Sebastian Catana : « Un chanteur verdien est un acteur chantant ! »

© Yasuko Kageyama

Baryton verdien par excellence, Sebastian Catana chante actuellement le rôle-titre de Rigoletto aux côtés de Jodie Devos sur la scène de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. Rencontre avec le digne héritier dune longue tradition lyrique roumaine…

François DESBOUVRIES : Comment êtes-vous venu au chant Sebastian Catana ? Comment avez-vous découvert votre voix ?
Sebastian CATANA : Le chant était une tradition familiale : j’ai grandi dans une famille de musiciens ! Mes deux parents étaient solistes à l’Opéra de Cluj (Roumanie). J’ai commencé par suivre leurs représentations, puis adolescent j’ai découvert qu’en fait je pouvais chanter moi aussi, et je suis devenu passionné de chant.

F.D. : Un certain nombre de chanteurs célèbres sont d’origine roumaine : y-a-t-il une tradition lyrique importante dans votre pays ?
S.C. : Il se trouve que l’opéra de Cluj, qui en 2019 a fêté son centenaire, a été la première salle d’opéra inaugurée dans le pays. Il y a une vraie tradition lyrique en Roumanie, avec une prédilection pour les opéras italiens, mais également français, puisque notre langue latine est très proche de l’italien et du français. Parmi nos grands chanteurs je veux mentionner Petre Stefanescu Goanga, qui a démarré sa carrière de baryton dans les années 20, et qui après un passage au Capitole de Toulouse est revenu à l’opéra de Cluj ; c’était un excellent Rigoletto et un des pères de la tradition lyrique roumaine. Mais il y a également Leontina Vaduva, Angela Gheorghiu, Ileana Cotrubas, Virginia Zeani, beaucoup d’excellents chanteurs.

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Puccini – Tosca, Te Deum (Sebastian Catana, La Fenice)

F.D. : Venons-en à votre répertoire. Vous avez, à vos débuts, chanté quelques œuvres françaises, mais vous semblez vous être spécialisé très vite dans le répertoire italien, et particulièrement dans Verdi…
S.C. : J’adore la musique française. J’ai interprété le rôle de Valentin dans Faust et, quand j’étais étudiant, celui de Dapertutto dans Les Contes d’Hoffmann, et puis, bien sûr, des mélodies de Ravel. J’aimerais chanter plus de répertoire français ! Mais effectivement j’ai essentiellement chanté la plupart des grands rôles de barytons dans Verdi, Nabucco, Rigoletto, Macbeth, Falstaff… à quelques notables exceptions près : je n’ai encore chanté ni Simon Boccanegra, ni Don Carlo di Vargas dans La Force du destin !

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Verdi, NABUCCO – Auckland 2012

F.D. : Certains rôles, ceux qui appartiennent au jeune Verdi, sont encore des rôles d’esthétique belcantiste, d’autres, plus tardifs, demandent d’autres qualités, sont plus « expressionnistes ». Prenez-vous autant de plaisir à chanter les uns que les autres ? Est-ce la même difficulté ?
S.C. : Chanter Verdi est toujours un plaisir et un challenge immenses, et un régal tout particulier pour un baryton, car Verdi qui adorait cette tessiture l’a dotée d’un grand nombre de rôles exceptionnels. On peut même dire que c’est Verdi qui a véritablement créé la tessiture de baryton (avant lui existaient les barytons-basses, les ténors…). Chanter Verdi est très difficile car il s’agit d’un homme de théâtre par excellence ! Donc on ne peut pas se contenter de chanter – et de bien chanter, il faut interpréter, exprimer une intention ! Un chanteur verdien est un acteur chantant, même si bien sûr le chant doit également être irréprochable… Rigoletto par exemple contient de nombreux passages très belcantistes, où il faut faire preuve de souplesse, de legato

F.D. : C’est en quelque sorte un rôle charnière dans l’esthétique verdienne : belcantiste par certains côtés, mais déjà tourné vers une forme d’expressionisme plus moderne… Qu’est-ce qui, selon vous, constitue la principale difficulté du rôle ?
S.C. : Ce rôle condense toutes les difficultés, à commencer par sa durée : la soirée est très longue ! Et puis il faut chanter piano, forte, aigu, grave, certaines phrases sont très longues, le jeu d’acteur est important, on bouge beaucoup sur scène… Chanter Rigoletto nécessite un engagement total et épuisant ! Mais pour moi c’est le plus beau rôle de baryton, le plus difficile aussi sans doute ; c’est toujours pour moi un honneur, et un défi, que de l’interpréter…

Rigoletto à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège (© J Berger ORW-Liège)

F.D. : Rigoletto est aussi un personnage qui peut s’interpréter de différentes façons : on peut y voir un père passionnément attaché à sa fille, trop possessif peut-être, un homme qui souffre de sa difformité physique, ou du rôle de bouffon qu’on lui fait jouer, un homme qui peut être brutal aussi par certains aspects… Quelle est votre conception du personnage ?
S.C. : C’est intéressant que vous me posiez cette question, car j’ai fait plusieurs Rigoletto, et dans certaines productions, mon personnage est réduit à l’âme noire décrite par Monterone dans le 1er acte… Personnellement, je pense qu’il faut écouter la musique… Rigoletto a trois duos particulièrement aboutis avec Gilda, dans lesquels on ressent vraiment l’âme du personnage, un personnage qui a besoin d’amour… Je pense que c’est quelqu’un de très complexé du fait de son handicap, handicap qui l’oblige à jouer son rôle de bouffon, puisqu’il est inapte à tout autre travail… Il est donc tiré vers le bas, et réalise parfaitement que la Cour dans laquelle il doit évoluer est un environnement corrompu, détestable… Mais lorsqu’il évoque la mère de Gilda dans le premier duo, il dit clairement qu’elle l’aimait car elle ressentait de la compassion pour lui, et au fin fond de lui il est profondément nostalgique de cet amour-là, dont il ne reste plus que sa fille… C’est ce qui le rend si possessif !

F.D. : Vous allez être dirigé par un acteur et réalisateur de cinéma, John Turturro, qui a d’ailleurs déjà mis en scène Rigoletto à Palerme.
S.C. : Visuellement c’est une production très théâtrale, on se croit dans un film, avec beaucoup d’images fortes ! Et je trouve que c’est une excellente production, car le metteur en scène est très attentif aux paroles et à la musique, qu’il respecte parfaitement.

F.D. : De façon générale, qu’attendez-vous d’un metteur en scène ? Qu’est-ce finalement qu’une collaboration réussie avec le metteur en scène et avec les autres partenaires ?
S.C. : Il faut bien sûr être très préparé : chacun doit savoir ce qu’il doit faire, et comment il veut le faire. Mais lorsqu’on monte sur scène pour la première fois, on ne connaît pas ses collègues, et la clé c’est la flexibilité ; certes on exprime son point de vue mais en même temps il nous faut écouter ce que les autres ont à nous dire. Comme tout le monde aspire à créer un bon spectacle, petit à petit la confiance se crée, on devient comme une famille, et c’est là que l’alchimie entre en œuvre, et que l’on fait vraiment du bon travail. Préparation et flexibilité !

F.D. : Vous êtes habitué à certaines salles, certains espaces immenses : l’Opéra Bastille, le Metropolitan Opera, les arènes de Vérone… Cette fois-ci, à Liège, vous chantez dans une salle aux dimensions plus intimes, plus humaines. C’est agréable pour vous ? Cela change-t-il votre façon de jouer et de chanter le personnage ?
S.C. : Non, pas vraiment ; certes lorsque l’on chante dans une salle plus petite, on peut se permettre d’accorder plus d’attention aux couleurs vocales, par exemple à certains phrasés, certains pianissimi… mais justement à Liège, l’orchestre de l’Opéra Royal produit un son excellent, très robuste ; il faut une bonne voix pour surmonter cet orchestre-là ! Donc finalement ça ne change pas grand-chose pour moi.

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Ettore Bastianini ~ Rigoletto FI 1960  » Cortigiani vil razza dannata « 

F.D. : Y a -t-il des grands Rigoletto, du passé ou d’aujourd’hui, que vous admirez ? Peut-être, pour citer deux conceptions très différentes du rôle, Renato Bruson, un Rigoletto très belcantiste, ou Tito Gobbi, plus porté vers le dramatisme ?
S.C. : Oui, sans aucun doute, et entre les deux que vous avez mentionnés il est dur de trancher ! J’ai grandi en écoutant Tito Gobbi et Ettore Bastianini ; j’adore également Leonard Warren, un grand baryton américain, et puis bien sûr Renato Bruson ; ces temps-ci j’écoute beaucoup Leo Nucci, qui est un artiste vraiment remarquable ; et même s’il n’est pas aussi connu, je dois aussi mentionner mon père [Vasile Catana], qui était un grand Rigoletto, et qui a eu l’occasion de le chanter avec succès en Italie en 1974. J’écoute beaucoup les autres chanteurs, passés ou contemporains ; de nos jours bien sûr il y a Ludovic Tézier, mais également Quinn Kelsey, ou encore mon compatriote George Petean…


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VASILE CATANĂ – Verdi, RIGOLETTO, « Pari siamo » – Livorno, 1974

F.D. : D’une manière générale, est-ce important pour vous d’écouter les interprètes du passé ?
S.C. : Oui, j’écoute beaucoup les autres interprètes. Il y a quelques jours encore j’écoutais Dietrich Fischer-Dieskau, qui n’est pas un Rigoletto conventionnel, mais qui apporte quelques idées très intéressantes. De toute façon, il ne s’agit pas de copier un artiste, mais de confronter son interprétation à sa propre imagination. De nombreuses interprétations toutes aussi convaincantes les unes que les autres sont possibles !

© Fabio Parenzan

F.D. : Y a-t-il un rôle ou des rôles qu’on ne vous propose pas mais que vous aimeriez bien interpréter ?
S.C. : J’ai fait récemment mes débuts dans Falstaff, un rôle fantastique, très différent de tout ce que j’ai chanté jusqu’à présent et je serais très heureux de pouvoir l’interpréter de nouveau. J’ai eu la chance d’enregistrer Iago dans Otello, mais j’aimerais beaucoup le rechanter, sur scène cette fois ! Comme je le disais, Don Carlo di Vargas dans La Force du destin, ou Simon Boccanegra, seraient des rôles de rêve pour moi. J’aimerais aussi beaucoup chanter Charles Gérard dans Andrea Chénier, et chanter de nouveau Tonio dans Paillasse !

Pour retrouver Sebastian Catana au disque :

  • Rossi, Cleopatra, 2 CD Naxos (2011)
  • Verdi, Otello, 2 CD Naxos (2011) ou 1 DVD Naxos (2010)

L’actualité de Sebastian Catana :