MICHELE SPOTTI dirige Guillaume Tell à Marseille : le talent et la passion !

Tout auréolé de ses succès à Pesaro où il a, entre autres, dirigé la nouvelle production d’Il signor Bruschino, Michele Spotti est de retour en France. Nous avions gardé un excellent souvenir de son Don Pasquale à Montpellier ou de son Barbe-Bleue à Lyon ; c’est cette fois-ci dans Rossini qu’il se produira, à Marseille, dans une nouvelle production très attendue de Guillaume Tell.

Un des chefs les plus doués de la jeune génération, dont le talent n’a d’égal que la passion !

MICHELE SPOTTI : C’est la première fois que je dirige un opéra en France depuis les spectacles montpelliérains et lyonnais. J’aurais dû faire Rigoletto à l’Opéra de Lyon et Le Barbier de Séville à Nancy, mais ces spectacles ont été annulés en raison de la pandémie. Je suis en tout cas ravi de travailler à Marseille, une ville riche et fascinante, qui est un peu la Naples française !

STÉPHANE LELIÈVRE : La distribution de ce Guillaume Tell comporte des jeunes chanteurs français qui font leurs débuts dans les rôles qu’ils interprètent (Alexandre Duhamel en Tell, Angélique Boudeville en Mathilde), mais aussi un ténor italien renommé : Enea Scala. Et vous avez déjà travaillé avec de grands noms de l’opéra : Simone Alaimo, Pietro Spagnoli, ou Juan Diego Flórez par exemple. Travaille-t-on de la même façon avec les stars qu’avec de jeunes chanteurs, parfois moins expérimentés ?
M.S. : Ce qui importe vraiment, c’est le degré de préparation des chanteurs lorsqu’ils arrivent aux répétitions. À partir du moment où un artiste est bien préparé, qu’il soit une star ou un jeune chanteur, cela ne change pas grand-chose pour moi, dans la mesure où les conditions sont réunies pour que nous fassions du bon travail ! Et je dois dire que sur cette production marseillaise, c’est le cas : toute la distribution, des plus petits rôles aux premiers chanteurs, a fait un formidable travail de préparation, ce qui nous permet de répéter de façon très efficace, grâce également à mon assistant Richard Barker qui est un éminent spécialiste de Rossini. Par ailleurs, ce qui caractérise un grand artiste, c’est aussi sans doute une forme d’humilité : Juan Diego Flórez par exemple, malgré toute son expérience et toute son expertise, n’hésite pas à venir discuter ou demander un conseil…

S.L. : À propos de grands artistes, vous avez été l’assistant d’un immense spécialiste de Rossini, Alberto Zedda, sur la production d’Ermione qui a été donnée à Lyon puis au Théâtre des Champs-Élysées en 2017…
M.S. : Je lui dois tant… C’est lui qui m’a ouvert les portes de Pesaro en me confiant notamment Le Voyage à Reims de l’Académie. C’est LA personne qui m’a fait découvrir et aimer Rossini, avec aussi Ernesto Palacio, qui fut en son temps un des meilleurs ténors rossiniens. J’ai pu ainsi bénéficier d’un double regard : celui de l’expert musicologue et chef d’orchestre, et celui du chanteur « de terrain ». J’ai énormément appris à leur contact. Zedda était à la fois un homme d’une très grande culture et quelqu’un de très humble. C’était aussi un infatigable travailleur : je le réentends me dire qu’il devait absolument travailler telle symphonie de Mendelssohn qu’il s’apprêtait à diriger – une symphonie que, pourtant, il connaissait parfaitement et qu’il avait déjà dirigée plusieurs fois ! Lorsque j’ai appris sa disparition, j’ai pleuré comme un gamin… Dans la distribution de la fameuse Ermione que vous évoquez, il y avait déjà Enea Scala et Patrick Bolleire : c’est émouvant pour moi de les retrouver dans ce Guillaume Tell.

© La Toscanini/Daniele Romano

S.L. : On connaît bien vos lectures des œuvres bouffes de Rossini (Le Barbier, La Cenerentola, Le Voyage à Reims). Mais c’est, je crois, votre premier Rossini « sérieux »…
M.S. : Oui, et un Rossini sérieux très particulier parce qu’écrit pour la France sur un livret français. C’était primordial pour moi de jouer l’œuvre dans sa langue originale, d’abord parce qu’elle « colle » mieux à la partition que la traduction italienne : on y trouve selon moi une adéquation parfaite de la prosodie à l’écriture musicale ; ensuite parce que votre langue est d’une malléabilité extraordinaire et se prête merveilleusement bien à l’expression des sentiments les plus divers. Elle peut-être extrêmement douce, prendre des accents belliqueux, traduire une émotion forte, violente,…
Guillaume Tell est une œuvre spéciale, et qu’on peut difficilement rattacher à d’autres opus rossiniens, même si on y retrouve certaines couleurs du Comte Ory, ou encore du Siège de Corinthe. On y entend des souvenirs du bel canto, avec par exemple le second air de Mathilde, mais il y a aussi cette esthétique typiquement française avec notamment ce sens de la déclamation, la richesse orchestrale, ou encore le ballet… C’est un opéra qui comporte une dimension éminemment romantique, dans le cantabile des airs d’Arnold ou de Mathilde et l’accompagnement des cordes, par exemple, et c’est une dimension que j’espère mettre en valeur dans ma direction. C’est aussi une œuvre fascinante parce qu’annonciatrice de tant d’autres…  Pour moi qui travaille actuellement sur Don Carlos, je ne peux m’empêcher de faire un parallèle entre les personnages d’Eboli et de Mathilde, qui ont chacune d’une part un air assez virtuose, d’autre part un air aux contours plus amples… Ce n’est pas simple pour l’interprète de Mathilde de concilier ces deux esthétiques, romantique pour le premier air, belcantiste pour le second. Angélique Boudeville y parvient très bien. 
J’ai tenu à ce que l’œuvre soit donnée dans son intégralité : il n’y a que quelques reprises qui sont coupées, mais les codas sont intégralement préservées ; le ballet aussi bien sûr, même si la pandémie nous a empêchés de proposer un véritable ballet sur scène. Mais le metteur en scène Louis Désiré a trouvé une alternative astucieuse qui fonctionne très bien : une pantomime…

© Amati Bacciardi

S.L. : La pandémie a-telle posé d’autres contraintes dans votre travail ?

M.S. : Oui : les musiciens qui devraient jouer en coulisses ne le peuvent pas. Il sont donc en fosse et jouent pianissimo pour donner l’illusion de l’éloignement. Et surtout, l’orchestre ne pouvait être entièrement contenu dans la fosse. Nous avons donc placé des musiciens dans les premiers rangs du parterre. Ce qui crée une difficulté supplémentaire pour les chanteurs, mais à force de travail, de recherches et d’adaptations, nous avons fini par obtenir un résultat sonore dont je suis très content.

S.L. : Parmi vos projets, il y a notamment, après ce Guillaume Tell, La Fille du Régiment au Festival Rossini de Bergame (avec John Osborn), Don Carlos à Bâle, et La Belle Hélène à Berlin dans la mise en scène de Barrie Kosky. Quatre œuvres françaises, dont trois « italo-françaises »…
M.S. : J’adore la musique française et j’espère en diriger plus à l’avenir – même si on a parfois tendance à faire a priori d’un chef italien un spécialiste du répertoire italien ! Les cultures française et italienne présentent en fait d’assez nombreuses affinités, et il me semble de ce fait que nous pouvons apprendre les uns des autres. Ainsi par exemple pour moi, l’ouverture de Guillaume Tell par Georges Prêtre constitue un sommet absolu…
Le grand opéra notamment m’intéresse beaucoup, en particulier les œuvres de Meyerbeer, Halévy,… J’ai quelques projets en ce sens mais il est encore un peu tôt pour en parler. Et j’aime beaucoup Offenbach, sa musique mais aussi son esprit, sa finesse, son humour ! Je suis ravi de diriger La Belle Hélène (ou plutôt Die schöne Helena) à Berlin. Offenbach n’est peut-être pas reconnu à sa juste valeur en Italie, où on connaît essentiellement ses Contes d’Hoffmann. Mais c’est un humour tellement typiquement français qu’il nécessite sans doute une « acculturation » pour être pleinement apprécié. Peut-être est-il en fait plus proche des publics germaniques ou anglo-saxons que du public latin.

S.L. : Après ce Guillaume Tell marseillais, aura-t-on le plaisir de vous revoir bientôt en France ?
M.S. : Oui ! Il y a un beau projet, à une échéance assez brève : je devrais en principe diriger un célèbre opéra italien dans une grande salle française… Mais je dois me taire encore un peu pour l’instant !

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