FESTIVAL VERDI DE PARME – 1/3
Un trovatore d’ombres et de lumières

Parme, Il trovatore, 24 septembre 2023

Un Trovatore un peu mouvementé, avec trois remplacements dans la distribution et une mise en scène qui peine à trouver son public…

Après avoir été interrompu dans les années 1990, le Festival Verdi a été réintroduit en 2001 à l’occasion des célébrations du centenaire de la mort du compositeur, et depuis lors, il a proposé cinq productions différentes d’Il trovatore, la dernière en date étant celle de 2018 avec la version française (Le trouvère) dirigée par Roberto Abbado et mise en scène par Bob Wilson. Mettre en scène cet opéra à Parme est un véritable défi : ici, tout le monde se sent dépositaire de l’héritage de Verdi et peu de productions ont échappé aux redoutables débordements du poulailler !

Affecté par un budget réduit (qui a coupé les ailes du metteur en scène) et des remplacements par rapport à la distribution initialement prévue, cette production du drame espagnol de García Gutiérrez (« beau, imaginatif et avec des situations puissantes », écrivit le musicien à Cammarano, le librettiste), deuxième proposition du Festival Verdi 2023, n’a pas convaincu le public, qui a certes applaudi, mais sans l’enthousiasme avec lequel cet opéra passionnant est généralement reçu. Quelques protestations se sont même fait entendre.

Un opéra nocturne

Dans la salle du Teatro Regio, Francesco Ivan Ciampa dirige avec passion et attention pour les chanteurs l’une des partitions les plus passionnantes du théâtre du XIXe siècle, un opéra composé presque exclusivement de pezzi chiusi, la plupart avec cabalette, un retour à la tradition après l' »expérience » de Rigoletto. Il trovatore est un opéra sombre et nocturne : « Allor mezzanotte appunto suonava« , dit Ferrando dans la première scène de « Il duello« , la première des quatre parties de l’opéra ; « Tacea la notte placida« , chante Leonora dans la deuxième ; « Tace la notte! Immersa | nel sonno, è certo la regal signora« , (La nuit est silencieuse. Cette femme, de sang royal, est certainement plongée dans le sommeil…) dit le comte de Luna dans la troisième ; il fait nuit lorsque le comte et ses partisans se préparent à enlever la jeune fille dans la troisième scène de « La gitana » ; et c’est la nuit noire au début de « Il supplizio » dans la tour du palais d’Aliaferia (scène 1), puis ensuite dans la « l’horrible prison » (scène 3).

La lumière du soleil étant bannie, la seule lumière restante est celle du feu vacillant de la lanterne de Leonora, de la « flamme périlleuse » redoutée par Inès, de la « terribil vampa » d’Azucena, du bûcher évoqué par Manrico, de celui dont le Comte menace Azucena (« Come albeggi | la scure al figlio, ed alla madre il rogo !« ). Et la musique de Verdi n’est qu’une succession d’éclairs dans l’obscurité auxquels le maestro Ciampa donne corps avec vivacité et avec des tempi qui, cependant, peuvent parfois mettre en difficulté certains des instrumentistes de l’Orchestra del Comunale di Bologna. Sa lecture est passionnante, impétueuse, pleine de contrastes, très théâtrale. Ciampa utilise l’édition critique de David Lawton qui nettoie la partition de certaines libertés « traditionnelles », restituant une version plus proche de l’original.

Remplacements en cascades

Pas moins de trois chanteurs initialement prévus (les interprètes d’Eleonora, du Conte di Luna et de Ferrando) ont dû être remplacés, ce qui ne semble pas avoir disposé une partie du public à la bienveillance, prêt à protester. Franco Vassallo, qui a remplacé Markus Werba initialement attendu, est revenu sous les traits du Comte après la version française vue ici au Teatro Farnese : il a confirmé sa grande projection vocale et l’intensité de son expression, parfois au détriment de l’élégance et de la noblesse du personnage, plus justement stylisé dans le spectacle de Bob Wilson, ici légèrement exagéré. Cependant, « Il balen del suo sorriso« , vigoureusement chanté et avec des couleurs appropriées, a été accueilli par de chaleureux applaudissements. À la place d’Eleonora Buratto, Francesca Dotto a incarné une Leonora certes correcte mais dont la voix était un peu mince et pas toujours suffisamment timbrée. Les meilleurs moments furent les pages lyriques où le legato et la mezza voce ont convaincu encore le public, notamment dans l’air « Tu vedrai che amore in terra » avec reprise de la cabalette, lorsque le metteur en scène isole l’action et accentue l’aspect mélodramatique en allumant les lumières dans les stalles et en faisant descendre un miroir encadré par un rideau drapé, un effet volontairement théâtral mais ni original, ni très nécessaire. Une troisième substitution, luxueuse cette fois, est celle concernant le rôle de Ferrando : Marco Spotti, tombé malade pendant les répétitions, trouve ici un remplaçant admirable en la personne de Roberto Tagliavini, qui rend convaincant le long récit d’ouverture.

Le populaire triptyque de Verdi est centré sur trois figures de parias de la société : la prostituée Violetta, le bossu Rigoletto et l' »abjecte gitane » Azucena, qui, dans les premières intentions de l’auteur, devait donner son titre à l’opéra. On comprend dès lors l’importance du rôle qui, lors de la première à Rome en 1853, fut confié à Emilia Goggi-Marcovaldi, une grande chanteuse de Bellini qui mourut prématurément à l’âge de 39 ans en 1857. « Après celle de Malibran […] la plus belle voix que nous ayons jamais entendue », écrit la Rivista musicale le 1er juillet 1840. Le rôle de la sorcière est ici incarné par Clémentine Margaine, l’Amneris de l’Aïda de Michieletto à Munich, qui fut ce soir l’interprète la plus appréciée pour son émission assurée, son timbre personnel, son grand tempérament et l’équilibre entre bel canto et expression dramatique. Manrico, enfin, est confié au jeune Riccardo Massi, doté d’une stature imposante et d’une voix importante. L’interprétation cependant reste peu convaincante, le ton étant soit surpuissant, soit plaintif, l’articulation du mot peu incisive, le phrasé quelque peu plat, et les do de ‘Di quella pira‘ ne suffisent pas à sauver une prestation qui n’a sans doute pas suscité plus de contestations… Parce qu celles-ci étaient essentiellement focalisées sur le metteur en scène !

La lecture de Davide Livermore : transgressive ou traditionnelle ?

Davide Livermore fut jugé trop transgressif pour une partie du public, trop traditionnel pour l’autre ! Le metteur en scène turinois a désormais défini son propre langage, devenant parfois un véritable « style »  comme dans cette production qui ne semble pas être l’une de ses meilleures d’ailleurs. Habitué aux premières à la Scala, le budget plus restreint du festival de Parme a quelque peu compromis son inspiration, ici plus sobre mais moins convaincante qu’à l’accoutumée. Dans l’univers dystopique désormais habituel d’un paysage urbain ravagé par la guerre civile, les deux mondes du comte et de Leonora et celui des marginaux Manrico et Azucena sont clairement distincts : les gratte-ciel rutilants forment celui des nobles, un décor de cirque sinistre comme dans le film Freaks celui des gitans. La costumière Anna Verde dessine des costumes sombres et des uniformes militaires pour les premiers, des costumes criards mais en lambeaux pour les jongleurs et les clowns des seconds – dont un cracheur de feu qui ajoute sa dose de flammes à celles déjà prévues dans le livret. Sur le mur de LED en arrière-plan, on peut voir les images numérisées du D-Wok : une lune gigantesque, l’intérieur de la tente aperçue précédemment au loin dans la banlieue, un viaduc, un pont en feu, l’intérieur d’un hôpital installé dans une usine désaffectée, l’extérieur d’un bâtiment pénitentiaire, l’intérieur de la prison elle-même. Et puis le ciel toujours menaçant, avec des nuages noirs comme la fumée, des pluies de lapilli ou de cendres post-nucléaires, des flammes et du magma incandescent. Dans la scénographie de Giò Forma, le seul véritable élément est un imposant pylône, dont l’utilisation s’avère inutile mais dont le déplacement d’une scène à l’autre oblige à de longues minutes d’attente rideau baissé, ce qui dilue la tension et augmente la durée de la représentation de près d’une demi-heure.

Dans l’ensemble, il s’agit d’une lecture plutôt traditionnelle dans sa dramaturgie et sa gestion des personnages, qui ne gagnent pas en profondeur psychologique dans l’actualisation, mais choquent le public avec les éléments contemporains que sont les fusils, les revolvers, les téléphones portables et les cigarettes, non pas tant parce qu’ils sont incongrus par rapport au cadre original, mais parce qu’ils sont devenus des clichés dont on peut honnêtement se passer.

Per leggere questo articolo nella sua versione originale (italiana), cliccare sulla bandiera!



Les artistes

Il Conte di Luna : Franco Vassallo
Leonora : Francesca Dotto
Azucena : Clémentine Margaine
Manrico : Riccardo Massi
Ferrando : Roberto Tagliavini
Ines : Carmela Lopez
Ruiz : Didier Pieri
Un messo : Enrico Picinni Leopardi
Un vecchio zingaro : Sandro Pucci

Orchestre et chœur du Teatro comunale di Bologna, dir. Francesco Ivan Ciampa
Cheffe de chœurs : Gea Garatti Ansini
Mise en scène : Davide Livermore
Assistant à la mise en scène : Carlo Sciaccaluga
Décors : Giò Forma
Costumes : Anna Verde
Lumières : Antonio Castro
Vidéo : D-Wok

Le programme

Il trovatore

Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi, livret de Salvadore Cammarano, d’après Antonio García Gutiérrez, créé au Teatro Apollo de Rome le 19 janvier 1853.
Festival Verdi de Parme, Teatro Regio di Parma, représentation du dimanche 24 septembre 2023