WAR REQUIEM, Britten (1962) – dossier

Benjamin BRITTEN, War Requiem (op. 66) pour soprano, ténor, baryton, chœur, orchestre, orchestre de chambre, chœur de garçons et orgue
LE COMPOSITEUR

Benjamin Britten (Edward Benjamin Britten), né le 22 novembre 1913 à Lowestoft dans le Suffolk et mort le 4 décembre 1976 à Aldeburgh, est l’un des compositeurs britanniques les plus importants du XXᵉ siècle. Pianiste, chef d’orchestre et pédagogue, il a profondément renouvelé la musique anglaise, en particulier l’opéra, qu’il a replacé au centre de la vie musicale britannique.
Très tôt reconnu comme un enfant prodige, Britten étudie la composition au Royal College of Music à Londres. Bien qu’il y reçoive une formation académique solide, il se sent parfois en décalage avec le conservatisme musical de son époque.
Ses premières œuvres révèlent déjà un style personnel, marqué par une grande clarté formelle, une expressivité directe et une attention particulière portée à la voix.
Pacifiste convaincu, Britten s’exile aux États-Unis au début de la Seconde Guerre mondiale, avant de revenir en Angleterre en 1942. Son pacifisme et son statut d’objecteur de conscience influencent profondément son œuvre, notamment le War Requiem (1962), composé pour la cathédrale de Coventry reconstruite après les bombardements. Cette œuvre, mêlant textes liturgiques et poèmes de Wilfred Owen, est aujourd’hui considérée comme l’un des chefs-d’œuvre du XXᵉ siècle.
Britten connaît un immense succès avec son opéra Peter Grimes (1945), qui marque un tournant dans l’histoire de l’opéra britannique. Suivront de nombreux autres opéras majeurs, tels que Billy Budd (1951), The Turn of the Screw (1954), A Midsummer Night’s Dream (1960) ou Death in Venice (1973), souvent centrés sur des personnages marginalisés, en conflit avec la société.
Il entretient une collaboration artistique et personnelle essentielle avec le ténor Peter Pears, pour qui il compose de nombreuses œuvres vocales. Ensemble, ils fondent en 1948 le Festival d’Aldeburgh, qui devient un lieu majeur de création et de diffusion musicale.
Le catalogue de Britten est très vaste : opéras, musique orchestrale, œuvres chorales, musique de chambre et pièces pédagogiques, notamment The Young Person’s Guide to the Orchestra, destinée à initier les enfants à l’orchestre symphonique.
Anobli en 1976, peu avant sa mort, Benjamin Britten laisse l’image d’un compositeur humaniste, profondément engagé, dont la musique allie exigence artistique, accessibilité et intensité émotionnelle.
POURQUOI UN WAR REQUIEM ?
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la cathédrale Saint-Michel de Coventry fut détruite par des bombardements. Une nouvelle cathédrale fut construite après la guerre, à proximité de l’ancienne cathédrale dont il subsiste toujours la structure extérieure. Avant sa consécration et son inauguration, on passa commande à Benjamin Britten d’une œuvre musicale : c’est à cette occasion qu’il composa le War Requiem.
UN REQUIEM NON LITURGIQUE
Britten, en composant son œuvre, n’avait nullement l’intention de célébrer la victoire de l’armée britannique et de ses alliés. Son but était avant tout de dénoncer les atrocités commises pendant la guerre, de plaider pour la réconciliation et de proposer un vibrant plaidoyer pour la paix. Pour ce faire, il mêle à la structure habituelle du Requiem (Requiem aeternam, Dies Irae, Offertorium, Sanctus, Agnus Dei, Libera me) des textes profanes, écrits par le poète anglais Wilfred Owen. Le musicien plaça en tête de sa partition cette citation du poète :
My subject is War, and the pity of War
The Poetry is in the pity …
All a poet can do today is warn.
Mon sujet est la guerre, et la douleur de la guerre
La poésie réside dans la douleur…
Tout ce qu’un poète peut faire aujourd’hui, c’est avertir…
Wilfred Owen
Wilfred Owen (18 mars 1893 – 4 novembre 1918) est sans aucun doute l’un des plus grands poètes de la Première Guerre mondiale. Engagé volontaire, il vivra un véritable enfer pendant la Bataille de la Somme, de même qu’un peu plus tard, en 1917 : tombé dans un trou d’obus, il y reste inconscient plusieurs jours, avant d’être découvert et secouru.
Transféré au Craiglockhart War Hospital d’Edimbourg, il y rencontre plusieurs autres poètes anglais, dont Siegfried Sassoon, viscéralement pacifiste : après que ses écrits contre la guerre eurent été rendus publics, Sassoon ne passa pas en cour martiale mais fut envoyé dans cet hôpital en tant que « victime de choc des obus » (!).
Il eut une influence considérable sur Owen, qui se rapprocha de lui et finit par en tomber amoureux. C’est dans cet hôpital qu’Owen rédigea de nombreux écrits et poèmes pacifiques, où s’expriment son horreur de la violence, sa profonde compassion pour les soldats des deux camps, son appel au pardon et à la réconciliation.
De retour au front, Owen est tué à Ors, dans le Nord de la France, une semaine jour pour jour avant l’armistice. Il avait 25 ans. Il repose toujours dans le cimetière militaire britannique de cette ville.
LES TEXTES DE WILFRED OWEN
Britten trouva de toute évidence, en la personne et dans les œuvres de Wilfred Owen, une sensibilité faisant écho à la sienne. Les textes du poète qu’il utilisa pour son Requiem sont les suivants :
- What passing bells (Requiem aeternam) ;
- Bugles sang, Out there, we walked quite friendly up to death, Be slowly lifted up (Dies Irae) ;
- So Abram rose (Offertorium) ;
- After the blast of lightning (Sanctus) ;
- One ever hangs (Agnus Dei) ;
- Strange Meeting (Libera me).
LA MUSIQUE DE BRITTEN
Trois strates sonores alternent et se répondent dans le War Requiem.
- La première est le Requiem lui-même, messe exprimant la peur de la mort et du jugement dernier, et appel à la miséricorde divine. Elle est assumée par le soprano, l’orchestre et le chœur.
- La seconde est consacrée aux poèmes d’Owen est met en scène deux soldats incarnés par le ténor et le baryton, accompagnés par l’orchestre de chambre. Le dernier poème, Strange Meeting (précédant le Libera me) évoque la pathétique rencontre d’un soldat anglais et d’un soldat allemand, avec notamment cette terrible phrase : « Je suis l’ennemi que tu viens de tuer, mon ami… ».
- La troisième fait entendre une élévation au-dessus de la guerre et de ses horreurs. Elle est confiée au chœur de garçons et l’orgue.
Si, traditionnellement, un Requiem – au-delà de pages possiblement emplies de terreur – s’achève sur une sérénité retrouvée (ne s’agit-il pas d’implorer Dieu d’accorder le « repos éternel » aux défunts ?), l’œuvre de Britten ne se départit que rarement d’un sentiment d’angoisse et d’un pessimisme profond… La paix elle-même, que semble apporter enfin la prière finale, se teinte in fine de couleurs sombres et angoissantes lorsque se fait entendre un lugubre glas…
LA CREATION
Le War Requiem fut créé le 30 mai 1962 dans la nouvelle cathédrale de Coventry. La distribution comportait le baryton allemand Dietrich Fischer-Dieskau, la soprano irlandaise Heather Harper et le ténor britannique (et compagnon du compositeur) Peter Pears. Galina Vichnevskaïa aurait dû tenir la partie de soprano, mais l’URSS ne l’autorisa pas à se rendre en Angleterre. Elle participa cependant à l’enregistrement de l’œuvre, paru en 1963. Le choix des nationalités des trois chanteurs initialement prévus (russe, anglais, allemand), n’était évidemment pas le fruit du hasard mais incarnait pour le musicien l’esprit de réconciliation qui avait présidé à la composition de l’ouvrage. Le War Requiem fut dirigé, lors de la création, par Meredith Davies et Benjamin Britten lui-même. L’œuvre reçut un accueil triomphal.
NOTRE SÉLECTION POUR ÉCOUTER L’ŒUVRE
CD
Britten / Vishnevskaya, Pears, Fischer-Dieskau. London Symphony Orchestra. The Bach Choir et The London Symphony Orchestra Chorus. 2CD Decca (1963)
Rattle / Söderström, Tear, Allen. CBSO Chorus. City of Birmingham Symphony Orchestra. 2CD EMI (1983)
Gardiner / Orgonasova, Rolfe Johnson, Skovhus. NDR Sinfonieorchester. The Monteverdi Choir. 2CD Deutsche Grammophon (1993)
Masur / Vaness, Hadley, Hampson. New York Philharmonic, Westminster Symphonic Choir. 2CD Teldec (1998)
Rilling / Dasch, Taylor, Gerhaher. Festivalensemble Stuttgart. 2CD Hänssler Classic (2008)
Ozawa / Görke, Westman, Dean Griffey. Saito Kinen Orchestra. 2CD Decca (2009)
Pappano / Netrebko, Bostridge, Hampson. Orchestre et Chœur de l’Accademia Nazionale Di Santa Cecilia. 2CD Warner Classics (2013)
Jansson / Maggie, Promore, Gerhaher. Chor und Symphonieorchester des Bayerischen Runfunks. 2CD BR Klassik (2013)
DVD et Blu-ray
Film de Derek Jarman (1989) avec Laurence Oliver et Nathaniel Parker, sur la bande-son de l’enregistrement réalisé par britten en 1963
Nelsons / Wall, Padmore, Müller-Brachmann. City of Birmingham Symphony Orchestra, CBSO Chorus. 1 Bluray Unitel (2012)
Streaming
BBC Symphony and Chorus, dir. Benjamin Britten (Heather Harper, Thomas Hemsley, Peter Pears (4 août 1964)
SHMF | NDR Elbphilharmonie Orchester, dir. J.E. Gardiner (Luba Orgonasova,
Anthony Rolfe Johnson, Boje Skovhus)- 1992
Orchestre et Choeur de l’Accademia di santa Cecilia, dir. A. Pappano (Anna Netrebko, Ian Bostridge,Thomas Hampson) – Salzbourg, 2013
Royal Academy of Music Symphony Orchestra and Chamber Orchestra, dir. Marin Alsop (Natalia Tanasii, Ben Johnson, Johannes Kammler) – 9 novembre 2014
London Symphony Orchestra, dir. Antonio Pappano (Natalya Romaniw, Allan Clayton, Will Liverman). 2024
SWR Symphonieorchester, dir.Teodor Currentzis (Irina Lungu, Allan Clayton, Matthias Goerne). 7 juin 2024 (Stuttgart)
LES COMPTES RENDUS
- Philharmonie de Paris, 12 juin 2026( à venir)