Le Bourgeois gentilhomme fait une réjouissante escale à l’Opéra Comique

Jouée pour la première fois en juin 2019 au Printemps des Comédiens Montpellier, la production créée par la Compagnie Jérôme Deschamps de la comédie-ballet Le Bourgeois Gentilhomme tourne depuis dans toute la France, et est déjà passée (entre autres) par Pau, Versailles, Caen, Marseille ou Bordeaux
Cette fois Jérôme Deschamps, metteur en scène et interprète de Monsieur Jourdain, pose ses valises… à l’Opéra Comique, dont il fut le Directeur de 2007 à 2015.

Le spectacle est un modèle d’équilibre. Équilibre de l’œuvre tout d’abord, présentée sous une forme que tous les spectateurs ne connaissent peut-être pas : en effet ce n’est pas à la pièce de Molière telle qu’elle est traditionnellement proposée que nous assistons, mais à la comédie-ballet originelle, telle qu’elle fut conçue et créée devant le Roi et la Cour, le 14 octobre 1670. Ultime fruit de la connivence artistique entre Molière et Lully, le chef-d’œuvre frappe par l’intégration parfaite et naturelle des parties chantées et dansées dans la comédie dont nous sommes si familiers. Ce genre, dont Molière était si fier, et qui avait pour vocation de concurrencer durablement l’opéra italien de l’époque, préfigure rien moins que l’opéra français, et, dans une certaine mesure… la comédie musicale ! Musicalement, nous écoutons un condensé du meilleur Lully, et assistons à de charmantes petites scènes, tel le dialogue entre le berger et la bergère de l’acte I, joué dans un théâtre de poche intégré à même la salle à manger de Monsieur Jourdain.  Et bien sûr, Lully donne la pleine mesure de son talent dans la magnifique cérémonie de réception du Bourgeois en Mamamouchi, ainsi que dans le très beau tableau final.

L’équilibre se trouve également dans la mise en scène, qui allie l’émotion créée par un Monsieur Jourdain rêveur, grand enfant plus touchant que ridicule dans son désir naïf d’élever sa condition, et le comique omniprésent – comique du texte bien évidemment, mais aussi du jeu des acteurs. Nous retrouvons bien ici la griffe du créateur des Deschiens ; entre autres gags irrésistibles, la servante Nicole (Pauline Tricot), véritable fée du logis et maniaque de la propreté, dont la fierté est de piéger des rats, passe son balai frénétiquement, jusqu’entre les jambes des chanteurs, et exprime sa fureur avec la vapeur d’un fer à repasser ; une bergère fait… la vaisselle, avec des gants de couleur vive ; le dîner avec Doriante et Dorimène est quant à lui complètement déjanté, Monsieur Jourdain devant assommer le porcelet, qu’il découpe et dont il exhume chapelets de saucisses, jambon sous plastique et ketchup ! Le décor unique (signé Félix Deschamps) ne nuit pas à la vivacité de l’œuvre, un jeu d’acteurs alerte (entrées et sorties des personnages par de nombreuses portes) assurant la fluidité de l’ensemble. Dans ce salon-salle à manger, le théâtre est à l’honneur, avec, mis en abyme, le petit théâtre dont nous avons parlé plus haut, mais aussi la chambre de Monsieur Jourdain qui s’avance, telle une loge d’avant-scène, au son du Te Deum de Charpentier. Mention spéciale aux splendides costumes de Vanessa Sannino et perruques de Cécile Kretschmar, ainsi qu’aux lumières de François Menou, particulièrement dans la cérémonie de Mamamouchi.

La troupe réunie par Jérôme Deschamps est excellente de fraîcheur, d’humour, de vivacité, mais c’est avant tout Jérôme Deschamps lui-même (particulièrement applaudi au rideau final) qui crève la scène, apportant à son personnage une touche de folie fantasque et de pure émotion. Au pupitre, le chef d’orchestre Marc Minkowski, qui devait diriger les premières représentations, est remplacé (fracture et immobilisation forcée obligent…) par le jeune chef Théotime Langlois de Swarte qui tout en jouant du violon dirige avec précision, légèreté et sensibilité des Musiciens du Louvre qui ne sont pas pour rien dans la jubilation émanant du spectacle, de même qu’une troupe de chanteurs parfaitement rodée comprenant l’espiègle et fine musicienne Sandrine Buendia, le haute contre Nile Senatore que Première Loge retrouve avec plaisir après sa participation au Coscoletto offenbachien donné à Martina Franca en juillet 2019, le ténor Lisandro Nesis au timbre frais et léger et la basse aux couleurs chaudes et profondes de Jérôme Varnier.

Le spectacle se donne jusqu’au 26 mars : avis aux amateurs !

Les artistes

Lucile : Pauline Gardel
Le maître de philosophie : Jean-Claude Bolle Reddat
Le maître de musique, le Tailleur : Sébastien Boudrot
Covielle, le maître d’armes : Vincent Debost
Monsieur Jourdain : Jérôme Deschamps
Dorimène : Pauline Deshons
Cléonte : Aurélien Gabrielli
Dorante, le maître de danse : Guillaume Laloux
Madame Jourdain : Josiane Stoleru
Nicole : Pauline Tricot
Chanteurs et chanteuses : Sandrine Buendia, Nile Senatore, Lisandro Nesis, Jérôme Varnier 
Danseurs et danseuses : Anna Chirescu, Léna Pilon Lang, Artur Zakirov, Quentin Ferrari, Maya Kawatake Pinon

Les Musiciens du Louvre, dir. Théotime Langlois de Swarte
Mise en scène : Jérôme Deschamps
Décors : Félix Deschamps
Costumes : Vanessa Sannino
Perruques : Cécile Kretschmar
Chorégraphie : Natalie Van Parys
Lumières : François Menou

Le programme

Le Bourgeois Gentilhomme

Comédie-ballet de Molière, musique de Jean-Baptiste Lully, créée le 14 octobre 1670 au Château de Chambord.
Paris, Théâtre national de l’Opéra Comique, représentation du jeudi 16 mars 2023.