ZÉMIRE ET AZOR, Grétry (1771) – dossier

Comédie-ballet en vers et en 4 actes mêlés de chants et de danse d’André-Modeste Grétry, livert de Marmontel, créé le 9 novembre 1771 à Fontainebleau (Théâtre Royal)

Le compositeur

André Modeste Grétry (1714-1813)

André Modeste Grétry est un écrivain et un compositeur français d’origine wallonne : né à Liège, son buste trône toujours devant l’Opéra Royal de Wallonie. Formé musicalement en Italie (notamment par le père Martini), il s’installe par la suite en France où il fréquente Voltaire ou encore Marmontel. Prenant la suite de Monsigny, Dauvergne ou Philidor, il s’illustre avec beaucoup de succès dans le genre de l’opéra-comique : Zémire et Azor (1771), L’Amant jaloux (1778), Richard Cœur de Lion (1784).

 La fraîcheur de son inspiration et ses dons mélodiques assurent à ses œuvres des reprises jusqu’au XIXe siècle (Richard Cœur de Lion notamment fut régulièrement représenté à Paris jusqu’à la Première Guerre mondiale). En tant qu’écrivain, Grétry publia les Réflexions d’un solitaire ainsi que des Mémoires (1789-1797). Il meurt à Montmorency en 1813.

Le librettiste

Marmontel par Alexandre Roslin, 1767. (Musée du Louvre)

Jean-François Marmontel (1723-1799)

C’est Voltaire qui pousse Marmontel à venir à Paris, où il acquiert une belle notoriété grâce à sa tragédie Denys le tyran (1748), ses Contes moraux (1761) mais aussi ses romans Bélisaire (1767) et Les Incas (1777), témoignant de son adhésion aux Lumières par la tolérance qui y est explicitement prônée. Il participe au projet de L’Encyclopédie, notamment en y publiant plusieurs articles regroupés sous le titre d’Eléments de littérature (1787). En 1804 paraît, de façon posthume, une biographie inachevée : Mémoires d’un père. Marmontel est aussi l’auteur de nombreux livrets d’opéras et d’opéras-comiques : Acanthe et Céphise (Rameau, 1751), Hercule mourant (Antoine Dauvergne, 1761), Zémire et Azor (Grétry, 1771), Atys (Piccinni, 1780).

La création

Zémire et Azor fut créé au Théâtre royal de Fontainebleau le 9 novembre 1771 en présence du roi. La première représentation publique eut lieu à la Comédie italienne le 16 décembre de la même année. L’œuvre obtint un véritable triomphe public et critique, et fut très vite créée en province et dans les principales cours d’Europe, avec chaque fois le même succès éclatant, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Elle était même, dit-on, programmée pour renflouer les caisses des théâtres en difficulté… 
Au XIXe siècle cependant, sa programmation se fit plus rare, et elle  finit par disparaître des affiches pour ne faire plus que quelques retours sporadiques sur les scènes françaises et européennes.

L’intrigue

© BnF / Gallica

L’hypotexte le plus ancien du livret est le conte d’Apulée « Amour et Psyché », inséré dans L’Âne d’or ou les Métamorphoses (2e siècle ap. J.C.), dans lequel madame Leprince de Beaumont puisa (très) abondamment pour « La Belle et la Bête » (Le Magasin des enfants, 1856). En 1742, Pierre-Claude Nivelle de la Chaussée avait quant à lui fait représenter une comédie, Amour pour Amour, fortement inspirée du conte de Madame Leprince de Beaumont. Marmontel emprunte à cette comédie les noms des protagonistes (Zémire et Azor) ainsi que le personnage de la fée, à peine évoqué à la dernière page de La Belle et la Bête.

Acte I
Sander ( baryton) est parti en voyage accompagné de son fidèle Ali (ténor). Ses deux filles aînées (Fatmé et Lisbé) lui ont demandé de leur rapporter des étoffes et des pierreries ; la cadette quant à elle (Zémire, soprano) n’a demandé qu’une rose.

Quand elles virent leur père prêt à partir, elles le prièrent de leur apporter des robes, des palatines, des coiffures, et toutes sortes de bagatelles. La Belle ne lui demandait rien ; car elle pensait en elle-même, que tout l’argent des marchandises ne suffirait pas pour acheter ce que ses sœurs souhaitaient.
– Tu ne me pries pas de t’acheter quelque chose ? lui dit son père.
– Puisque vous avez la bonté de penser à moi, lui dit-elle, je vous prie de m’apporter une rose, car il n’en vient point ici.
Ce n’est pas que la Belle se soucia d’une rose, mais elle ne voulait pas condamner, par son exemple, la conduite de ses sœurs, qui auraient dit que c’était pour se distinguer qu’elle ne demandait rien.

Madame Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête (1756)

Mais le bateau de Sander a fait naufrage et le malheureux se voit privé de tous ses biens.  
Sander et Ali se retrouvent dans un palais enchanté, dont l’hôte (Azor, ténor) leur fait parvenir un riche repas avant de paraître à leurs yeux : il est monstrueusement laid ! Il reproche à Sander d’avoir cueilli une fleur de son jardin (il s’agit de la rose promise à Zémire). Il consent cependant à le laisser repartir à condition qu’une de ses filles accepte de l’épouser.

Acte II 
Les trois filles de Sander se réjouissent de retrouver leur père, mais Zémire voit bien que celui-ci est profondément triste. Sander est décidé à retourner mourir auprès d’Azor, ne pouvant se résoudre à lui livrer une de ses filles. Ali révèle à Zémire les causes de la tristesse de son père. La jeune fille, se sentant responsable des événements (n’est-ce pas à cause d’elle que son père a cueilli la rose?), décide de se sacrifier et de se rendre dans le palais d’Azor. 

Acte III 
Arrivée dans la palais enchanté, Zémire constate que le monstre n’a d’effrayant que son apparence physique. Il se montre attentionné envers la jeune fille, et lui demande de lui chanter un air de son jeune choix. Zémire s’exécute : « La fauvette avec ses petits… »

– La Belle, lui dit ce monstre, voulez-vous bien que je vous voie souper ?
– Vous êtes le maître, répondit la Belle en tremblant.
– Non, répondit la Bête, il n’y a ici de maîtresse que vous ; vous n’avez qu’à me dire de m’en aller si je vous ennuie, je sortirai tout de suite. Dites-moi, n’est-ce pas que vous me trouvez bien laid
– Cela est vrai, dit la Belle, car je ne sais pas mentir ; mais je crois que vous êtes fort bon.
– Vous avez raison, dit le monstre ; mais outre que je suis laid, je n’ai point d’esprit : je sais bien que je ne suis qu’une bête.
– On n’est pas bête, reprit la Belle, quand on croit n’avoir point d’esprit : un sot n’a jamais su cela.
– Mangez donc, la Belle, lui dit le monstre, et tâchez de ne vous point ennuyer dans votre maison ; car tout ceci est à vous ; et j’aurais du chagrin si vous n’étiez pas contente.
– Vous avez bien de la bonté, lui dit la Belle ; je vous avoue que je suis bien contente de votre cœur ; quand j’y pense, vous ne me paraissez plus si laid.
– Oh ! dame oui, répondit la Bête, j’ai le cœur bon, mais je suis un monstre.
– Il y a bien des hommes qui sont plus monstres que vous, dit la Belle, et je vous aime mieux avec votre figure que ceux qui, avec la figure d’hommes, cachent un cœur faux, corrompu, ingrat.

Madame Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête (1756)

Azor, très ému par la beauté et la gentillesse de Zémire, accepte que celle-ci voie une dernière fois son père et ses sœurs, qu’il fait apparaître devant la jeune fille comme par magie. Il lui donne ensuite un anneau enchanté : le fait de le porter assure à Zémire sa liberté. Si elle le retire, elle devra en revanche de nouveau rejoindre Azor.

(à droite : Le Tableau magique de Zémire et Azor par Gramont, BnF, Bibliothèque-Musée de l’Opéra)

 Zémire, bouleversée par le tableau qui lui a montré ses deux sœurs et son père désespéré d’avoir perdu sa fille, ne peut cacher sa tristesse. Azor accepte alors que la jeune fille  retourne chez elle, mais elle devra être rentrée avant la tombée de la nuit – ce que Zémire lui promet. 

Acte IV
Zémire, de retour chez elle, essaie de convaincre son père de la bonté du cœur d’Azor. En vain : Sander refuse que sa fille retourne dans le palais enchanté. Mais Zémire tient à honorer sa promesse : elle jette l’anneau, et la voilà de retour auprès d’Azor, lequel désespérait de jamais revoir sa bien -aimée. 
Azor est en réalité un Prince à qui une fée avait jeté un sort : il était condamné à revêtir une apparence monstrueuse jusqu’à ce qu’une femme s’éprenne de lui. Devant l’amour sincère que Zémire porte à Azor, le charme se rompt : le prince reprend sa belle apparence ; il donne à Sander suffisamment d’argent pour lui faire oublier sa banqueroute. Le vieil homme accepte bien sûr que sa fille épouse Azor : tout est bien qui finit bien !

La Bête ouvrit les yeux, et dit à la Belle :
– Vous avez oublié votre promesse ; le chagrin de vous avoir perdue m’a fait résoudre à me laisser mourir de faim ; mais je meurs content, puisque j’ai le plaisir de vous revoir encore une fois.
– Non, ma chère Bête, vous ne mourrez point, lui dit la Belle, vous vivrez pour devenir mon époux ; dès ce moment je vous donne ma main, et je jure que je ne serai qu’à vous. Hélas ! je croyais n’avoir que de l’amitié pour vous, mais la douleur que je sens me fait voir que je ne pourrais vivre sans vous voir.

A peine la Belle eut-elle prononcé ces paroles qu’elle vit le château brillant de lumière : les feux d’artifices, la musique, tout lui annonçait une fête ; mais toutes ces beautés n’arrêtèrent point sa vue, elle se retourna vers sa chère Bête dont le danger la faisait frémir. Quelle fut sa surprise ! la Bête avait disparu, et elle ne vit plus à ses pieds qu’un prince plus beau que l’Amour, qui la remerciait d’avoir fini son enchantement.

Madame Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête (1756)

La musique

Sur le livret de Marmontel, Grétry a composé une partition d’une grande élégance, dont les morceaux s’enchaînent avec naturel aux parties déclamées du texte. Tantôt les pages musicales constituent un focus sur les sentiments qu’éprouvent tel ou tel personnage, tantôt elles contribuent à faire avancer l’action (duo entre Ali et Zémire à la scène 3 de l’acte III, quatuor de l’acte IV). 
La partition offre une belle variété, faisant alterner diverses tonalités : humour (avec les personnages d’Ali et des deux sœurs) ; galanterie (le célèbre « Du moment qu’on aime » d’Azor) ; dramatisme (le beau quatuor du dernier acte, dans lequel Sander refuse que sa fille se sacrifie pour lui) ; ou pathétique (l’air de Sander « La pauvre enfant ne savait pas / Qu’elle demandait mon trépas » ou celui d’Azor au dernier acte : « Toi, Zémire, que j’adore / Tu m’as donc manqué de foi »).
L’orchestration est d’une grande élégance, et permet à l’orchestre d’évoquer tour à tour la violence d’un orage (dernier mouvement de l’ouverture), le vol magique du nuage sur lequel voyagent les personnages, ou encore l’écriture de Sanders lorsque, dans le beau récitatif de la fin du deuxième acte, il explique à ses filles l’obligation dans laquelle il se trouve de quitter à jamais la maison paternelle : « Je vais faire encore un voyage, / Bien long peut-être… ». Les paroles du récitatif sont chantées a capella, et sont ponctuées d’interventions de l’orchestre qui évoquent tout autant l’émotion qui le gagne que l’écriture du message qu’il destine à ses filles.
Parmi les pages célèbres de la partition, signalons

  • le bel air de Sanders « La pauvre enfant ne savait pas / Qu’elle demandait mon trépas » (acte I), empreint d’une émotion simple ;
  • le délicieux trio de l’acte II « Veillons, mes soeurs » ;
  • le galant « Du moment qu’on aime / L’on devient si doux / Et je suis moi-même / Plus tremblant que vous » (Azor, acte III) ;
  • le virtuose « La fauvette avec ses petits / Se croit la reine du bocage » (Zémire, acte III) ;
  • le superbe trio du « tableau magique » (acte III, scène 6), où Sander, Fatmé et Lisbé apparaissent aux yeux de Zémire ;
  • ou encore l’émouvant dernier air d’Azor : « Le soleil s’est caché dans l’onde / Et Zémire ne revient pas ».

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Acte 1: « La pauvre enfant » (Sander) – Jean von Gorp, dir. Edgard Doneux

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Acte III : La Fauvette (Zémire) – Sophie Karthäuser, L’Orfeo Barockorchester, dir. Michi Gaigg

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Acte III : trio « Ah ! Laissez-moi la pleurer ! », dir. Edgard Doneux)

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Acte 4: « Le soleil s’est caché » (Azor) – Roland Bufkens, dir. Edgard Doneux

Pour voir et écouter l’œuvre

CD

Huguette Boulangeot, Michel Sénéchal, Bernard Lefort. The Bournemouth Symphony Orchchestra, dir. et arrangement Sir Thomas Beecham. Somm Recordings, 2011 (enregistrement live, Bath, Royal Theatre, 1955)

Mady Mesplé, Roland Bufkens, Jean van Gorp. Chœur et Orchestre de chambre de la Radio Télévision Belge, dir. Edgard Doneux. EMI, 1974.

Streaming

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Dima Bawab, Xavier Rouillon, Jacques Catalayud. Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, dir. J. Eberhardt. Mise en scène B. PIsani (2014)

Comptes rendus de représentations de ZEMIRE ET AZOR :