« LES VOYAGEURS POUR LA LUNE, EN CANON ! » Prochain arrêt : Opéra de Massy

Le Voyage dans la Lune d’Offenbach se poursuit, avec une escale bien agréable à l’Opéra de Massy

Le Voyage dans la Lune d’Offenbach poursuit son périple et fait escale à Massy pour deux représentations : ne manquez pas cette occasion de découvrir cet opéra-féerie fort peu connu mais très réjouissant du grand Jacques !

Un Offenbach qui n’a rien perdu de sa légendaire veine mélodique

Après plusieurs villes de France dont, tout récemment, l’Opéra de Rouen, c’est au tour de l’Opéra de Massy d’accueillir la production du Voyage dans la lune d’Offenbach créée à Montpellier en 2020  – mais dont les représentations ne purent avoir lieu du fait de la Covid : seuls quelques médias, dont Première Loge, avaient pu assister à la première et unique représentation... On ne peut donc que se réjouir de voir renaître et tourner en France cette œuvre d’Offenbach devenue extrêmement rare de nos jours – alors même que l’œuvre connut un immense succès à sa création (185 représentations à partir de 1875, puis reprise de l’œuvre en 1877 au théâtre du Châtelet, cette fois pour 250 nouvelles représentations !)

Un tel succès est dû sans aucun doute à l’indéniable qualité de l’œuvre. Le genre, tout d’abord : après le Roi Carotte en 1872, Le Voyage dans la lune fait partie de ces opéras-fééries qui marquent un renouvellement de l’œuvre d’Offenbach, rendu nécessaire par le temps nouveau qui suit la défaite de Sedan en 1870[i] ; ces œuvres sont avant tout conçues comme un feu d’artifice visuel ; la production originelle comportait 23 tableaux, 676 costumes différents, la présence sur scène d’un véritable dromadaire, et le public était encore dans le théâtre à deux heures du matin ! Musicalement  cependant, Offenbach n’a rien perdu de sa légendaire veine mélodique, et certaines pages du Voyage dans la lune (la Romance à la lune de Caprice, son madrigal « Je regarde vos jolis yeux », le duo de la pomme, les ballets notamment) comptent parmi les plus belles qu’il ait écrites ; plusieurs ensembles ou pages orchestrales font preuve d’un entrain irrésistible, tels les couplets de l’Obus (« Ah, comme cela va faire / Du tort au chemin de fer ! ») ou l’ensemble de la Neige. Le très beau « Clair de Terre » par lequel s’achève l’œuvre prend enfin aujourd’hui des résonances très particulières et sonne comme un véritable hymne à notre planète à l’heure où l’on s’interroge sur les moyens de la préserver de la folie des hommes. Quant au livret, très subtil, il dénonce avec tendresse toutes les petitesses humaines, et est d’un humour et d’une poésie irrésistibles.

Une mise en scène respectueuse de l’aspect féerique de l’œuvre

https://youtu.be/yWK0fa2OU3E

La production de 2022 qui fait halte à Massy rend justice à cette qualité d’ensemble. Le format (deux heures sans entracte) est considérablement raccourci par rapport à l’œuvre originelle (qui durait 4h, mais colportait de nombreux textes purs), mais l’équilibre de l’œuvre est respecté, même si l’on peut parfois regretter l’absence de telle ou telle page musicale. La mise en scène d’Olivier Fredj, sans déployer les fastes extraordinaires de 1875, fait référence au Voyage dans la lune de Méliès (très belle lune englobant le visage d’Offenbach !), déploie des tableaux tantôt déjantés, tantôt d’une grande poésie, et est servie par les très beaux décors et costumes de Malika Chauveau (les deux Rois, ou la Reine Popotte, en éponge à gratter, sont particulièrement irrésistibles…). Bref, l’esprit « féerie » est préservé et c’est assurément la plus grande qualité du spectacle ! Le livret enfin est respecté, et l’on découvre que 150 ans après sa création, l’humour originel fait toujours parfaitement mouche, sans qu’il soit nécessaire de moderniser les textes (- ou pire encore, comme c’est trop souvent le cas dans les productions d’Offenbach, de les vulgariser). L’opéra entre par ailleurs en résonance avec les préoccupations contemporaines, puisqu’il s’avère féministe avant l’heure : les femmes séléniotes, tout d’abord divisées en femmes utiles et femmes décoratives (« Ils sont d’un arriéré ! », s’exclame V’lan), s’émancipent grâce à l’amour lorsqu’elles croquent le fruit défendu et comprennent tout l’ascendant qu’elles pourront désormais avoir sur les hommes (« Désormais plus d’ignorance / Usons de notre puissance » !). Et le « marché aux femmes », où les Séléniotes vendent les femmes qui ont cessé de leur plaire, soulève l’indignation de Vl’an et de Fantasia, et sera in fine détourné de son usage premier pour servir les desseins des personnages[ii].

Un succès collectif

Musicalement, Le Voyage dans la Lune ne présente guère de « premier rôle » sur les épaules desquelles reposerait toute l’œuvre (comme dans La Grande-Duchesse, La Périchole ou La Belle Hélène), et est avant tout une œuvre « d’équipe ». C’est précisément le dynamisme et la cohésion d’ensemble qu’on apprécie ici, même si certains tirent habilement leur épingle du jeu, Shéva Téhoval, Fantasia virtuose et raffinée, ou encore Pierre Derhet, vraiment très drôle scéniquement et qui chante impeccablement les couplets du Prince Quipasseparla. Mais Matthieu Lécroart (V’lan) et Ludivine Gombert (Flamma) sont également très convaincants (et parfaitement intelligibles dans leurs parties chantées). Christophe Poncet de Solages (Cactus), Erick Freulon (Cosmos), Raphaël Bremard (Microscospe), Marie Lenormand (Popotte) font preuve d’un enthousiasme communicatif. Le rôle de Caprice, un rôle travesti comme les affectionne Offenbach, est ici tenu par un soprano et non un mezzo (Zulma Bouffar, créatrice de Gabrielle dans La Vie parisienne mais aussi de Fragoletto dans Les Brigands ou Robin-Luron dans Le Roi Carotte était sans doute un mezzo léger…) : Jennifer Michel y fait montre d’un bel abattage, mais les textes chantés sont assez peu compréhensibles, c’est dommage dans une œuvre ou le comique naît souvent de la complémentarité  ou du décalage entre la musique et les paroles…

Au rideau final, grand succès pour tous les artistes, y compris la cheffe Chloé Dufresne, garante du tempo de la soirée auprès d’un orchestre (de l’Opéra de Massy), de chœurs (de l’Opéra Grand Avignon et de l’Opéra de Massy) impliqués, les formidables danseurs-acrobates… mais aussi l’adorable chien Okami, aux interventions tant adorables que  réjouissantes !

N.B.: Pour découvrir l’œuvre dans son intégralité, écoutez le CD récemment édité par le Palazzetto Bru Zane qui co-produit le spectacle. 

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[i] Voyez à ce sujet l’article de Stéphane Lelièvre « 1870 : l’ « Année terrible » d’Offenbach ? » tout récemment paru dans la Revue Germanique Internationale n° 36-2022 Les transferts franco-allemands dans la vie et la création musicales de 1870 à 1914, disponible en ligne.

[ii] On sait gré au metteur en scène d’avoir conservé ces deux allusions si peu « politiquement correctes » aujourd’hui, mais qui selon nous participent d’une dénonciation sur le mode de l’humour et de la parodie (la scène de la vente aux enchères sonne comme une allusion à celle du deuxième acte de La Dame blanche) de la réification des femmes et du peu de cas qu’en font certains hommes.

Les artistes

Fantasia : Shéva Téhoval
Flamma : Ludivine Gombert
Popotte : Marie Lenormand
Caprice : Jennifer Michel
V’lan : Matthieu Lécroart
Quipasseparla : Pierre Derhet
Microscope : Raphaël Bremard
Cosmos : Erick Freulon
Cactus : Christophe Poncet de Solages

Orchestre de l’Opéra de Massy, dir. Chloé Dufresne
Chœur de l’Opéra Grand Avignon, Chœur de l’Opéra de Massy
Cheffe des chœurs : Aurore Marchand
Mise en scène : Olivier Fredj
Assistant mise en scène : Maud Morillon
Direction artistique : Jean Lecointre
Chorégraphie : Anouk Viale
Décors et costumes : Malika Chauveau
Lumières : Nathalie Perrier
Chef de chant : Elsa Lambert
Danseurs acrobates : Fanny Rouyé (dance captain), Camerone Bida, Aurélie Mignon, Édouard Gameiro, Julien Desfonds, Constant Dourville, Pierre Boileau-Sanchez
Avec la participation du chien Okami

Le programme

Le Voyage dans la lune

Opéra-féérie en 4 actes et 23 tableaux de Jacques Offenbach, livret d’Albert Vanloo, Eugène Leterrier et Arnold Mortier d’après Jules Verne, créé le 26 octobre 1875 à Paris (théâtre de la Gaîté).
Opéra de Massy, représentation du vendredi 09 décembre 2022.