AUDE EXTRÉMO : « Ma carrière est assez impressionniste… »

Actuellement Métella dans La Vie parisienne d’Offenbach mise en scène par Christian Lacroix (en tournée à Rouen, Tours, et au Théâtre des Champs-Elysées ce mois de décembre), Aude Extrémo revient sur sa trajectoire lyrique, ses répertoires actuels et à venir et ses nombreux projets, opératiques comme en concert.

Nicolas MATHIEU : Comment êtes-vous venue à l’opéra ?

Aude EXTREMO : Être chanteuse était une vocation. Je ne viens pas d’une famille de musiciens, mais j’ai très vite su que je souhaitais m’orienter dans cette voie. C’était indubitable. Je n’avais aucune idée de comment j’allais réussir, mais je sentais que j’étais faite pour cela. J’ai commencé assez tôt à prendre des cours de chant lyrique, et à l’âge de 20 ans je suis rentrée au Conservatoire de Bordeaux où j’ai rencontré le professeur avec lequel j’étudie toujours. C’est à ce moment que j’ai découvert ma voix, qui était beaucoup plus grave que je ne l’aurais pensé ! (rires) Et j’ai commencé mon apprentissage de la musique dans une approche globale, avec l’opéra, le théâtre, la culture musicale… J’ai tout étudié à la fois, et j’ai adoré.

N.M. : Y a-t-il un répertoire ou un rôle qui vous aurait accompagnée pendant ce parcours ?
A.E. : Mon professeur me donnait à apprendre des mélodies russes, et j’ai eu assez rapidement une passion pour la musique russe et l’opéra en particulier, que je trouve très subtil, complet, et peu joué en France. À côté, je me suis rapidement passionnée pour certains rôles, notamment Carmen et Dalila.

© Julien Benhamou

N.M. : Quel a été l’événement qui a lancé votre carrière ?
A.E. : Cela s’est fait petites touches par petites touches. Ma carrière est assez impressionniste ! (rires) D’abord, j’ai rencontré mon professeur. C’est très important pour chaque chanteur de trouver les bonnes personnes avec lesquelles développer son instrument et sa personnalité artistique. Ensuite, j’ai signé chez mon premier agent à 23 ans, Monique Baudouin, avant de rentrer à l’Académie lyrique de l’Opéra de Paris à 24 ans. Puis il y a eu cette victoire de l’Adami… Au cours de ce chemin, je n’ai pas remporté de grands concours pour la simple et bonne raison que je n’étais pas performante pour cela. J’ai essayé, mais cela ne fonctionnait pas pour moi à ce moment-là. Les ressources que je pouvais trouver en moi-même sur scène, dans un rôle ou en concert, je n’y avais plus accès dans des circonstances de concours.

Par la suite, j’ai rencontré plusieurs personnes déterminantes : Jean-Louis Grinda, Jean-Yves Ossonce, Marc Minkowski un peu plus tard… lesquels m’ont permis de prendre des rôles. Je pense notamment à Christian Shirm, qui m’a permis de chanter Le Viol de Lucrèce de Britten à l’Athénée juste après l’Académie. Cela a été un moment très important dans ma carrière.

N.M. : On sent donc une carrière menée « pas à pas »…
A.E. : On ne peut pas forcer les choses ! Ce qui est très beau dans un sens, car il faut suivre son flux à soi et le flux qui vient de l’extérieur et sur lequel on ne peut agir.

N.M. :  Comment décririez-vous votre voix ?
A.E. : J’ai une voix de mezzo-soprano avec un aspect contralto qui fait que je peux chanter des lignes très médiums ou graves. Cela est adapté à des oratorios, des Mahler, et plusieurs rôles à l’opéra : Carmen, Dalila, Charlotte pour le répertoire français, Santuzza, Amneris dans le répertoire italien, ou encore des Wagner avec Fricka et Vénus que j’ai déjà chantées et d’autres rôles qui sont en train de se mettre en place. Une voix qui a gagné en puissance donc, et que j’essaye de développer au mieux.

N.M. : Vous tendez donc vers des rôles de plus en plus lourds ?
A. E. :
Disons que ma progression me permet d’élargir mon répertoire à des rôles plus dramatiques que je mûris depuis longtemps, mais cela ne m’empêche pas de chanter Métella dans La Vie parisienne d’Offenbach. Au contraire, je trouve cela très plaisant. Et puis, chaque rôle nécessite un travail différent. Un Verdi, un Massenet ou un Wagner cela n’implique pas tout à fait les mêmes gestes techniques, et la voix s’adapte à chaque fois. Je trouve d’ailleurs intéressant d’entretenir plusieurs aspects vocaux à la fois, et de ne pas se limiter à un domaine en particulier. Cependant, la voix est comme elle est. Il faut sentir ce qui lui convient le mieux, et s’adapter à son évolution.

N.M. : Vous participez actuellement aux représentations de La Vie parisienne (données à Rouen, Tours et Paris), proposées par le Palazzetto Bru Zane. Concernant le rôle de Métella, quel type de voix est requis ?
A. E. : Métella est très chantée, très lyrique, et il faut être en même temps au service de cette forme de théâtre où l’humour est toujours présent. C’est un travail particulier que j’ai mené seule puis avec Romain Dumas, chef d’orchestre de la production.

La Vie parisienne dans la mise en scène de Christian Lacroix (© Vincent Pontet)

N.M. : Quels rôles voudriez-vous incarner par la suite ?
A.E. : Je souhaiterais reprendre Dalila, qui est très adaptée à ma voix et que je n’ai chantée qu’une fois, en version de concert. Chez Wagner, il y a Erda et Brangäne qui arrivent. Et chez les Italiens il serait question d’Amneris, Eboli peut-être un peu plus tard. En français, Charlotte que je n’ai pu incarner encore dans des théâtres, et Hérodiade, qui est moins joué, mais qui est très beau. Je souhaite aussi continuer à incarner Carmen très régulièrement, c’est un rôle qui me colle à la peau vocalement et théâtralement, et j’ai envie de le chanter longtemps, et de voir comment il va se transformer en moi.
Ce que j’aimerais beaucoup développer par ailleurs, c’est tout ce qui est de l’ordre du concert. Je vais bientôt chanter le Poème de l’amour et de la mer de Chausson à Lyon, la Petite messe solennelle de Rossini avec Chiara Skerath. De Mahler, j’ai déjà chanté les Kindertotenlieder et pourrais en faire ainsi tous les jours de ma vie ! (rires) J’ai hâte également de pouvoir chanter Le Chant de la Terre. C’est une autre manière de raconter une histoire qu’à l’opéra. Il en va de même pour les récitals. Je vais bientôt donner en un, exclusivement sur des musiques espagnoles à Montréal, avec Granados, De Falla, Garcia Lorca, des pièces sublimes et d’une très grande émotion. La voix reste la même, mais c’est une autre manière de dire la chose. Ce n’est pas plus facile, car on ne bouge pas, on est très vulnérable et responsable de tout ce que l’on fait. C’est très intense, et c’est la raison pour laquelle cela me plaît.

N.M. : Au niveau des enregistrements, avez-vous un projet de CD solo de prévu ?
A.E. : Pour ce qui est d’un album solo, pour le moment il n’est pas question de cela, même si cela me plairait beaucoup de créer un tel microcosme lyrique à l’avenir. Pour l’heure, j’ai enregistré avec le Palazzetto Bru Zane de très belles mélodies de Pauline Viardot pendant le confinement.

N.M. : Vous avez un lien privilégié avec le Palazetto Bru Zane…
A.E. :  Cette collaboration est très chaleureuse et pleine de confiance. Leur travail est passionnant, car il y a un vrai souci de musicologue et d’historien, tout en ayant une approche légère et intuitive. Je trouve très nourrissant pour l’artiste de comprendre la genèse des œuvres, de savoir comment les artistes chantaient, comment les rôles étaient distribués et écrits. Cela permet de placer les bonnes exigences au bon endroit, et de se nourrir d’images fructueuses.

N.M. : Et vos projets à venir ?
A.E. : Il y a donc ce Poème de l’amour et de la mer à Lyon qui arrive et que je suis très heureuse d’aborder pour la première fois, Herculanum de David à Budapest avec le Palazzetto, qui est également une première, La Vie parisienne à Paris pour les fêtes au TCE où je ferai mes débuts. Ensuite, je vais partir au Canada pour ce concert de musique espagnol à Montréal, puis à Victoria pour chanter Carmen. Puis La Sirène, une cantate inédite de Nadia Boulanger, avec le Palazzetto, et avec Les Siècles nous allons reprendre et enregistrer Djamileh de Bizet. C’est un superbe opéra et je suis très heureuse d’en faire partie. Ensuite, il y aura La Vestale au TCE où j’incarnerai le rôle de La Grande Vestale, toujours avec le Palazzetto, et ce sera une nouvelle fois suivi d’un enregistrement. Par ailleurs, je vais chanter pour la première fois Marguerite dans La Damnation de Faust à Monaco. Enfin, la Carmen que nous y avions donnée l’année dernière, dirigée par Frédéric Chaslin et mise en scène par Jean-Louis Grinda, va être diffusée dans les UGC en juin prochain par Viva l’Opera.

© Cassiana Sarrazin