Le Chant de la terre, ou l’adieu de Paul Daniel à Bordeaux

Crédit photos : © Pierre Planchenault

C’est un concert plein d’émotion qui a eu lieu ce jeudi 1er juillet à l’auditorium de l’Opéra de Bordeaux, puisqu’il marquait le départ de Paul Daniel, qui sera resté à la tête de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine pendant huit ans. Huit ans au cours desquels des liens forts se sont tissés avec le public, mais aussi, de toute évidence, avec les musiciens de l’orchestre. Huit ans qui auront vu la réalisation de concerts (la création française de la Symphonie n°4 « Hope » que le pianiste Fazil Say composa à la suite des attentas terroristes est encore dans toutes les mémoires…) ou de représentations d’opéras mémorables (citons une impressionnante Walkyrie en mai 2019, le rare Démon de Rubinstein en janvier 2020, ou encore un flamboyant Roméo et Juliette en mars 2020).

Pour ce concert d’adieu, Paul Daniel a choisi la rare et très belle Rhapsodie pour orchestre de George Butterworth (compositeur prématurément disparu en 1916 lors de la bataille de la Somme) A Shropshire Lad, dont la beauté crépusculaire donne très envie d’entendre le cycle vocal du même nom – dont cette page peut être considérée comme l’épilogue symphonique. À cette rareté succède Le Chant de la terre de Mahler : les deux œuvres choisies permettent à l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine de déployer une infinie palette de couleurs, et de  montrer son habileté à faire alterner les climats sonores les plus opposés ainsi que sa parfaite maîtrise des contrastes dynamiques. Pour autant, sous la direction tout à la fois précise et attentionnée du chef, la prestation ne se réduit pas à un vain exercice de virtuosité : la fraîcheur vive et colorée des tableaux poétiques évoqués par Li-Taï Po (De la jeunesse, De la beauté), l’humour grinçant ou désespéré de La Chanson à boire ou de L’homme ivre au printemps, de même que le lyrisme désespéré ou l’espoir renaissant de l’Adieu sont rendus avec une justesse et une émotion qui suscitent, dans le public, une qualité d’écoute exceptionnelle…
D’autant que les solistes invités se montrent parfaitement à la hauteur des exigences de leurs redoutables interventions. On retrouve avec grand plaisir le ténor Issachah Savage (qui fut Siegmund sur cette même scène il y a deux ans), voix à la fois solide et malléable, aux aigus sûrs et à l’émission facile et saine (à l’exception d’un subit enrouement à la fin du troisième lied, heureusement très bref et habilement dissimulé…). Le timbre chaud et capiteux de Marie-Nicole Lemieux épouse superbement les lignes du chant malhérien, à la fois voluptueuses, éclatantes, mais parfois périlleuses dans les subits éclats, les changements de couleurs et les forts contrastes qu’elles requièrent. Les graves, notamment, sont superbes de texture et de couleur. Les aigus ne sont pas en reste, même si, ici ou là (« Die liebe Erde… », «… blauen licht die Fernen! »), un peu plus de rondeur et de douceur permettrait d’alléger et d’embellir la ligne. Mais la chanteuse fait preuve d’une concentration extrême et délivre une interprétation empreinte d’émotion, en particulier dans les « ewig » qui concluent l’œuvre, dont le dernier, à peine audible, est juste susurré…

C’est donc sur ce bouleversant « Abschied » que Paul Daniel prend congé de Bordeaux… Un Abschied, vraiment ? Ne serait-ce pas plutôt un Auf Wiedersehen ? Paul Daniel, après avoir fait longuement applaudir les musiciens de l’orchestre, laisse entendre, dans un petit discours conclusif, qu’il reviendra en terre bordelaise, cette fois-ci en tant que chef invité… pour le plus grand bonheur du public qui ne se résout à laisser partir le chef britannique qu’après  de longues et chaleureuses salves d’applaudissements.

Les artistes

Marie-Nicole Lemieux, contralto
Issachah Savage, ténor

Orchestre National de Bordeaux Aquitaine, dir. Paul Daniel

Le programme

George Butterworth
A Shropshire Lad, rhapsodie pour orchestre

Gustav Mahler
Das Lied von der Erde

Concert du jeudi 1er juillet 2021, Opéra National de Bordeaux (Auditorium)