Opéra Comique : Objectif lune avec Offenbach !

Crédits photos : © Stefan Brion

Le rare Voyage dans la lune d’Offenbach est proposé (ou plutôt aurait dù être proposé) deux fois cette saison : d’abord dans une mise en scène d’Olivier Fredj, vue à Montpellier en décembre ; puis à l’Opéra Comique, où le spectacle de Laurent Pelly a été capté la semaine dernière – pour une diffusion sur France Télévisions en septembre prochain.  Un spectacle dont, à une exception près, les chanteurs sont tous membres de La Maîtrise populaire de l’Opéra Comique.

À force de voir Thomas Pesquet cabrioler en apesanteur, on en oublierait presque qu’un voyage dans l’espace, même en ce début de XXIe siècle, n’est pas de tout repos. L’Opéra Comique en sait quelque chose, qui a pour objectif la Lune depuis maintenant plus d’un an, et vient seulement d’alunir au terme d’un voyage on ne peut plus mouvementé : apparition de la Covid 19 alors qu’une série de représentations du Voyage dans la lune était programmée en mai/juin 2020, report de l’événement sur la saison suivante, transformation des représentations en captation télévisée, remplacement inopiné de la cheffe (Alexandra Cravero, victime d’un accident de la route), remplacement du Roi V’lan (souffrant) initialement prévu, impossibilité pour les enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique de répéter autant qu’il était prévu pendant les congés de printemps [1], obligation d’adapter la mise en scène en raison des mesures sanitaires [2] : on ne compte plus les péripéties et autres accidents de parcours qui auraient dû, en toute logique, conduire à l’annulation de ce beau projet… Mais c’était sans compter sur l’opiniâtreté et la pugnacité des équipes de l’Opéra Comique et des artistes – et c’est presque à se demander in fine, à voir l’enthousiasme et l’énergie des artistes en ces soirs de captation, si la multiplication des obstacles n’a pas en quelque sorte amplifié l’envie, la volonté de mener à bien cette entreprise.

Le Voyage dans la lune, opéra-féerie créé en 1875 au Théâtre de la Gaîté (et sur lequel Première Loge prépare un dossier) confronte deux mondes absolument opposés : celui de la Terre, où règne un  Roi V’lan (un prince « trop débonnaire » mais pourvu d’un nom qui, heureusement, « lui tient lieu d’aplomb »), dont le fils Caprice, un adolescent blasé qui a tout vu, « Le connu, puis l’inconnu, / Le prévu, l’imprévu », ne trouve rien de mieux, pour satisfaire sa soif de sensations nouvelles, que de demander à son père… la Lune. Suite à un voyage (en canon), les voilà donc sur la Lune dont les habitants, grâce à eux, vont apprendre l’amour dont ils ignorent tout (l’amour y est considéré comme une maladie dont on se garde prudemment…). L’œuvre est drôle (même si le livret n’est pas des mieux ficelés), permet de joyeux moments bien déjantés et offre à Offenbach l’occasion de ciseler quelques belles pages musicales, notamment celles amoureusement composées pour la mezzo Zulma Bouffar, la créatrice du rôle du Prince Caprice (ici confié à un ténor). Il s’agit, comme Les Brigands ou La Vie parisienne, d’une œuvre d’ensemble, nécessitant une équipe soudée et pleine d’énergie.

Et de l’énergie, il y en a eu ces jeudi 29 et vendredi 30 mai, sur le plateau et dans la fosse ! L’orchestre des Frivolités Parisiennes, sous la baguette de Mathieu Romano (appelé à la rescousse il y a quelques semaines !), obtient ce si délicat équilibre de la musique offenbachienne, fait d’humour, de légèreté, de tendresse, et de cet indispensable peps sans lequel le soufflé retombe et peut vite devenir un entremets lourd et sans saveur. Sur scène, les enfants et jeunes adultes de la Maîtrise s’en donnent à cœur joie, témoignent d’une impeccable préparation vocale (par Sarah Koné), et se sont parfaitement approprié les codes de l’humour si particulier de Laurent Pelly (nous avouons un faible pour les irrésistibles « petits artilleurs, moyens  artilleurs et grands artilleurs » qu’on ne voit qu’ « ici… et pas ailleurs » !).

Goût prononcé pour le décalage et l’absurde, sens infaillible du tempo, gestuelle farfelue et/ou mécanique dans les ensembles, mais aussi touches de poésie (très beaux levers de Lune puis de Terre !) : on reconnaît vite l’univers du metteur en scène français qui compte à son actif, dans le répertoire offenbachien, Orphée aux Enfers, La Belle Hélène, La Vie Parisienne, La Grande-Duchesse, Barbe-Bleue, L’Île de Tulipatan, 

Monsieur Choufleuri (un de ses spectacles les plus drôles : on ne comprend pas qu’il n’ait pas été  proposé un peu partout après sa création), et s’était même déjà frotté au Voyage dans la lune lors du très réussi Festival Offenbach donné à Lyon en 2005.  Le fait que Christophe Mortagne (V’lan), ait déjà travaillé avec Laurent Pelly à Lyon pour Le Roi Carotte et Barbe-Bleue a sans doute dû faciliter le remplacement au pied levé – ou quasi – de son collègue Franck Leguérinel, au jeu et à la voix a priori très différents. Il campe en tout cas, avec ses mimiques et sa voix si particulières, un Roi V’lan délicieusement insupportable, tyranneau tout à la fois colérique, ridicule et couard. Preuve de l’inépuisable énergie des troupes : les scènes sont reprises plusieurs fois  avec toujours le même enthousiasme (le premier soir, c’est presque l’intégralité du premier acte qui est rejoué à trois reprises !), afin de supprimer l’imperceptible décalage que le chef a repéré dans tel ensemble, d’être plus synchronisés dans tels déplacements, d’essayer une autre façon de dire telle réplique…

Rendez-vous en septembre sur France Télévisions pour apprécier l’objet final : la captation du spectacle sera par ailleurs précédée d’un documentaire sur la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique et le remarquable travail fourni par tous ces enfants, adolescents et jeunes adultes visiblement déjà tous habités par l’amour de la scène !

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[1] Pendant les vacances scolaires, le temps maximum de travail ne peut excéder 50% de la durée totale des vacances.

[2] Tous les enfants de la maîtrise n’ont pu être présents sur le plateau, certains d’entre eux ont donc participé au spectacle en chantant du premier balcon.

5 questions à Mathieu Romano

© William Beaucardet

Stéphane LELIEVRE : Mathieu Romano, quelle a été votre réaction lorsqu’on vous a proposé de vous lancer dans cette aventure du Voyage dans la lune, à laquelle vous n’étiez pas du tout préparé ?
Mathieu Romano :
Je n’ai pas hésité. D’abord parce que mon caractère me porte à accepter toute nouvelle aventure, ensuite parce que, malgré les circonstances, je me suis senti en confiance. Je suis habitué à travailler avec l’orchestre des Frivolités, je connaissais déjà Sarah Koné, et je connais bien sûr tout le sérieux des équipes de l’Opéra Comique. En revanche, je ne me suis peut-être pas tout de suite rendu compte de tout ce que cette aventure allait représenter !

Quel a été votre sentiment en découvrant cette partition méconnue d’Offenbach ?
J’ai eu la partition en mains un samedi, et je suis arrivé en répétitions le mardi suivant ! En fait, j’ai vraiment découvert l’œuvre en la travaillant avec les musiciens et les chanteurs. J’y ai découvert de belles pépites, mais aussi une difficulté qui est celle de toute l’œuvre d’Offenbach : il faut l’habiter, l’énergiser à 100%. Il suffit juste d’un petit moment un peu trop « mou » pour que le soufflé retombe… J’ai bénéficié du formidable travail de Laurent Pelly, dont la mise en scène a galvanisé les enfants et a ainsi contribué à maintenir cette indispensable tension, en dynamisant les tableaux par l’art du mouvement, l’originalité des chorégraphies,…

Comment travaille-t-on avec des enfants ?
En fait j’ai l’habitude de travailler avec les enfants, par exemple  en dirigeant des orchestres DEMOS [1]. Cette perspective de monter Le Voyage dans la lune avec des enfants et des adolescents ne m’effrayait donc pas, d’autant que je sais tout le travail qu’ils accomplissent avec Sarah [Koné] ! J’étais donc parfaitement confiant : ce sont des artistes à part entière, avec un très fort niveau de concentration et d’énergie.

La première caractéristique de votre travail, que ce soit avec le chanteur, les enfants, les musiciens, c’est la bienveillance. Avant de demander aux musiciens d’essayer de changer telle ou telle chose, d’améliorer tel point, vous commencez par les féliciter pour ce qu’ils viennent de faire…
Mais je ne conçois pas les choses autrement ! Pour pouvoir dire les choses qui ne vont pas, il faut commencer par dire les choses qui vont bien. Comment voulez-vous amener les gens à offrir le meilleur d’eux-mêmes si vous n’êtes pas dans la bienveillance ? C’est uniquement en étant positif et bienveillant qu’on peut obtenir mieux et plus. Les enfants ont parfois dû recommencer les mêmes scènes deux, trois, quatre fois de suite : il faut impérativement les accompagner en étant positif et en les encourageant pour les aider à garder cette envie de bien faire ou de faire mieux. D’autant qu’ils ne bénéficiaient pas d’un retour du public, les réactions, les rires, les applaudissements, qui sont habituellement une aide précieuse. Mon rôle n’est donc pas que technique et musical, il est aussi humain : il s’agit de susciter, maintenir, développer l’énergie qui émane de la troupe, et de contribuer à la maintenir soudée.

Votre sentiment au terme de ce Voyage dans la lune ?
C’était un vrai challenge, avec quelques inquiétudes, beaucoup de travail… mais au final une très, très grande joie. Il faut vraiment rendre hommage à tous les acteurs de cette aventure, qui y ont cru jusqu’au bout sans jamais baisser les bras !

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[1] Dispositif d’Éducation Musicale et Orchestrale à Vocation Sociale. Mathieu Romano a par ailleurs organisé des actions d’éducation à la musique dans les écoles.