GIULIO PELLIGRA – de Palerme à Liège via Naples, Venise ou Rennes : l’itinéraire d’un ténor sicilien

Que de chemin parcouru pour Giulio Pelligra depuis certain Élixir d’amour chanté à Piacenza en 2008 ! Depuis se sont ouvertes les portes du Teatro Massimo de Palerme, du San Carlo de Naples, de la Fenice de Venise, du Seoul Arts Center, du Maggio Musicale Fiorentino, ou… de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, où le ténor d’origine sicilienne – qui s’exprime dans un français parfait ! – chante cette saison Tamino dans La Flûte enchantée et Fenton dans Falstaff. Rencontre avec un ténor sympathique et talentueux, qui rêve de Werther ou Riccardo dans Un ballo in maschera

Stéphane LELIEVRE : Comment êtes-vous venu au chant, Giulio Pelligra ?
Giulio PELLIGRA :
Cela s’est fait sous l’influence de mon grand-père, qui chantait toujours, le répertoire classique, d’anciennes chansons… À l’âge de 6 ans, j’ai commencé à chanter avec lui, c’est ainsi que je j’ai découvert l’envie de chanter. J’avais une petite cassette des « trois ténors » que j’écoutais en permanence (Pavarotti et Carreras sont d’ailleurs restés deux de mes chanteurs favoris, des « modèles » en quelque sorte, avec également Roberto Alagna) ; j’ai alors dit à mes parents que je souhaitais étudier le chant. Mais j’étais parfaitement ignorant, je n’avais jamais vu un théâtre de ma vie, ni entendu un opéra ! (Je viens d’un petit village du centre de la Sicile, les théâtres les plus proches étaient à Palerme ou Catane…). Je me souviens qu’à 14 ans, ma première professeure m’a demandé quel était mon rêve : chanter dans les chœurs ? Être soliste ? J’ai tout de suite répondu : « Être soliste ! » J’ai suivi mes études, passé mes premiers concours, et chanté des opéras dans des productions du type « laboratoire lyrique », ce qui est d’ailleurs très formateur. Et puis, en 2008, il y eu L’Élixir d’amour, avec un super cast, à Piacenza : c’est un peu ce qui a lancé ma carrière !

S.L. : Depuis votre carrière a pris une dimension internationale : vous chantez assez régulièrement à l’Opéra Royal de Wallonie ; c’est un endroit que vous affectionnez particulièrement ?
G.P. :
En fait l’ancien directeur (Stefano Mazzonis di Pralafera) m’avait donné il y a quelques années la possibilité de chanter dans Nabucco et Otello de Verdi ; j’aurais dû revenir, de nouveau pour Nabucco, mais la production a été annulée en raison du confinement. Cependant, le nouveau directeur M. Pace et l’assistante à la direction artistique Mme Veruska Reho m’ont proposé Iago dans l’Otello de Rossini, une expérience qui a été suivie de nouvelles propositions : Fenton dans Falstaff, et donc ce Tamino que je chante actuellement – un rôle que j’avais déjà interprété à Rome en 2018.

S.L. : C’était dans la fameuse production de Barrie Kosky n’est-ce pas ?
G.P. : Oui, c’est bien cela, un spectacle qui ne comportait pas les dialogues de Schikaneder. Pour Liège, il a donc fallu que j’étudie et que j’apprenne le texte parlé allemand : j’ai été aidé très efficacement dans ce travail par le maestro Christopher Franklin, ou encore les metteurs en scène Cécile Roussat et Julien Lubek.

Tamino à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège (© J. Berger- ORW- Liège)

S.L. : Barrie Kosky, Cécile Roussat et Julien Lubek (familiers des arts du cirque, du mime, de la magie)… Vous aimez être confronté à des expériences théâtrales atypiques quand vous chantez dans une nouvelle production ?
G.P. : Je suis prêt à accepter toutes les lectures scéniques dès lors qu’elles sont justifiées et cohérentes ! Dans leur mise en scène, Cécile Roussat et Julien Lubek ont privilégié, dans le livret, l’aspect merveilleux, fiabesco (féérique), comme on dit en italien ! On est habitué à voir un Tamino « Prince », avec un côté un peu hiératique ou solennel, mais ici il s’agit d’un enfant : je suis en pyjama dans un lit, au début de l’œuvre ! Il me faut prendre des attitudes juvéniles, joyeuses, plutôt inattendues par rapport à l’idée qu’on se fait du personnage. La mise en scène comporte une dimension onirique : tout se passe comme si le petit Tamino faisait un rêve, avec ce serpent qui surgit dans son lit même et qui essaie de l’attraper ! La mise en scène sollicite par ailleurs le concours d’acrobates, et leurs interventions sont très intéressantes parce qu’elles sont toutes au service de l’histoire et aident à la narration.

S.L. : De Mozart, vous chantez donc Tamino, mais aussi Idomeneo, ou Ottavio. Cependant, on vous connaît surtout pour vos rôles du premier ottocento (Pollione, Nemorino, Arturo, quelques Rossini également). Est-ce que Mozart demande une adaptation particulière de la voix, de la technique, pour un ténor habitué plutôt à des rôles belcantistes ?
G.P. : Le chant mozartien est-il vraiment différent du chant belcantiste ? Il s’agit dans les deux cas de rechercher une pulizzia del suono (pureté du son), avec cette grande attention aux nuances dans la ligne vocale, mais en adaptant bien sûr son chant au style de Mozart… Pourtant, dans Tamino, comme dans Idomeneo d’ailleurs, nous avons affaire à un ténor lyrique parfois presque pré-romantique dans certaines phrases. Je pense notamment aux récitatifs très dramatiques et très intenses de la fin du premier acte…

S.L. : Outre Mozart et le bel canto, vous abordez aussi un répertoire plus tardif, avec par exemple Rodolfo ; et vous reviendrez bientôt à Liège pour Fenton… Comment qualifieriez-vous votre voix aujourd’hui ?
G.P. :
C’est vrai qu’actuellement je chante beaucoup de bel canto. Mais ma voix possède des couleurs assez sombres, et il n’est pas exclu que j’évolue progressivement vers des emplois plus lyriques, certains Verdi notamment. J’ai déjà chanté La traviata, Les Vêpres siciliennes, et je pense pouvoir aborder dans un futur peut-être pas trop lointain Un ballo in maschera.

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Rigoletto : « La donna è mobile » (Opéra et ballet nationaux de Lithuanie)

S.L. : Vous chantez assez souvent des œuvres plus ou moins rares : Jerusalem, La tempesta d’Halévy, Pia de Tolomei de Donizetti, Un giorno di regno, La rivale de Taralli… C’est important pour vous de redonner vie à des ouvrages rares ou oubliés ?
G.P. : Bien sûr ! Ces œuvres sont parfois un peu inégales : La tempesta d’Halévy est une vraie curiosité, je ne connaissais pas du tout l’œuvre avant de l’aborder à Wexford en 2022. C’est une œuvre très difficile, avec une écriture peut-être plus « instrumentale » que « vocale », ce qui ne la rend pas très confortable à chanter … Pia di Tolomei est un bel opéra, avec des pages vraiment superbes, notamment pour le ténor. Quoi qu’il en soit, c’est toujours très intéressant pour un artiste de redonner vie à des œuvres peu connues, cela permet de belles redécouvertes.

S.L. : Votre répertoire comporte également certains rôles français, notamment des rôles italiens écrits en français comme Jérusalem ou Guillaume Tell, ou encore Henri des Vêpres siciliennes : cela correspond bien à votre voix, à votre personnalité et à votre langage artistique, puisque vous êtes à la fois familier du style italien, mais aussi de la langue française…
G.P. :
Personnellement, je trouve que le français comme l’italien sont des langues très musicales et qu’elles se prêtent particulièrement bien au chant. Chanter dans cette langue ne me pose pas de difficulté particulière. J’aime particulièrement le Henri des Vêpres siciliennes qui, me semble-t-il, gagne en intensité dramatique lorsqu’il est chanté en français. Il y a des rôles français que j’adorerais chanter prochainement : Werther, un de mes rêves… Mais aussi Des Grieux ou Faust. Il avait été question d’un Robert le Diable, mais le projet ne s’est pas concrétisé, j’espère avoir l’occasion de le chanter un jour… Et j’ai pris beaucoup de plaisir à interpréter Fra Diavolo à Palerme, même si le rôle est très difficile, avec une écriture particulièrement aiguë ! J’aimerais beaucoup pouvoir le chanter de nouveau.

S.L. : On vous entend assez souvent en Belgique, mais pas suffisamment en France selon moi !
G.P. :
J’y ai fait mes débuts en mai dernier, à Rennes, dans un Élixir d’amour très amusant ! Et il y a un nouveau projet dans un futur proche, une Traviata… mais il est peut-être encore un peu tôt pour en dire plus. J’aimerais en tout cas vraiment travailler plus en France, j’espère que cela pourra se faire !

Nemorino à Rennes avec Maria Grazia Schiavo (© Laurent Guizard)

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L’elisir d’amore : « Una Furtiva Lagrima » (Nantes)

Et parmi mes autres projets, il y a donc Falstaff, de nouveau à Liège en février, et Lucia di Lammermoor à Catane en avril avec le maestro Stefano Ranzani, un chef que j’appécie beaucoup parce que, comme tout bon chef d’opéra, il sait écouter les chanteurs, travailler avec eux, être à l’écoute de ce qui se passe sur scène et s’adapter en conséquence.

S.L. : Pour terminer, Giulio Pelligra : un rôle qui vous tenterait mais qu’on ne vous a pas encore proposé ?
G.P. : Riccardo dans Un ballo in maschera… dans quelques années !

© D.R.

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Prochainement :

  • Die Zauberflöte (Tamino) – Opéra Royal de Wallonie-liège (décembre 2023)
  • Falstaff (Fenton) – Opéra Royal de Wallonie-liège (février/mars 2023)
  • Lucia di Lammermoor – Teatro Massimo Bellini, Catane (avril 2024)