LEAR, Reimann (1978) – dossier

La Bayerische Staatsoper de Munich propose actuellement une nouvelle production du Lear d’Aribert Reimann, dans une mise en scène de Christoph Marthaler, avec Christian Gerhaher dans le rôle-titre (du 23 mai au 07 juin). 
Découvrez à cette occasion le dossier que Première Loge consacre à cette œuvre forte du XXe siècle lyrique. 

Opéra en deux parties d’Aribert Reimann livret de Claus H. Henneberg d’après Shakespeare, créé le le 9 juillet 1978 à la Bayerische Staatsoper de Munich.

Le compositeur

Aribert Reimann (né en 1936)

Aribert Reimann est pianiste, compositeur, professeur de chant contemporain. Il a accompagné certains des plus grands chanteurs allemands (Brigitte Fassbaender, Dietrich Fischer Diskau) et plusieurs enregistrements témoignent de leur précieuse collaboration :

  • Lieder de la seconde école de Vienne (Schönberg, Webern, Berg), Dietrich Fischer-Dieskau, Aribert Reimann. (DG, 1978, vinyle). Réédition en CD : Schönberg, Gurrelieder (Kubelik) et Lieder : Webern, Berg, Schönberg (Fischer-Dieskau, Reimann).
  • Friedrich Nietzsche : Lieder, Piano Works, Melodrama, Dietrich Fischer-Dieskau, Aribert Reimann. (Philips, 1995)

Nietzsche, Beschwörung, Dietrich Fischer-Diskau, Aribert Reimann.

  • Schubert, Die schöne Müllerin, Brigitte Fassbaender, Aribert Reimann (DG, 1995)

  • Schubert, Winterreise, Brigitte Fassbaender, Aribert Reimann, (DG, 1988)

Aribert Reimann compose aussi bien de la musique pour piano que de la muique vocale, des œuvres symphoniques ou des œuvres destinées à la scène (ballets et opéras). Parmi ses opéras :

  • Melusine (1971), opéra en 4 actes sur un livret de Claus H. Henneberg.
  • Lear (1978), opéra en deux parties sur un livret de Claus H. Henneberg, d’après Le Roi Lear de William Shakespeare.
  • Troades (1986), livret de Gerd Albrecht, en collaboration avec le compositeur, d’après Les Troyennes d’Euripide.
  • Das Schloss (1992), livret du compositeur, d’après Le Château de Franz Kafka.
  • Medea (2007), opéra ne deux parties la trilogie Das goldene Vlies (La Toison d’or) de Franz Grillparzer.
  • L’Invisible (2017), trilogie lyrique, livret du compositeur, d’après Maurice Maeterlinck.

Le librettiste

Claus H. Henneberg (1936-1998)

Librettiste et traducteur allemand. Il écrivit des livrets pour Reimann (Mélusine ; Lear d’après Shakespeare), Mayuzumi (Kinkaku-ji d’après Mishima), Trojahn (Enrico d’après Pirandello), Eötvös (Die drei Schwestern d’après Tchekhov).

La création

Lear fut composé par Aribert Reimann à la demande du chanteur Dietrich Fischer-Dieskau – qui avait d’abord songé, dans un premier temps, à Benjamin Britten. L’œuvre fut composée en 1976-1978, apràs que l’Opéra de Munich eut officiellement passé commande de l’aoeuvre au compositeur.

La première, couronnée de succès, eut lieu le 9 juillet 1978 à la Bayerische Staatsoper (Munich). La direction musicale était assurée par Gerd Albrecht, la mise en scène par Jean-peirre Ponelle ; les costumes étaient signés Pet Halmen. Les principaux interprètes étaient Dietrich Fischer-Dieskau dans le rôle-titre, et Julia Varady dans celui de Cornelia.

L’intrigue

PREMIERE PARTIE

Lassé du pouvoir, le Roi Lear souhaite abdiquer et partager son royaume entre ses trois filles en fonction de l’amour qu’elles lui portent. Ce sont Goneril et Regan qui héritent du royaume, grâce à un   amour filial aussi emphatique qu’hypocrite.

Lear 
Tu crois que c’est grand-chose que cette tempête mutinée qui nous pénètre jusqu’aux os. C’est beaucoup pour toi ; mais là où s’est fixée une plus grande douleur, une moindre se fait à peine sentir. Tu chercherais à éviter un ours ; mais si ta fuite te conduisait vers la mer en furie, tu reviendrais affronter l’ours en face. Qaud l’âme est libre, le corps est délicat ; mais la tempête qui agite mon âme ne laisse à mes sens aucune autre impression que celles qui se combattentau-dedans de moi. L’ingratitude de nos enfants… n’est-ce pas comme si ma bouche déchirait ma main pour lui avoir porté la nourriture ? Mais je punirai bientôt. Non, je ne veux plus pleurer. Par une nuit semblable, me mettre à la porte ! Verse tes torrents, je les supporterai. Dans une nuit semblable ! Ô Régane ! Gonerille ! Votre bon vieux père, dont le cœur sans méfiance vous a tout donné ! Oh ! C’est de ce côté qu’est la folie ; évitons-le, n’en parlons plus.

Shakespeare, Le Roi Lear, Acte I, scène 1 (traduction François Guizot)

Cordelia, qui aime sincèrement son père mais sans ostentation, est chassée, condamnée à épouser le roi de France. Goneril et Regan ont tôt fait de chasser leur père, qui comprend trop tard son erreur et cherche à retrouver sa fille Cordelia. Au bord de la folie, essuyant une effroyable tempête, il est sauvé par le duc de Gloucester (père d’Edgar et Edmund,son fils naturel) qui l’emmène à Douvres.

SECONDE PARTIE

Regan a épousé le duc de Cornouailles, et Goneril le duc d’Albany. Elles ont toutes deux le même amant : Edmund, fils illégitime de Gloucester. Pour de venger de Gloucester et de l’aide qu’il a apportée à Lear, Regan et son époux le capturent et l’énucléent. Quant à Cordelia, elle a rassemblé les troupes françaises, prêtes à débarquer, afin de porter secours à son père. Goneril projette d’empoisonner sa sœur Regan (affaiblie par l’assassinat de son époux le duc de Cornouailles) afin de rester seule à régner. Son époux le duc d’Albany, horrifié par les projets sanglants de sa femme, décide alors de rejoindre les troupes françaises, mais  Edmund mène les troupes de ses maîtresses Regan et Goneril à la victoire. Il ordonne l’exécution de Lear et de sa fille Cordelia avant que le duc d’Albany ne puisse venir les secourir. L’opéra de termine par la mort des principaux personnages : Edmund est tué, Goneril se suicide, le poison qu’elle a administré à Regan fait son œuvre ; Cordelia est pendue et le vieux Lear, portant le corps de sa fille bien-aimée, meurt de douleur.

Entrent Lear, tenant Cordélia morte dans ses bras, Edgar, l’officier et d’autres.

Lear 
Hurlez, hurlez, hurlez, hurlez ! Oh ! vous êtes des hommes de pierre. Si j’avais vos voix et vos yeux, je m’en servirais à fendre la voûte du firmament. Oh ! Elle est partie pour jamais. Je vois bien si quelqu’un est vivant ou s’il est mort. Elle est morte comme la terre. Prêtez-moi un miroir : si son haleine en obscurcit ou en ternit bla surface, alors elle vivrait encore. […] Non, non, non, plus de vie. Quoi ! un chien, un chat, un rat, ont de la vie ; et toi, pas la moindre haleine ! Oh ! tu ne reviendras olus, jamais, jamais, jamais, jamais ! Défaites ce bouton, je vous en prie. Je vous remercie monsieur. Voyez-vous cela ? Regardez là… regardez… ses lèvres… regardez… regardez…
Il meurt.

Shakespeare, Le Roi Lear, Acte V, scène 3 (traduction François Guizot)

La musique

L’œuvre de Reimann est à la fois complexe, exigeante et terriblement efficace car d’une très grande puissance expressive. Lyrisme et violence y alternent tour à tour, l’écriture orchestrale est d’une richesse et d’une efficacité constantes. Les profils vocaux sont clairement caractérisés et individualisés, chaque personnage possédant un langage qui lui est propre. L’orchestre est celui du romantisme finissant auquel ont été ajoutés plusieurs instruments de percussion. Un clusterde 48 cordes, couvrant parfois l’ensemble de l’orchestre, y joue un rôle non négligeable.

L’hétérogénéité musicale (texte parlé accompagné d’un quatuor à cordes, vocalises virtuoses pour le rôle de Regan, puissance et violence pour celui de Goneril, …) est assumée et comme revendiquée, le style pouvant changer d’un moment  l’autre en fonction de la nature même des scènes.

 « Mein lieber Vater » (seconde partie, scène 6); D. Fischer-Dieskau, J. Varady

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Quelques extraits de Lear par D. Fischer-Dieskau

L’œuvre dégage une violence, une noirceur mais aussi une émotion prégnantes. Fait rarissime pour un opéra contemporain : le Lear de Reimann a connu de multiples reprises depuis sa création, signe de l’impact incontestable rencontré sur le public.

Pour voir et écouter l’œuvre

  • Gerd Albrecht (dir.) ; Dietrich Fischer-Dieskau, Karl Helm, Hans Wilbrink, Georg Paskuda, Richard Holm, Hans Günter Nöcker, David Knutson, Werner Götz, Helga Dernesch, Colette Lorand, Júlia Várady, Rolf Boysen, Markus Gortizki, Gerhard Auer ; Orchestre d’Etat de Bavière, Choeurs de l’Opéra d’Etat de Bavière. (DG, 1978).

  • Sebastian Weigle (dir.) ; Wolfgang Koch, Magnus Baldvinsson, Dietrich Volle, Michael McCown, Hans-Jürgen Lazar, Johannes Martin Kränzle, Martin Wölfel, Frank van Aken, Jeanne-Michèle Charbonnet, Caroline Whisnant, Britta Stallmeister ; Frankfurter Opern- und Museumsorchester, Choeurs de l’Opéra de Francfort. Oehms Classics (2008)

Simone Young (dir.),  Karoline Gruber (mise en scène);  Bo Skovhus, Katja Pieweck, Hellen Kwon, Siobhan Stagg, Erwin Leder, Lauri Vasar, Andrew Watts, Martin Homrich (Edmond). Orchestre Philharmonique et chœur de la Staatsoper de Hambourg, ArtHaus Musik (2014)
Attention : sous-titres en allemand et en anglais uniquement.