LES ITALIENS À PARIS (10) : Donizetti, La Favorite (1840)

Découvrez dans la rubrique Les Italiens à Paris un florilège d’opéras (du Siège de Corinthe à Don Carlos) composés par des musiciens italiens pour l’Opéra de Paris !

Grand opéra en 4 actes de Gaetano Donizetti, livret d’Alphonse Royer et Gustave Vaëz d’après Mme de Tencin et François-Thomas-Marie de Baculard d’Arnaud, créé le 2 décembre 1840 à l’Opéra de Paris.


LES AUTEURS

Le compositeur

Donizetti est né à Bergame le 29 novembre 1797, où il mourut également quelque 50 ans plus tard (le 08 avril 1848). Cette ville de Lombardie honore depuis la mémoire du musicien, avec notamment un festival qui lui est consacré chaque automne.

Avec Rossini et Bellini, Donizetti régna sur l’Europe musicale pendant la première moitié du XIXe siècle. Il s’installa notamment à Paris (en 1839), où il prit la direction de la salle Ventadour. Trois ans plus tard, il fut nommé maître de chapelle à Vienne. Il fit représenter dans la capitale française plusieurs ouvrages importants : La Fille du régiment (1840), La Favorite (1840), ou encore Don Pasquale (1843).

Extrêmement prolixe, il composa plus de 500 œuvres dont 71 opéras, parmi lesquels Anna Bolena (1830), L’elisir d’amore (1832), Maria Stuarda (1834), Lucia di Lammermoor (1835), Roberto Devereux (1837). Atteint de la syphilis, il ne peut plus composer dès 1845 et sombre progressivement dans la folie.

Pendant la première moitié du XXe siècle, on ne jouait plus guère de ce musicien que Lucia, Don Pasquale et L’elisir d’amore, avant qu’on ne se réintéresse progressivement à l’ensemble de son œuvre, notamment sous l’impulsion de Maria Callas, qui redonna à Lucia di Lammermoor ses lettres de noblesse et mit également à son répertoire Anna Bolena et Poliuto. Aujourd’hui, la fameuse « trilogie Tudor » (Anna Bolena, Maria Stuarda, Roberto Devereux) est régulièrement proposée à l’attention des spectateurs. Mais il reste encore de très nombreux opéras de Donizetti à redécouvrir, notamment en France où l’on continue de se montrer assez frileux envers ce compositeur. (Des ouvrages aussi importants que les opéras de la trilogie Tudor, Poliuto ou Belisario – entre autres – attendent toujours d’être créés à l’Opéra de Paris !)

Les librettistes

Alphonse Royer vers 1840

Après avoir effectué un long voyage en Orient, Alphonse Royer (1803-1875) devient littérateur (il est à la fois librettiste, journaliste, dramaturge, romancier, traducteur) et dirige plusieurs théâtres : l’Odéon, mais aussi l’Opéra de Paris de 1856 à 1862. Il est l’auteur d’une Histoire de l’Opéra parue en 1875, et a co-signé avec Gustave Vaëz plusieurs livrets d’opéras, originaux ou traduits de l’italien. 

Gustave Vaëz (1812-1862) est né en Belgique. Ayant reçu une formation en droit, il n’embrassera pas de carrière juridique mais se consacrera très vite à l’écriture de pièces de théâtre, créées en Belgique avant qu’il ne gagne la France où il rencontre Alphonse Royer.

Les deux hommes s’associent très vite, aussi bien pour la direction des théâtres de l’Odéon et de l’Opéra que pour l’écriture de livrets. On leur doit notamment ceux de  Lucie di Lammermoorla Favorite, JérusalemRobert Bruce, ainsi que les traductions des livrets italiens d’Othello et Don Pasquale.

Gustave Vaëz vers 1835

L’ŒUVRE

La création

La salle Le Peletier (vers 1865)

La Favorite doit sa naissance aux déboires subis par Donizetti à Paris : le compositeur avait quasi achevé la partition de L’Ange de Nisida, destinée au Théâtre de la Renaissance, lorsque celui-ci fit faillite.  Par ailleurs, la diva Rosine Stolz venait de refuser de chanter Le Duc d’Albe, composé pour l’Opéra.  Donizetti reprit donc sa partition de L’Ange de Nisida et l’adapta sur un nouveau livret, afin de fournir l’œuvre qu’attendait de lui l’Opéra de Paris. La Favorite y fut créée (salle Le Peletier) le 2 décembre 1840.  L’oeuvre, sans être un riomphe, est plutôt bien accueillie.

Les interprètes de la création

Rosine Stolz par Nadar (Léonor)
Gilbert Duprez (Fernand)
Paul Barroilhet en 1847 (Alphonse)



Les costumes de la création (Léonor, Fernand et Alphonse)

Le livret et ses sources

Résumé de l’intrigue

L’action prend place en Espagne, près de Cadix. Au monastère de Saint-Jacques de Compostelle, le jeune novice Fernand, explique au Père supérieur qu’il est tombé amoureux d’une jeune inconnue et qu’il renonce à la vie monacale afin de pour pouvoir vivre son amour. Nommé capitaine par le roi Alphonse XI de Castille, il contribue à la victoire des forces royales contre les Maures. Le roi fait venir Fernand pour le récompenser de sa bravoure. Le jeune homme demande alors l’autorisation d’épouser la femme qu’il aime, avant de découvrir, horrifié, que celle-ci (Léonor) n’est autre que la favorite du roi. Fernand, fou de douleur, brise son épée aux pieds du roi et maudit sa fiancée. De retour au monastère de Saint-Jacques de Compostelle, il s’apprête à prononcer ses vœux lorsqu’on annonce l’arrivée d’un jeune novice épuisé et très affaibli. Il s’agit en fait de Léonor, déguisée, qui supplie Fernand de lui pardonner. Le jeune homme avoue à Léonor qu’il n’a jamais cessé de l’aimer. La jeune femme meurt dans ses bras.

Comme celui de L’Ange de Nisida, le livret de La Favorite (signé Alphonse Royer et Gustave Vaëz, et revu par Eugène Scribe) est inspiré des Mémoires du comte de Comminge de Mme de Tencin (1764), ouvrage ayant rencontré un grand succès et adapté au théâtre quelques années plus tard par François-Thomas-Marie de Baculard d’Arnaud (1718-1805) : la pièce de ce dernier, Les Amants malheureux ou le Comte de Commines (un drame en trois actes en vers), paraît en 1769 et est créée en 1790. Cette pièce met en scène un homme,  le Comte de Comminges, éperdument amoureux d’une femme (Adélaïde) qui lui est refusée pour des questions de querelles familiales. Il tue le prétendant d’Adélaïde et se réfugie à l’Abbaye de la Trappe, où il devient le frère Arsène. Malgré ses vœux, son esprit reste constamment occupé par le souvenir d’Adélaïde. La jeune femme de son côté a épousé un autre homme mais elle ne l’aime pas et en vient même à souhaiter sa mort. 

Après la mort de son mari, elle se réfugie à son tour à l’Abbaye de la Trappe où elle peut côtoyer celui qu’elle n’a cessé d’aimer en se faisant passer pour un homme, le «frère Euthime». Le Duc de Comminges (ou frère Arsène) ne découvre la véritable identité du frère Euthime que pour voir sa bien-aimée expirer dans ses bras.

Ci-contre : illustration d’Augustin de Saint-Aubin pour la dernière scène des Amants malheureux de Baculard d’Arnaud.

Baculard d’Arnaud, Les Amants malheureux ou le Comte de Comminges, acte III, scène 6 et dernière

Le jeune Baculard d’Arnaud




Ce drame de Baculard d’Arnaud inspire à Gaetano Rossi le livret d’ un melodramma semiserio : Adelaide e Comingio, que Giovanni Pacini met en musique et qui est créé le 30 décembre 1817 au Teatro Re de Milan. En 1834, Donizetti s’empare de cet opéra pour composer un opéra-comique, Adélaïde, avec l’espoir de le faire représenter à Paris. Mais le projet est abandonné, avant d’être repris sous la forme d’une nouvelle œuvre : L’Ange de Nisida. Ce dernier opéra ne pouvant être créé en raison de la faillite du théâtre qui devait l’accueillir, il sera à son tour remanié pour devenir La Favorite.

La partition

Bien qu’issue pour l’essentiel d’une autre œuvre, la musique « colle » de manière étonnante au nouveau livret sur lequel Donizetti a travaillé. Mais faut-il réellement s’en étonner? Les intrigues et les situations dramatiques sont souvent très proches entre La Favorite et L’Ange de Nisida. Quoi qu’il en soit, la partition est l’une des meilleures dans le genre sérieux composée par Donizetti. Son seul (relatif) point faible réside dans le finale de l’acte III, acmé de l’œuvre sur le plan dramatique, mais qui peine à décoller musicalement.
Mais ailleurs, l’opéra compte de nombreuses beautés, les trois personnages principaux disposant chacun d’un ou de deux airs splendides, sans compter les duos entre Fernand et Léonor (celui du premier acte, « Toi, ma seule amie », et celui de la scène finale qui voit mourir l’héroïne). Leonor est, dans tous les cas, l’un des premiers et des plus touchants premiers rôles écrits pour un mezzo à l’époque romantique. Son air du 3e acte,  impressionnant de dramatisme, est un incontournable du répertoire du mezzo. 

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 » Ô mon Fernand », Vesselina Kasarova

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« Ange si pur », Juan Diego Flórez

La fortune de l’œuvre

La Favorite est jouée sans interruption à l’Opéra jusqu’en 1894. La citation de cet opéra dans La Périchole d’Offenbach en 1868  (avec le chœur « Quel marché de bassesse ») témoigne de sa grande popularité. L’œuvre se fait nettement plus rare aux XXe et XXIesiècles. En France du moins : en Italie, elle est restée plus populaire, notamment dans ses traductions italiennes. Elle quitte définitivement l’affiche de l’Opéra de Paris en 1918, et n’a connu depuis que quelques reprises sporadiques en province…  Fedora Barbieri, Giulietta Simionato, Rita Gorr, Simone Couderc, Viorica Cortez, Shirley Verrett autrefois, plus récemment Sonia Ganassi, Violeta Urmana, Vesselina Kasarova ou Elīna Garanča ont interprété le rôle-titre avec succès. 

NOTRE SÉLECTION POUR VOIR ET ÉCOUTER L’ŒUVRE (dans sa version originale française)

CD

Ketty Lapeyrette, Robert Lassalle, Henri Albers. Orchestre et chœurs de l’Opéra-Comique de Paris, dir. François Ruhlmann. 1CD Marston (extraits, 1912).

Simone Couderc, Guy Fouché, Charles Cambon. Orchestre de l’Association des Concerts Pasdeloup, dir. Jean Allain. 1CD Accord (extraits, 1954).

Gloria Scalchi, Luca Canonici, René Massis. Orchestre et chœurs de la RAI de Milan, dir. Donato Renzetti. 2 CD Fonit-Cetra (1991).

Veselina Kasarova, Ramón Vargas, Anthony Michaels-Moore. Münchner Rundfunkorchester, Chor des Bayerischen Rundfunks, dir. Marcello Viotti. 2 CD RCA (1999).

Veronica Simeoni, Celso Albelo, Mattia Olivieri. Choeurs et orchestre du Maggio Musicale Fiorentino, dir. Fabio Luisi. 2 CD Dynamic (2018).

Streaming

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Frizza, ? / Barcellona, Filianoti, Mijailovic. Las Palmas, 2002.

Lanzillotta, Aguliera / Ganassi, Osborn, Olivieri. Palerme, 2019.

DVD et Blu-ray

Kate Aldrich, Yijie Shi, Ludovic Tézier. Chœurs et orchestre du Capitole de Toulouse, dir. Antonello Allemandi. Mise en scène : Vincent Boussard. 1 Blu-ray Opus Arte (2014).

Elīna Garanča, Matthew Polenzani, Marusz Kwiecień. Chor des Bayerischen Staatsoper, Bayerisches Staatsorchester, dir. Karel Mark Chichon. Mise en scène : Amélie Niermeyer. 1 DVD DG (2016)

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