Interview de Jérôme Pillement, directeur d’Opéra Junior à l’Opéra national de Montpellier

Avant la création mondiale de l’opéra Climat par les jeunes d’Opéra Junior à Montpellier, Première Loge rencontre Jérôme Pillement, le directeur artistique de cette structure, intégrée à l’Opéra national de Montpellier Occitanie (OONM). Les 8 et 11 mars, il conduira la création de Climat,  une commande de l’OONM que la directrice, Valérie Chevalier, a adressée à Russel Hepplewhite et Helen Eastman. Une occasion à saisir pour fêter les 30 ans d’Opéra Junior tout en inscrivant l’urgence climatique dans la création lyrique.

Sabine TEULON-LARDIC : Au sein de l’OONM Occitanie, vous dirigez Opéra Junior depuis 2009, une structure fondée par Vladimir Kojoukharov en 1990. Sa mission est de permettre à des enfants, adolescents et étudiants de découvrir le chant lyrique ou choral et la danse en participant à des spectacles réalisés dans des conditions professionnelles. En 2023, comment s’opère leur recrutement, et comment concevez-vous leur accueil, leur formation avec les chefs de chœur ?
Jérôme PILLEMENT : À Montpellier, nous souhaitons construire un recrutement pyramidal de jeunes. En terme de formation, il est structuré en trois groupes de classe d’âge, sachant que certains d’entre eux suivent avec plaisir et profit le cursus total. Les enfants (6-10 ans) qui se présentent à chaque rentrée sont tous accueillis dans le Petit Opéra pourvu qu’ils aient envie ! Ils étaient 90 enfants avant le Covid, ils dépassent la soixantaine cette année. Au-delà de 11 ans, une audition (chant, texte, déchiffrage) permet aux adolescents (11-15ans) d’intégrer la Classe Opéra et aux lycéens et étudiants (16-23 ans) de rallier le Jeune Opéra.
Nous ne sommes ni une maîtrise ni le Conservatoire, nos visées sont donc différentes. L’équipe d’Opéra Junior envisage la formation des jeunes autour d’un axe déterminant : susciter l’envie de « chanter-bouger » sur scène en découvrant cet univers avec des acteurs et passeurs expérimentés. Ils ont donc la chance de se former auprès de chanteurs lyriques (tel le baryton Nicolas Rivenq), de chorégraphe, metteur et metteuse en scène, etc. Par la pratique du chant, des ateliers de théâtre, d’expression corporelle et danse, les jeunes développent leur créativité et gagnent en confiance. Nous nous arrêtons juste avant la pratique circassienne ! Grâce à la technique vocale apportée par notre cheffe de chœur, Laetitia Toulouse, secondée par notre pianiste Valérie Blanvillain et d’autres formateurs, ils s’écoutent entre eux et partagent leur expérience. Moi-même, circulant entre les différents ateliers des trois groupes, je deviens l’écouteur, l’animateur, parfois le guide. Eux transmettent leur énergie, nous leur transmettons notre objectif en vue du spectacle : « Prendre du plaisir au bout des répétitions ».

S. T-L. : Avez-vous pour objectif d’associer le territoire métropolitain à l’activité d’Opéra Junior, par exemple par les lieux de spectacle ? De prendre en considération la diversité dans les processus de recrutement, comme le pratique par exemple la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique ?
J. P. : Concernant la diffusion dans les territoires, certains de nos spectacles sont diffusés à la Chapelle cité Gely [ndlr : quartier majoritairement gitan], au Théâtre national de Sète (Brundibar), au Théâtre de Lattes [ndlr : Agglomération]. Et le plus souvent au Théâtre Jean-Vilar à la Paillade [ZUP du nord-ouest de la ville Montpellier] qui est édifié sur l’ancien Chai de Montpellier dans lequel ont été produits les premiers spectacles d’Opéra Junior, dont Republica ! Republica ! » 
Le directeur du CREA dans la cité d’Aulnay-sous-bois [ndlr : Centre de création vocale et scénique pour enfants et adultes) m’avait conseillé : « Pour renouveler ton recrutement, il faut que tu ailles répéter dans les quartiers ». Notre première piste est de conduire des stages « Suivre sa voix » pendant les vacances scolaires d’hiver et de printemps dans la Maison pour tous Léo Lagrange de la Paillade [ZUP]. Seconde piste, nous animons l’atelier hebdomadaire de chant et chorégraphie à l’école Kurosawa [quartier Hauts-de-Massane de Montpellier], toute l’année scolaire, permet d’agréger leur groupe au Petit Opéra pour un spectacle de fin d’année au Théâtre Jean Vilar, tel Sous le ciel de Paris sous la direction de Guilhem Rosa, chef de chœur (juin 2022). Ce n’est pas si simple pour coordonner ces groupes hétérogènes lors des répétitions d’ensemble, mais nous y arrivons. Et le spectacle de juin 2023 se déroulera à l’Opéra-Comédie qui est le théâtre de TOUS les montpelliérains !
Au sein de l’OONM, nous travaillons également en coordination du service éducatif « Jeunes » qui mène quantité d’actions en amont avec les écoles, collèges, lycées, universités du territoire. De son côté, le Conservatoire à Rayonnement régional de Montpellier mène ses propres actions culturelles à l’échelle de la Métropole.

S. T-L. : Dans la structure Opéra Junior, comment concilier la créativité et les préoccupations des jeunes, et vos propres choix de programmation ? Je pense aux sujets « graves » ou réalistes auxquels vous les avez confrontés au fil des productions de la décennie : Brundibar d’Hans Krása (les enfants face à la haine destructrice d’un Brundibár-Hitler), Les Aventures du roi Pausole (la bisexualité selon Pierre Louÿs) ou Le Monstre du labyrinthe et la question des migrants.

Brundibar par l’Opéra Junior – © Marc Ginot

J. P. : Il y a toujours eu des créations faites à Opéra Junior, depuis Le Paradis des chats de Vladimir Kojoukharov, compositeur et chef d’orchestre. Pour ma part, en tant que directeur artistique et chef d’orchestre, j’ai souhaité faire découvrir l’opéra pour les enfants et par les enfants, en leur confiant par exemple des œuvres de Britten jusqu’à L’Enfant et les sortilèges de Colette et Ravel qui interrogent leur imaginaire. Mais le répertoire du XXe siècle n’est pas si ouvert que cela. D’une part, les œuvres chorales destinées aux maîtrises sont très complexes ou alors les comptines pêchent par leurs poèmes souvent bêtifiants. D’autre part, les opéras pour jeunes, comme ceux d’Isabelle Aboulker sont conçus pour les très jeunes. Or, nous voulions inclure la classe d’âge au-dessus de 16-18 ans.

Le Monstre du labyrinthe par l’Opéra Junior (2017) – © Marc Ginot

Lors de l’arrivée de Valérie Chevalier, actuelle directrice de l’OONM, nous avons produit Le Monstre du labyrinthe de Jonathan Dove qui représente un tournant dans nos productions, puisque cet  opéra participatif englobe tous les âges d’Opéra Junior en sus du Chœur de l’Opéra (350 participants !). Cette expérience faisait suite à la contribution d’Opéra Junior aux opéras participatifs du Festival d’Aix-en-Provence en 2017 (Sindbad de Howard Moody par exemple), dont l’objectif est d’être accessibles à tous. Pour Opéra Junior, le format idéal d’un spectacle se résume à deux conditions techniques en sus de sa valeur artistique et théâtrale : des chœurs et des petits rôles pour tous.

S. T-L. : Vous dirigerez ce 8 mars la première de l’opéra Climat, opéra de Russel Hepplewhite sur un livret de Helen Eastman, avec Opéra Junior sur le plateau de l’Opéra-Comédie et l’Orchestre national de Montpellier Occitanie en fosse. Sa thématique est clairement d’aborder l’urgence face au réchauffement climatique, un défi qui impacte notamment l’avenir de la jeune génération. En 2023, cet opéra peut-il sensibiliser ces jeunes chanteurs ainsi que les citoyens-spectateurs ? à l’instar des thématiques sociales de l’opéra du passé : la dénonciation des antagonismes religieux dans Les Huguenots, de la misère sociale dans Wozzeck, etc.
J.
P. : Notre souhait commun, à Valérie et moi-même, était de commander un opéra sur un sujet d’actualité, ce que nous avons lancé avant le Covid et la guerre. Pas de mythologie, ni de romance ni de conte, mais un sujet brûlant de société. Le fait d’aborder des situations réelles, comme le vérisme l’a fait autour de 1900, interpelle autant les jeunes que le public. L’opéra, ce n’est pas un truc écrit par des vieux (ou des disparus) pour des vieux. Grâce au livret français rédigé par Helen Eastman, c’est une forme artistique qui traite de sujets actuels avec une musique actuelle, même si ce n’est ni du Rock ni de la Variété.
Par la longue préparation du spectacle, le Petit Opéra et le Jeune Opéra, qui participent à la création de Climat, se sont évidemment appropriés la thématique. Face à l’urgence climatique, une préoccupation mondiale, les jeunes de la génération Greta Thunberg ne sont pas climato-sceptiques lorsqu’on échange avec eux. Cependant, le compositeur, la librettiste et le metteur en scène Damien Robert sont clairs avec notre posture : pas de pression politique. Avec Climat, la prise de conscience écologiste surgit naturellement du conflit qui se joue dans l’intrigue, soit le pouvoir de l’argent contre la transition écologique. Ce conflit est incarné par la mère de Juliette, en poste dans une usine polluante, et sa fille, militante comme ses amis. Selon l’âge de nos jeunes, nous leur confions les rôles solistes – la jeune Juliette, ses amies, sa mère – ou bien les chœurs, dont des activistes qui barbouillent l’usine de peinture ! Après l’expérience de cette production, les jeunes pourront construire leur propre avis.
Quant au public, il faut laisser parler les jeunes aux jeunes, ou bien les jeunes à leurs parents : c’est plus fort que tout. Nous en avons fait l’expérience lors de L’arche de Noë de Britten à la cité Gély [quartier gitan de Montpellier]. D’autant que pour sortir de la crise socio-économique, la culture partagée et la création, c’est LA solution.

S. T-L. : Pouvez-vous donner quelques clés d’approche de la partition de Russel Hepplewhite ? Nous savons que le compositeur anglais, formé au Royal College of Music de Londres, est familier du théâtre musical pour jeune public. Dans ses notes d’intention, il déclare partir de « scènes décontractées et musicalement ludiques ».
J.
P. : Avec Climat, le compositeur anglais Russel Hepplewhite ne conçoit plus un opéra découpé en air et ensemble, mais il séquence son discours avec de « petits thèmes » de quelques secondes qui caractérisent des situations et s’impriment facilement. à tel titre que les enfants les chantent spontanément de retour chez eux (Jérôme chante deux thèmes brefs de la partition). La pièce commence d’ailleurs par une interpellation chorale juste après l’orchestre : « Lundi ! » (Jérôme le chante sur une tierce descendante). Anecdote : en posant ma question – Quand est la prochaine répétition ? les jeunes m’ont aussitôt répondu « Mardi ! » (sur la même tierce descendante), tel un jingle!
Ceci dit, j’avais invité Russel, un quadragénaire très cool, à venir écouter notre production des Aventures du roi Pausole en 2022. Et nous lui avions proposé un cahier des charges qui prenne en compte « la troupe » d’Opéra Junior : que tout le monde ait un petit rôle, que la partie chorale soit importante. C’est le cas : non seulement il y a quantité de personnages, mais un rôle vocalement délicat peut potentiellement devenir un trio qui permet de consolider la prestation vocale, tout en se justifiant dans la dramaturgie. Par exemple, pour un rôle de manifestante, il peut y avoir 2, 3 ou 4 jeunes, en fonction des potentiels que la cheffe de chœur et la pianiste décryptent : c’est du « sur mesure » combiné avec la chorégraphe et la mise en scène !
Quant au langage orchestral, le cahier des charges ne s’impose pas puisque l’Orchestre national de Montpellier est en fosse.

S. T-L. : Une captation de cette création mondiale Climat est-elle envisagée ?
J. P. : Il y aura une captation faite en interne pour le moment, peut-être sera-t-elle en ligne prochainement ?
Je tiens à rajouter que notre Classe Opéra monte de son côté la comédie musicale Bugsy Malone de Paul Williams, d’après le film d’Alan Parker. Les 8 et 9 mai, à l’Opéra-Comédie, notre cheffe de chœur Laetitia Toulouse dirigera ce spectacle.

Normal 0 21 false false false FR X-NONE X-NONE /* Style Definitions */
table.MsoNormalTable
{mso-style-name:"Tableau Normal";
mso-tstyle-rowband-size:0;
mso-tstyle-colband-size:0;
mso-style-noshow:yes;
mso-style-priority:99;
mso-style-parent:"";
mso-padding-alt:0cm 5.4pt 0cm 5.4pt;
mso-para-margin-top:0cm;
mso-para-margin-right:0cm;
mso-para-margin-bottom:8.0pt;
mso-para-margin-left:0cm;
line-height:107%;
mso-pagination:widow-orphan;
font-size:11.0pt;
font-family:"Calibri",sans-serif;
mso-ascii-font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:minor-latin;
mso-hansi-font-family:Calibri;
mso-hansi-theme-font:minor-latin;
mso-bidi-font-family:"Times New Roman";
mso-bidi-theme-font:minor-bidi;
mso-fareast-language:EN-US;}

Vous êtes proches de Montpellier ? Venez suivre la création de l’opéra Climat à l’Opéra-Comédie, le 8 mars à 19 h ou le 11 mars à 17 h. Représentations inclusives puisque le spectacle est chansigné en direct (pour malentendants et sourds)

Pour aller plus loin : Opéra Junior