble Sénèque, dont la mort digne et sobre constitue l’un des très beaux moments de la soirée… avec les adieux à Rome d’Octavie, interprétée par une Victoire Bunel en très belle forme vocale, incarnant au mieux une impératrice tour à tour furieuse, inquiétante ou brisée. Paul Figuier campe une nourrice amusante à souhait et chante avec toute la poésie qu’il convient la berceuse d’Arnalta. Enfin, le timbre chaud et velouté de Paul-Antoine Bénos-Djian, touchant Othon (déjà présent dans le même rôle à Aix-en-Provence) offre un beau contraste avec celui, plus acidulé et plus tranchant, de Ray Chenez, Néron cynique à souhait à qui on ne reprochera guère que quelques tensions dans les notes les plus aiguës du rôle.

Grand succès également pour Le Banquet Céleste et Damien Guillon, qui délivrent de la partition une lecture précise, nuancée, dramatique tout en restant constamment attentive au plateau – les musiciens et leur chef se montrant particulièrement convaincants lorsqu’il s’agit de déployer sous les voix des solistes un tapis de nuances douces et poétiques, comme dans le « Oblivion soave » d’Arnalta ou le célèbre duo final « Pur ti miro ».

Le spectacle se donne à Rennes jusqu’au 8 octobre puis sera repris à Toulon en avril : ne manquez pas ce très beau moment de musique et de théâtre !

Les artistes

Poppée : Catherine Trottmann 
Néron : Ray Chenez 
Octavie / la Vertu : Victoire Bunel 
Othon : Paul-Antoine Bénos-Djian
Sénèque : Adrien Mathonat
Arnalta / nourrice / Familier 1 : Paul Figuier 
La Fortune / Drusilla : Maïlys de Villoutreys 
L’Amour / le valet : Camille Poul 
Lucain / le soldat 1 / Familier 2 : Sebastian Monti 
Libertus / le soldat 2 : Thibault Givaja 
Le Licteur /Familier 3 : Yannis François 

Orchestre Le Banquet Céleste, dir. Damien Guillon

Mise en scène : Ted Huffmann
Décors, concept original : Johaness Schütz 
Décors, adaptation : Anna Wörl 
Costumes : Astrid Klein 
Collaborateur aux mouvements et maître d’armes : Pim Veulings 
Lumières : Bertrand Couderc 
Dramaturgie : Antonio Cuenca Ruiz 

Le programme

l’Incoronazione di Poppea (Le Couronnement de Poppée)

Opéra en un prologue et trois actes de Claudio Monteverdi, livret de Gian Francesco Busenello d’après Les Annales de Tacite (Livre XIV), créé en 1642 à Venise.
Opéra de Rennes, représentation du mardi 02 octobre 2023