Hamlet de Thomas ouvre l’édition So british du Festival Radio-France Occitanie Montpellier

Festival Radio-France Occitanie Montpellier – Journal de bord 1

Parmi les 6.800 festivals français, l’ouverture du FROM à Montpellier demeure un évènement. La cité languedocienne s’offre à la fois la création mondiale de la version originale d’Hamlet d’Ambroise Thomas et les Rencontres de Pétrarque sur une actualité brûlante –  « Quelle paix pouvons-nous espérer ? ». En dépit de la canicule de ce 15 juillet, les auditeurs rallient l’Opéra Berlioz afin de découvrir cette version originale avec ténor dans le rôle-titre, incarné par John Osborn. Le maître d’œuvre de cette version concert est le chef Michael Schønwandt.

Percevoir la richesse de cette version d’Hamlet dans la filiation du Festival

Dans les processus de festivalisation, Montpellier et la région Occitanie figurent en bonne position (juste derrière la région PACA). Depuis 1985, le Festival de Radio-France Occitanie Montpellier (FROM) inscrit dans son ADN la redécouverte d’opéras européens des XVIIIe et XIXe siècles. De l’Armida immaginaria de Domenico Cimarosa (1994) à Fervaal de d’Indy (2019), ses directeurs successifs renouvellent le répertoire lyrique avec audace, en compagnie de l’Opéra Orchestre national de Montpellier.
Écoles italienne, allemande, hongroise, anglaise ou française, toute redécouverte a son potentiel, au même titre que la création qui anime désormais les éditions du Festival international d’Aix-en-Provence.
Dans son interview du 11 juillet pour Première Loge, maestro Schønwandt évoquait la prépondérance « du point dramaturgique » pour élaborer la version concertante d’un opéra. Ses visées de chef-dramaturge sont superbement restituées dans l’Hamlet d’Ambroise Thomas, sélectionné pour l’édition « So british » du FROM. Résonnant dans la conque acoustique de l’Opéra Berlioz, l’Orchestre national de Montpellier (dont Schønwandt est chef principal depuis 2015) et les chœurs des Opéras de Montpellier et de Toulouse symbolisent la réunion des deux métropoles de la Région Occitanie qui subventionne principalement le festival.

L’architecture puissante du grand opéra en 5 actes, ses effets de spatialisation avec les musiques de coulisse (fanfares et bruits de canon), de zoom entre la puissance chorale et l’intimité des protagonistes, tout est en mouvement pour séduire l’auditoire. L’absence de mise en scène est loin de minorer les tensions véhiculées par ce phare du romantisme français, plus tempéré qu’exacerbé. Certes, la tragédie shakespearienne est abâtardie dans le livret de Barbier et Carré, taillé pour le Théâtre-Lyrique l’année des Troyens (1863),  mais finalement exporté à l’Opéra de Paris (1868). Mais la connaissance shakespearienne de Thomas remonte, elle, aux musiques de scène d’Hamlet adapté par Dumas père (1847), avant de faire chanter le comparse William dans son opéra-comique Le Songe d’une nuit d’été (1850).

Si le compositeur adulé de Mignon n’oublie pas cette dernière connotation dans son grand opéra Hamlet (chœur « Nargue de la tristesse », I), son orchestration spectaculaire fait le lien entre le Tristia op. 18 de Berlioz (triptyque associé à Hamlet) et les opéras à venir de Massenet, son disciple. Car, à défaut d’innovations formelles ou harmoniques, cette orchestration est d’une inventivité permanente et appropriée, soit orientée vers la somptuosité de la cour royale du Danemark, écho du style pompier sous Napoléon III, soit creusant la psychologie tourmentée des protagonistes, prisonniers du mensonge, de la vengeance ou de la folie. Ainsi, l’alliance du soprano d’Ophélie avec le cor anglais souligne-t-il la valeur profonde qu’elle accorde à la fidélité amoureuse (« Les serments ont des ailes »,  acte II). Le solo de trombone caractérisant la mélancolie tourmentée du prince (I), celui inédit de saxophone introduisant la mise en abyme du Meurtre de Gonzague (II), la clarinette méditative sur trame de violoncelles campant le « site champêtre ombragé » de l’acte d’Ophélie (IV), tous offrent instantanément la couleur suis generis que Berlioz préconisait dans son Grand traité d’orchestration. Ces recherches s’élargissent vers le chœur à bouche fermée, qu’un halo de harpe, flûte et cor (en coulisse) nimbe d’une aura angélique lors de l’engloutissement d’Ophélie. En contraste, les ostinati rythmiques charpentent farouchement les scènes lugubres, notamment la première apparition du Spectre du père d’Hamlet (« Ecoute-moi ! » I), ou encore celle du cortège funèbre d’Ophélie (V).

L’effort européen de redécouverte

Grâce au maître d’œuvre danois Michael Schønwandt, à l’éditeur anglais Hugh Macdonald pour Bärenreiter-Verlag (allemand), le FROM livre la nature originelle du grand opéra [français] – Hamlet avec ténor dans le rôle-titre. Si le brillant d’une voix de ténor tourne le dos à l’éloquence d’un baryton, la partition ne varie cependant pas, hormis les transpositions pour Hamlet. Quand découvrirons-nous la version londonienne dans laquelle Thomas ménage (diplomatiquement) une fin respectueuse de la tragédie shakespearienne ?

Du côté de la distribution, l’enthousiasme l’emporte sur les réserves que génère tout spectacle vivant. La performance de Jodie Devos en Ophélie est stupéfiante alors qu’elle en avait seulement abordé les airs au concert (Bruxelles en 2021). L’émotion naturelle et la sensibilité généreuse habitent chacune de ses prestations tandis que la souplesse du phrasé, le timbre toujours charnu, y compris dans l’extrême aigu (contre-ré, contre-fa), confèrent une présence lumineuse à la jeune fiancée du prince. Sa composition de la scène de la folie diffère de celle hagarde et éthérée que Sabine Devieilhe incarne à l’Opéra-Comique sur le registre sublime. Jodie Devos impose, elle, la fine juvénilité d’une amoureuse, brisée en plein envol, depuis la ballade scandinave « Pâle et blonde » jusqu’aux vocalises d’une sûreté confondante. Aussi, brisant le silence au sein de chaque acte, l’auditoire ovationne spontanément l’artiste depuis son air soliste du 2e acte !

La relative méforme du ténor étasunien John Osborn (Hamlet) ne prive cependant pas le public d’une musicalité et d’une manière de prosodier sans faille, adoptée depuis ses prises de rôle dans Les Huguenots ou Werther. Las …, le registre moyen que Thomas confère au rôle ne lui sied guère et ses deux airs phares – « O vin dissipe ma tristesse » (II) « Être ou ne pas être » (III) – manquent l’un de brio, l’autre d’intériorité, tandis que sa participation aux ensembles tend à décliner en cours de la soirée, bien que soutenue par la solidarité des partenaires. De ce fait, le public ne peut évaluer si les tensions psychologiques du héros romantique s’incarnent dans cette version pour ténor, alors que celle pour baryton l’est pleinement avec Stéphane Degout.

En reine Gerturde, manipulatrice du régicide avec Claudius, le mezzo-soprano Clémentine Margaine irradie d’opulence et d’ampleur vocales. Le versant d’une sensibilité maternelle est tout aussi émouvant lors de son duo avec Hamlet : ses graves cuivrés y magnifient « la douleur égale ma raison » (III). L’opulence royale vaut également pour la basse chantante Julien Véronese (Claudius), dont l’élégante diction et les accents de sincérité s’épanouissent dans l’air « O je t’implore, mon frère » (III).

En Spectre du père d’Hamlet, l’aura de la basse Jérome Varnier – stature filiforme de près de 2 m – en impose autant que dans une mise en scène lors de ses trois apparitions. L’outre-tombe du timbre (soutenu par la clarinette basse) s’appuie sur la déclamation concise,  recto tono. Frère juvénile d’Ophélie, Laërte (Philippe Talbot) impose la clarté d’un ténor d’opéra-comique dans son bel air « Pour mon pays, en serviteur fidèle », tandis que le chambellan Polonius (Geoffroy Buffière) honore ses brèves interventions. Le duo des amis du prince, Horatio (Tomislav Lavoie) et Marcellus ( Rodolphe Briand), s’emboite avec précision au dialogue orchestral. Au dernier acte, leur métamorphose en pittoresques fossoyeurs révèlent leur complicité primesautière (on pense au futur duo des buveurs dans Werther). Quant aux interventions chorales, elles émaillent la fresque d’une solennité appropriée grâce à l’excellente fusion des chœurs professionnels de Toulouse et Montpellier. Cette aubaine profite tant à la grandeur (« Jour de fête, jour d’allégresse », I) qu’à l’ambiance bachique (chœur des Comédiens, II).

De l’intimité de la douce Ophélie à la tension du grand concertato qui clôt la dénonciation d’Hamlet (final du II), la réussite de cette version de concert hisse l’œuvre à la hauteur du mélodrame verdien contemporain, sans y ressembler !

Pour aller plus loin …

– Discographie d’opéras exhumés au FROM, depuis La Esmeralda de Louise Bertin jusqu’à Thérèse de Jules Massenet : https://old.www.opera-orchestre-montpellier.fr/discographie

– Pour les repères sur le Festival Radio-France Occitanie-Montpellier, voir le chapitre « Les festivals après 1945 : au cœur des enjeux de décentralisation » dans Histoire de l’opéra français, vol. 3 (Fayard, 2022), p. 768-779.

– En marge de votre séjour festivalier à Montpellier : l’exposition au musée Fabre « à l’opéra chez les Despous » : https://museefabre.montpellier3m.fr/EXPOSITIONS

Les artistes

Hamlet : John Osborn
Ophélie : Jodie Devos
Gerturde : Clémentine Margaine
Claudius : Julien Véronese
Laërte : Philippe Talbot
Polonius : Geoffroy Buffière
Horatio, 1er fossoyeur : Tomislav Lavoie
Marcellus, 2e fossoyeur : Rodolphe Briand
Le Spectre du défunt roi du Danemark : Jérome Varnier,

Orchestre national de Montpellier-Occitanie, dir. Michael Schønwandt
Chœur de l’Opéra national de Montpellier-Occitanie, dir. Noëlle Gény ; Chœur du Capitole de Toulouse, dir. Gabriel Bourgoin

Le programme

Hamlet

Opéra en 5 actes d’Ambroise Thomas, livret de Michel Carré et Jules Barbier (1863), en recréation pour sa version originelle pour ténor en rôle-titre.

Festival Radio France Occitanie Montpellier, représentation du vendredi 15 juillet 2022