CARMEN au Théâtre des Champs-Élysées. Elle a tout d’une grande

Marina Viotti © David Ruanoquer

Carmen, en version de concert, un dimanche après-midi, on ne savait à quoi s’attendre. Avouons tout de même que nous spéculions sur un joli, un bon, un charmant moment de musique en compagnie des tubes de Bizet. Le spéculateur mal averti en aura pris pour son grade. Ce fut un grand moment de théâtre, de chant et de vérité des mots et, surtout, la naissance d’une grande Carmen, Marina Viotti.

Récente Cenerentola un rien bridée dans ce même Théâtre des Champs-Élysées, Marina Viotti est déjà une magnifique Carmen. Pourquoi déjà ? Parce que les conditions de cette prise de rôle n‘étaient pas forcément idéales. La mezzo-soprano remplace Marianne Crebassa initialement prévue mais aussi Deepa Johnny, la Carmen des représentations en version scénique à l’Opéra de Rouen en septembre dernier avec la même équipe musicale présente ici. Peu de répétitions donc pour une œuvre qui réclame plus que quelques réglages même pour une version de concert, des partenaires nouveaux avec qui échanger, jouer, vivre et mourir et une partition qu’on devine encore un peu « fraiche » et pourtant, Carmen est là, naturelle, charmeuse, sensible, spirituelle et fine. Rien de vulgaire, juste un savant mélange de pudeur et de volonté qui ne laisse de trotter dans votre esprit bien après la fin du concert.
Ajoutons à cela une science des mots, des couleurs et du texte alliée à une voix claire, précise et nuancée et le portait semble presque exemplaire et unique. Presque puisque Marina Viotti devrait gagner en liberté lorsque la partition lui sera plus totalement familière. On lui souhaite surtout de garder cette fraîcheur qui fait tout le charme de sa Carmen. Ajoutons que c’est toujours un plaisir pour les oreilles quand une chanteuse aguerrie à Rossini s’empare des notes de Bizet et rend justice aux rythmes, appogiatures et vocalises écrites par le compositeur. Marina Viotti, fine musicienne, n’hésite pas non plus à imposer à l’orchestre sa vision des tempi, ce qui nous vaudra une Chanson bohème fort bien construite et enlevée.

A ses côtés, Stanislas de Barbeyrac est un Don José du feu de Dieu. Dès sa première entrée, on sent que son brigadier n’a pas l’amour facile et que tomber sous son charme n’augure pas vraiment du meilleur. Le ténor partage avec Marina Viotti ce talent de diseur qui fait que chaque mot porte son juste poids. Sa voix sombre et puissante, n’hésitant jamais devant quelques allègements de la ligne, se joue avec talent des difficultés de ce rôle redoutable. Y a-t-il eu quelques tensions vocales ? Nous n’y avons vu que du théâtre. Son air de la fleur soulève les applaudissements. Pour une grande Carmen, il fallait bien un grand Don José et, ce soir, il était bien là, immensément là.

Jérôme Boutillier est un Escamillo à la hauteur de ce duo unique. Son toréador aux phrasés variés n’oublie jamais de « faire » de la musique. Le charme opère ici autant par la voix que par l’esprit et c’est une réussite. En Frasquita et Mercédès, Faustine de Monès et Floriane Hasler sont piquantes et émouvantes juste ce qu’il faut, les aigus rayonnants de la première rivalisant avec bonheur avec la rondeur de voix de la seconde. Florent Karrer et Thomas Morris sont des Dancaïre et Remendado sympathiques et efficaces. Nicolas Brooymans  est un Zuniga bien présent mais un rien monolithique face au Moralès séduisant et nuancé de Yoann Dubruque.  La Micaëla de Iulia Maria Dan, quant à elle, interroge quelque peu. La voix de la soprano, puissante et projetée, ne manque pas d’attraits, mais son beau travail sur la longueur de souffle éclipse parfois les mots et le sens du texte. Les habits de la jeune villageoise semblent un rien étroits pour elle, même si sa prestation rencontre un beau succès à l’applaudimètre.

L’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie s’est révélé en grande forme, précis et nuancé. A sa tête, Ben Glassberg a fait montre de choix de tempi judicieux même si des phrasés un peu plus longs et chantants n’auraient pas été pour nous déplaire. Quelques transitions sur des œufs n’entachent en rien la qualité de la réalisation musicale. Le Chœur Accentus / Opéra de Rouen Normandie préparé par Christophe Grapperon est toujours exemplaire de diction et de nuances. Seule sa disposition scénique étonne et nuit à la puissance de la masse chorale. La douzaine de membres de la Maîtrise du Conservatoire à rayonnement régional de Rouen  est précise et gouailleuse même si un petit passage par l’avant-scène aurait pu les mettre plus en valeur.

Qui dit version de concert aurait pu dire mise en espace. Que nenni ce soir. Juste quelques entrées bien réglées, une fleur rouge dans les cheveux de Carmen, un manteau sur sa robe, des Mercédès et Frasquita joliment colorées, un Escamillo en frac et un Don José jouant de sa veste de smoking. Rien de plus et c’était bien suffisant pour faire de cette version de concert une grande Carmen.

Retrouvez les interprètes de cette Carmen en interview !

A lire :
Gabrielle Halpern, Marina Viotti : Et si le monde était un opéra ? La philosophe et la chanteuse (Editions de l’Aube)

France Musique diffuse ce concert le 04 novembre à 20h (Samedi à l’Opéra présenté par Judith Chaine).

Les artistes

Carmen :  Marina Viotti 
Don José :  Stanislas de Barbeyrac 
Micaëla :  Iulia Maria Dan
Escamillo : Jérôme Boutillier 
Frasquita :  Faustine de Monès
Mercédès :  Floriane Hasler
Le Remendado : Thomas Morris
Le Dancaïre :  Florent Karrer
Zuniga :  Nicolas Brooymans
Moralès :  Yoann Dubruque

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, Chœur accentus / Opéra de Rouen et Maîtrise du Conservatoire à rayonnement régional de Rouen, dir. Ben Glassberg

Le programme

Carmen
Opéra-comique en quatre actes de Georges Bizet, livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy d’après le roman de Prosper Mérimée. Créé le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique, à Paris.

Théâtre des Champs-Élysées, dimanche 22 octobre 2023 – 17h00