Matthieu Rietzler, directeur de l’Opéra de Rennes : « Éducation, diversité et ouverture font clairement partie de l’ADN de la maison ! »

À l’occasion de la nouvelle production de La Dame Blanche, nous avons rencontré Matthieu Rietzler, le directeur de l’Opéra de Rennes. Une interview dense, rythmée par les mots ouverture, pédagogie, éducation et diversité, de toute évidence les maîtres-mots de la maison !


N’hésitez pas à découvrir ce théâtre attachant, à taille humaine, à la superbe architecture (construit d’après des plans de  Charles Millardet, il fut inauguré en 1836 puis reconstruit à l’identique après l’incendie de 1856), présentant un rapport scène/salle exceptionnel… et une programmation de qualité !

Comment se construit une saison à l’Opéra de Rennes, Matthieu Rietzler ?
Un élément très structurant de nos saisons réside dans notre collaboration avec Angers-Nantes Opéra, qui réalise deux opéras que nous montons à notre tour à Rennes, tandis que nous proposons également de notre côté deux ouvrages qui sont ensuite programmés à Nantes et/ou Angers. À Rennes, nous portons en particulier les projets de facture « classique », disons jusqu’à Rossini (notre orchestre, l’Orchestre national de Bretagne, correspond au répertoire mozartien, et notre chœur, le formidable ensemble Mélisme(s), est chambriste) – ou alors tout ce qui concerne la création ou la musique contemporaine. Pour le grand répertoire lyrique, la collaboration d’Angers-Nantes est précieuse puisqu’ils disposent d’un chœur lyrique permanent, et l’Orchestre des Pays de la Loire est plus large que le nôtre. À partir de là, nous nous efforçons de couvrir les différents répertoires. Nous avons aussi toujours un projet en partenariat avec La co[opéra]tive, et nous sommes aussi associés à l’ensemble Le Banquet Céleste de Damien Guillon, à qui nous proposons un projet scénique tous les deux ou trois ans. Nous avons enfin des partenaires très fidèles avec lesquels il est très agréable de travailler : les opéras de Caen, de Rouen, de Lorraine, l’Opéra-Comique, etc. Nous ne sommes pas sur une programmation dogmatique. Notre maître mot serait plutôt l’ouverture : je suis convaincu que c’est la diversité de la programmation qui crée la diversité du public !

Le chœur Mélisme(s)   © Vincent Gouriou

Le Banquet Céleste  © Julien Benhamou

Vous êtes parvenu, la semaine dernière, à monter La Dame Blanche et à en proposer une captation malgré les conditions très compliquées dans lesquelles les théâtres se trouvent aujourd’hui. Cela n’a pas été trop difficile pour l’équipe et les artistes d’avancer et de continuer à croire en ce projet ?
Je ne vous cache pas que lorsque les choses se sont arrêtées à Compiègne, après la générale piano, il y a eu un petit abattement… Mais il s’agit d’un projet créé par La co[opéra]tive en vue d’une tournée dans 7 villes (NDR : Besançon, Compiègne, Dunkerque, Amiens, Rennes, Quimper, Tourcoing) : nous nous sommes vite dit qu’il fallait aller de l’avant et ne pas nous contenter de maintenir les représentations pour éventuellement deux ou trois villes seulement. Nous avons donc  décidé de reporter l’ensemble du projet d’un an. C’est lorsque cette décision a été prise que s’est fait jour l’envie de réaliser une captation audiovisuelle du spectacle, aux dates des représentations qui étaient prévues à Rennes. Très vite, France 3 Bretagne, TVR (une chaîne locale) et France TV ont accepté de nous suivre… Cela nous a paru important de maintenir ainsi un lien avec les spectateurs, et les artistes ont vite accepté de prendre part à l’aventure !  Certes il n’y avait pas de spectateurs, mais nous avons transformé cet état de fait en quelque chose de positif, en donnant plus de liberté aux caméras : il s’agit in fine d’un projet audiovisuel plus ambitieux qu’une simple captation.

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Parlez-nous de La co[opéra]tive, la structure qui est à la base de cette production.
La co[opéra]tive réunit trois scènes nationales pluridisciplinaires (Dunkerque, Besançon et Quimper), et trois théâtres à dominante lyrique (Rennes, l’Atelier lyrique de Tourcoing et le Théâtre Impérial de Compiègne). Chaque année nous inventons un projet lyrique en faisant en sorte qu’il puisse bien être joué dans ces deux types de théâtres. Un des intérêts de l’opération, c’est de pouvoir proposer le spectacle à un public (celui des scènes pluridisciplinaires) qui n’a pas forcément l’habitude de voir des opéras. Le choix de La Dame blanche s’explique par le fait que La co[opéra]tive n’avait pas encore proposé d’opéra-comique français… Et puis, cette œuvre constitue un véritable marqueur dans l’histoire de l’opéra, elle a connu un succès phénoménal ! Il nous fallait également un ouvrage qui puisse supporter sans dommages une réduction orchestrale : il y a pour La Dame Blanche une vingtaine de musiciens dans la fosse, des musiciens de l’Orchestre les Siècles, ce qui est un gage de qualité et d’authenticité musicales ! S’est vite posée la question du premier rôle masculin, particulièrement exposé. Il se trouve qu’à l’époque où nous réfléchissions à ce projet, nous donnions La Petite messe solennelle de Rossini, dans laquelle chantait le jeune ténor Sahy Ratia : ses moyens formidables nous ont paru tout à fait adaptés au rôle.

Le reste de la distribution est très jeune également !
L’un des objectifs de La co[opéra]tive, c’est précisément de solliciter des artistes qui se trouvent à un moment charnière de leur carrière. C’est, par exemple, le premier ouvrage lyrique mis en scène de Nicolas Simon, un chef magnifique qui adore cette musique ! C’est également le premier opéra de Louise Vignaud. Tout le monde est tellement heureux et enthousiaste de faire ce spectacle ! Il ne manque que le public, mais ce n’est que partie remise. Il faut prendre cette captation comme une grande « avant-première » !

Indépendamment de ce projet, vous vous êtes efforcés à Rennes de maintenir le lien avec le public depuis le premier confinement…
Oui, il y a eu par exemple d’autres projets audiovisuels, avec notamment la captation d’un spectacle du Banquet Céleste : Dreams sur des musiques de Purcell et de Dowland, un projet que vous pouvez retrouver sur Culturebox. Nous avons également mis sur pied, avec TVR et la cheffe de chœur Éléonore Le Lamer, un programme court intitulé « L’Opéra dans ton salon ». C’est un concept qui marche très bien : tous les vendredis, on pousse la porte des spectateurs et on présente ce programme depuis leur salon ! On y donne certains trucs et astuces des chanteurs, mais sur un ton volontairement très décalé.

Enfin, ce deuxième confinement nous laisse la possibilité d’aller dans les écoles : nous avons donc maintenu un certains nombre d’actions artistiques, notamment avec le chœur Mélisme(s) qui ira, cette semaine, dans trois écoles de la ville. À l’origine, ce projet éducatif, appelé « Marelle », aurait dû se faire ici, à l’Opéra : nous avions prévu un parcours dans les différents espaces du bâtiment. Chaque groupe d’élèves aurait dû faire, successivement, trois ateliers organisés à chaque fois dans un lieu spécifique du théâtre – des ateliers (rythmiques, vocaux,…) ayant tous un lien avec une œuvre que les enfants découvrent ensuite, chantée par les artistes du chœur. Ce programme a donc été reformaté et c’est finalement nous qui nous rendons dans les écoles pour l’apporter aux enfants.

La pédagogie et le fait d’aller au devant des gens semblent être, pour vous, une préoccupation essentielle…
La mission éducative est une mission dans laquelle nous nous engouffrons avec gourmandise ! Il ne s’agit pas pour nous de faire notre programmation puis de réfléchir à une façon de la décliner sur le plan éducatif : notre programmation ET cette mission d’éducation sont pensées conjointement, comme un tout. Nous participons également, avec les opéras de Rouen et Lille, au projet européen BIG BANG, un projet d’aventures musicales pour les jeunes. Dans le cadre de ce festival, nous transformons pendant deux jours l’Opéra en un grand labyrinthe musical pour les enfants et les familles : il pourra y avoir par exemple un concert dans une loge juste pour deux personnes, un opéra mystérieux dans les dessous de scène,… Il s’agit de changer l’image de l’Opéra et de le rendre avant tout vivant et ludique. Dans le même ordre d’idées, il faudrait encore ajouter le projet d’opéra sur écran, porté tantôt par Angers-Nantes, tantôt par Rennes, et qui permet de jouer sur la dimension fédératrice de l’opéra puisque l’événement est donné sur les places ou dans les salles des fêtes d’une quarantaine de villes de Bretagne ou des Pays de la Loire. Nous souhaitons aller au-devant du public, mais aussi lui ouvrir largement nos portes. Ainsi cet été, pendant quatre semaines, l’Opéra de Rennes est resté ouvert et est presque devenu un lieu de balade, où le magicien Étienne Saglio avait invité… le fantôme de l’Opéra !
Bref, donner l’accès à l’art, à la culture, participer à notre façon à l’éducation des jeunes, cela fait clairement partie de l’ADN de la maison, mais aussi de la ville de Rennes, puisque nous sommes sur un territoire 100% EAC (éducation artistique et culturelle) !

Bal masqué à l’Opéra de Rennes en 2019

Parmi les prochains rendez-vous à ne pas rater à l’Opéra de Rennes (si les conditions sanitaires le permettent…) :

Trois contes de Gérard Pesson (23, 25 et 26 janvier), un récital Strauss/Mozart par Sabine Devieilhe (18 février), Lucia di Lammermoor (27 mars au 02 avril) ou encore La Chauve-Souris (08 au 16 mai)
Toutes les informations ici !