LA PASSAGÈRE, Weinberg – dossier

Opéra en 2 actes de Mieczysław Weinberg, livret d’Alexandre Medvedev d’après La Passagère de la cabine 45 de Zofia Posmys, créé en version de concert au Théâtre de musique de Moscou Stanislavski et Nemirovich-Danchenko le 25 décembre 2006.
LES AUTEURS
Le compositeur
Mieczysław Weinberg (1919-1996)
Mieczysław Weinberg naît le 8 décembre 1919 à Varsovie. Il y commence des études de piano, mais est contraint de quitter son pays après l’invasion de la Pologne par l’armée allemande en 1939. Alors que sa famille est arrêtée et assassinée, Weinberg se réfugie en URSS. Il suit des études de composition à Minsk, en Biélorussie. Il rencontre par la suite Dmitri Chostakovitch qui l’apprécie et devient son ami. Chostakovitch sera même à l’origine d’une pétition demandant la libération de Weinberg, emprisonné dans les années 50 pour des motifs antisémites.
Sa musique est appréciée et est progressivement jouée par les plus grands interprètes russes du moment, mais peine à être reconnue sur le plan international. Il compose dans tous les genres musicaux : musique de film (Quand passent les cigognes), opéras (La Passagère, L’Idiot), musique de chambre (Trio pour violon, violoncelle et piano opus 24), symphonies (une vingtaine !), mélodies,…
Tombé malade, il meurt à Moscou le 26 février 1996 .
Le librettiste
Alexander Medvedev (1927-2010)
Alexandre Medvedev naît à Moscou en 1927. Il suit des études d’histoire de la musique et de solfège et obtient, en 1961, un doctorat à l’Institut de musique et de cinématographie. Devenu un musicologue réputé, il devient chef du département de littérature musicale au Théâtre du Bolchoï et écrit de nombreux articles sur la culture musicale soviétique, ainsi que plusieurs livrets d’opéras, notamment pour Mieczysław Weinberg : La passagère, La Madone et le soldat, L’Idiot.
Alexander Medvedev meurt à Moscou le 26 juillet 2010.
L’ŒUVRE
La création et la fortune de l’œuvre

Weinberg termine la composition de son œuvre en 1968, mais l’opéra n’est pas apprécié par le régime soviétique, qui refuse sa création. Il faudra attendre le 25 décembre 2006 pour le public découvre la partition au cours d’une version de concert donnée au Théâtre de musique de Moscou Stanislavski et Nemirovich-Danchenko. Quatre ans plus tard, le festival de Bregenz propose la création scénique de La Passagère (direction musicale Teodor Currentzis, mise en scène David Pountney). Dès lors, l’œuvre est régulièrement reprise avec succès : au Grand Théâtre de Varsovie, à Francfort, Chicago, Houston, Detroit, Graz, Innsbruck, Toulouse…
Preuve du succès de cette oeuvre tardivement redécouverte : plusieurs versions audio et vidéo en sont d’ores et déjà disponibles (voyez ci-dessous).
Le livret
La source
Ancienne prisonnière des camps d’Auschwitz et Ravensbrück, Zofia Posmysz devient journaliste et écrivaine. En 1962, son récit La Passagère de la Cabine 45 fait l’objet d’adaptations radiophonique et cinématographique. C’est Dmitri Chostakovitch qui fait connaître ce récit au musicologue et librettiste Alexander Medvedev, lequel le transmet à son tour à Mieczyslaw Weinberg.
Le texte
Il est à noter que chaque personnage, dans le livret, s’exprime dans sa propre langue. Ce multilinguisme (on entend aussi bien de l’hébreu que de l’allemand, du polonais, du russe) contribue ainsi à un étonnant « effet de réel ».
La structure
Deux strates temporelles et spatiales coexistent sur scène : une temporalité passée (la guerre) correspondant à l’horreur des camps, une temporalité « présente » (les années 60) correspondant à l’atmosphère luxueuse du paquebot. Le déroulé de l’opéra permet de passer de l’une à l’autre strate avec fluidité.
L’intrigue
PREMIER ACTE
Sur le paquebot
En 1960, un couple d’Allemands, Lisa et son mari le diplomate Walter, traversent l’Atlantique pour gagner le Brésil. Le voyage prend cependant un tournant inattendu lorsque Lisa croit reconnaitre en une passagère, une certaine Marta, une femme polonaise qu’elle a jadis connue dans des circonstances particulièrement terribles : Lisa est en effet une ancienne SS, gardienne dans le camp de concentration d’Auschwitz. Marta serait, pense-t-elle, l’une des femmes qu’elle était alors chargée de surveiller… une prisonnière qui avait suscité son irritation en raison de l’extrême dignité dont elle ne se départait jamais.
Lorsque Walter apprend le passé nazi de son épouse, une dispute éclate : la carrière du diplomate ne risque-t-elle pas d’être alors compromise ? Un steward, cependant, les rassure en leur apprenant que la passagère ne serait pas polonaise, mais britannique. Mais Lisa est peu à peu envahie par une vague de souvenirs liés à la guerre et au rôle qu’elle joua dans le camp d’Auschwitz…
SECOND ACTE
Auschwitz
Un concert se prépare, au cours duquel Tadeusz, un prisonnier, devra jouer au commandant sa valse préférée. Or il se trouve que Tadeusz est fiancé à Marta, qu’il retrouve avec émotion dans l’entrepôt des biens confisqués. La gardienne Lisa propose au couple de se retrouver régulièrement en secret, espérant ainsi assurer sa domination psychologique sur les deux amoureux. Tadeusz refuse : il préfère renoncer à voir Marta plutôt que de lui faire courir le moindre danger.
Le paquebot / Auschwitz
Le steward annonce s’être trompé à Lisa et Walter : la mystérieuse passagère est bien polonaise et non britannique…
Une soirée dansante est organisée sur le paquebot, à laquelle participent Lisa et Walter. La mystérieuse passagère demande que soit jouée une valse : il s’agit précisément de la valse préférée du commandant du camp d’Auschwitz…
A Auschwitz, le concert évoqué au premier acte a enfin lieu. Tadeusz refuse d’obéir au commandant du camp et, en lieu et place de la valse demandée, joue la Chaconne en ré mineur de Jean-Sébastien Bach. Cette désobéissance vaut à Tadeusz d’être condamné à mort.
La berge d’un fleuve
Les derniers mots de l’opéra reviennent à Marta, qui se livre à un monologue évoquant le devoir de mémoire et s’achevant sur ces mots : « Si un jour vos voix se taisent, alors nous sombrerons tous ».
La partition
La dualité (spatiale et temporelle) observée dans le livret (voyez ci-dessus notre partie consacrée au livret) s’observe également dans la partition, qui fait coexister certaines musiques légères (celles qu’on entend sur le paquebot, la valse du commandant) avec d’autres aux tonalités plus graves (la Chaconne de Bach), voire tragiques (celles entendues dans les scènes se déroulant dans les camps). La musique, savante sans jamais être hermétique (on cite souvent à propos des œuvres de Weinberg les noms de Chostakovitch ou de Bartók), intègre dans sa trame plusieurs citations (Schubert, Berg, Britten), et joue beaucoup sur certains effets de contrastes : dramatisme intense des dialogues entre les différents personnages / interventions « détachées » du chœur, contemplant et commentant l’action ; interventions froides de Lisa, lyrisme du chant de Marta ; orchestration riche et foisonnante contrastant avec la délicatesse de certaines scènes intimistes ; violence des scènes prenant place dans le camp de la mort / lyrisme passionné de la scène des retrouvailles entre Marta et Tadeusz ; … L’œuvre revêt ainsi une efficacité dramatique remarquable, d’autant que la musique, en dépit de son caractère savant, reste constamment touchante et accessible.
NOTRE SÉLECTION POUR VOIR ET ÉCOUTER L’ŒUVRE
CD
Kluttig, Loschky / Stefanoff, Kaiser. Chor der Oper Graz, Grazer Philharmoniker. 2 CD Cappriccio, 2021.
Gražinytė-Tyla / Orendt, Majeski. Orquesta Del Teatro Real De Madrid. Coro Del Teatro Real De Madrid. 2CD DG, 2025.
Streaming
Currentzis, Pountney / Kelessidi, Breedt. Wiener Symphoniker, Prague Philharmonic Choir, Festival de Bregenz 2010.
DVD et Blu-rays
Currentzis, Pountney / Kelessidi, Breedt. Wiener Symphoniker, Prague Philharmonic Choir, Festival de Bregenz. 1 DVD Arthaus, 2015.
Kluttig, Loschky / Stefanoff, Kaiser. Chor de Oper Graz, Grazer Philharmoniker. 1 Blu-ray Naxos, 2022.
Von Dohnányi, Strassberger / Karlova, Babintseva. Opéra académique d’Etat d’Iekaterinbourg. Enregistré à Iekaterinbourg le 15 septembre 2016. 1 DVD DUX.