LES ITALIENS À PARIS (17) – Verdi, la version parisienne de Macbeth (1865)

Découvrez dans la rubrique Les Italiens à Paris un florilège d’opéras (du Siège de Corinthe à Don Carlos) composés par des musiciens italiens pour l’Opéra de Paris !

Verdi, Macbeth (1865)


LA CREATION

Le Théâtre Lyrique Impérial (actuellement Théâtre de la Ville) en 1862

Le Macbeth parisien est une adaptation par Verdi de son opéra Macbeth, représenté pour la première fois au Teatro della Pergola de Florence le 14 mars 1847. La création de la version française a lieu au Théâtre Lyrique Impérial  (à l’emplacement de l’actuel Théâtre de la Ville) le 21 avril 1865.  Le rôle-titre était tenu par le baryton Jean-Vital Jammes dit Ismaël, Agnès Catherine Aménaïde Balla dite Mme Rey-Balla était Lady Macbeth, Jules Bilis-Petit Banco et Jules-Sébastien Montjauze Macduff.

Les interprètes de la création

Ismaël (1825-1893), vers 1885

Mme Ray-Balla (1836-1889), photographiée par Pierre Petit

Jules-Sébastien Monjauze (1825-1877) par Marie-Alexandre Alophe

Les décors de Charles-Antoine Cambon

Acte I scène 2 (© Gallica/BnF)

Acte I scène 2 (illustration de presse; © Gallica/BnF)

Acte II (© Gallica/BnF)

Acte III (© Gallica/BnF)

LE LIVRET ET SES SOURCES

Résumé de l’intrigue

L’action se déroule dans l’Écosse médiévale et retrace de façon romancée la vie d’un personnage historique ayant régné de 1040 à 1057.

ACTE I
Dans un bois.
Des sorcières prédisent à Macbeth, seigneur de Glamis, qu’il deviendra bientôt seigneur de Cawdor, puis roi d’Écosse. Quant à Banquo, le général qui accompagne Macbeth, il sera à la tête d’une lignée de rois sans jamais être roi lui-même. À peine les sorcières ont-elles achevé leurs prophéties qu’un messager apparaît : il annonce à Macbeth qu’il est fait sire de Cawdor. Macbeth s’empresse d’envoyer à sa femme,  Lady Macbeth, un message lui annonçant ces étonnantes nouvelles.

Dans le château de Macbeth.
Lady Macbeth lit le message de son époux. Elle se promet d’aider le destin et de seconder son mari, dont elle redoute la faiblesse, dans sa conquête du trône.  Le roi Duncan doit justement passer la nuit au château. Lady Macbeth pousse son mari à l’assassiner dans son sommeil. Macbeth s’exécute, mais est aussitôt envahi par un profond sentiment de remords et de culpabilité. Lady Macbeth se saisit du poignard avec lequel Duncan a été assassiné et le place dans la chambre du roi, espérant ainsi pouvoir faire accuser les gardes du meurtre.
Le noble écossais Macduff et le général Banquo découvrent, horrifiés, le cadavre du roi. L’émoi gagne l’ensemble de la cour : tous invoquent la justice divine.

ACTE II
Le château de Macbeth.
Macbeth s’inquiète de la prédiction des sorcières, selon laquelle les fils de Banquo règneront sur l’Écosse. Il décide alors de tuer Banquo et son fils Malcolm, tandis que Lady Macbeth exulte à l’idée de voir ses ambitions satisfaites.

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Scène première
LADY MACBETH
D’où vient, Macbeth, que ton regard m’évite ?
Quel noir souci t’agite ? Laissons dormir les morts, crois-moi !…
La voix qui te promit un trône était sincère ;
Le fils du roi Duncan s’exile en Angleterre ;
Et par sa fuite il t’a fait roi !

MACBETH
Mais aux fils de Banquo, c’est l’oracle funeste,
Le trône reste !
Donc ses enfants devront régner !… Et moi !…  
Pour eux mon âme est damnée !

LADY MACBETH
Tous deux vivent ! Il est trop vrai!

MACBETH
Leur vie après tout est bornée…

LADY MACBETH
Et condamnée !…

MACBETH
Tu veux encore un crime, ô destinée !

LADY MACBETH
Le lieu ?… l’heure ?…

 MACBETH
J’attendrai que la nuit tombe.

LADY MACBETH
Tu ne seras bien roi que s’il succombe.

MACBETH
Banquo, ma main pour toi creuse la tombe!
(Il sort avec agitation)

Scène 2
LADY MACBETH
Que sur la terre
Descendent l’ombre et le mystère,
Douce lumière, fuis ! cesse de briller !
L’heure s’avance ;
Dans le silence,
S’arme et s’élance
Le meurtrier !
Le sort l’exige ! Encore un crime !
Mais la défense est légitime.
Il nous menace
Dans notre race ;
Non ! Pas de grâce !…
Devant la tombe
Tout droit succombe ;
(avec transport)
Aux morts un Requiem et puis l’éternité !
Ma gloire au loin rayonne,
Le sort enfin me donne
Le sceptre et la couronne ;
À moi la royauté !
Banquo, ton trône,
Ah ! C’est la mort,
Voilà l’arrêt du sort.

Des tueurs à gage assassinent Banquo, mais son fils Malcolm parvient à s’échapper.
Une fête est organisée en l’honneur de Macbeth, nouveau roi d’Écosse, mais elle est interrompue par le roi lui-même, hanté par des visions d’horreur : le spectre de Banquo lui apparaît sans cesse, venant lui rappeler son crime. La foule, interloquée, s’interroge ; Lady Macbeth tente vainement de rasséréner son mari ; Macduff comprend que le roi cache un « mystère redoutable » et devine sa culpabilité.

ACTE III
Les ruines d’un château dévasté par la guerre.
Macbeth décide de consulter de nouveau les sorcières. Elles lui recommandent de se méfier de Macduff, lui expliquent qu’il ne doit rien redouter d’un être humain ayant étéenfanté par une femme, et que rien ne pourra l’atteindre tant que la forêt de Birnam ne se mettra pas en marche.  Macbeth est alors rejoint par sa femme : le couple célèbre l’ « Heure de mort et de vengeance » qui approche…

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MACBETH
Hideux mystères !…
Où suis-je ?… Ô vous, sorcières,
Fuyez ! Soyez maudites pour jamais !

LADY MACBETH (accourant)
Macbeth !

MACBETH
Qui m’appelle ?
La reine… quoi ! c’est elle !

LADY MACBETH
Je te retrouve !

MACBETH
Hécate a dicté ses arrêts.

LADY MACBETH
Quels sont-ils ?

MACBETH
Crains Macduff, dit-elle !

LADY MACBETH
Après ?

MACBETH
Ne crains aucun mortel né de la femme !

LADY MACBETH
Après ?

MACBETH
Sitôt que de Birnam la forêt marchera,
Macbeth succombera.

LADY MACBETH
Après ?

MACBETH
Là… de Banquo,
J’ai vu les fils paraître.
Ils règneront !

LADY MACBETH
Mensonges ! En son tombeau
Le fils suivra l’ancêtre.

MACBETH
Périssent tous les fils,
Comme le père !

LADY MACBETH
Pour eux, jamais de grâce ! Ah ! Qu’ils soient tous maudits.
Mort à leur race entière !

MACBETH
Rien ne peut les soustraire 
À ma colère !

LADY MACBETH
Je reconnais enfin
Ta royale vaillance.

MACBETH
Heure de mort et de vengeance
Sonne et remplis la terre immense.

LADY MACBETH
Oui ! Que périsse qui m’offense,
Pour les frapper arme ton bras.
Ne tarde pas ;
Qu’enfin la mort achève
Ce que la mort a commencé,
L’arrêt fatal contre eux est prononcé.
Prends le glaive !

MACBETH
Pas de trêve !…
Vengeance ! Ne tardons pas,
Semons la mort sur nos pas !

ACTE IV
Le bois de Birnam.
Des Écossais proscrits se lamentent sur l’oppression qu’ils subissent. Macduff, quant à lui, est désespéré : il a perdu sa femme et ses enfants, assassinés par les sbires de Macbeth.  Malcolm, le fils du roi Duncan assassiné, l’exhorte au courage. Il demande à ses hommes de reprendre le combat et de le suivre en direction du château de Macbeth. Afin de pas être repérés, les soldats se dissimulent derrière des branchages qu’ils arrachent aux arbres de la forêt.

Le château de Macbeth. 
La suivante et le médecin de Lady Macbeth, terrifiés, observent leur maîtresse en proie à une crise de somnambulisme : la Lady tente inlassablement d’effacer de ses mains les taches de sang qu’elle croit y voir. À bout de forces, elle expire. 

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Scène 4
(Lady Macbeth arrive, une lampe à la main).

LE MÉDECIN
Ce flambeau dans sa main !… Mais pourquoi ?

LA COMTESSE
Cette lumière,
À son chevet toujours l’éclaire.

LE MÉDECIN
Son œil ouvert n’a rien d’humain.

LA COMTESSE
Mais elle ne voit pas.

(Lady Macbeth frotte sa main.)

LE MÉDECIN
Et que croit-elle faire ?

LA COMTESSE
Laver sa main.

LADY MACBETH
Une tache que rien n’efface !
Ah ! Va-t-en ! Horrible trace !
Une… deux… L’instant se passe !
Entre donc ! Qui te fait peur ?
Quel effroi sur ton visage ?
Es-tu lâche ? Allons ! Courage !
Comment croire qu’à son âge
Il eût tant de sang au cœur !

LE MÉDECIN
Quel aveu !

LADY MACBETH
Macduff ? Ta femme,
Où donc est-elle ? Crime infâme !

LE MÉDECIN
Ô terreur ! Ô terreur !

LA COMTESSE
J’écoute… tremblante…

LADY MACBETH
Ô main sanglante,
Comment faire pour te blanchir ?
Du sang humain ! Du sang ! Encor ! Trace maudite,
Nul parfum ne saurait jamais l’anéantir !…
Quel vain fantôme t’épouvante,
Sois donc moins pâle. Va ! La tombe est dévorante,
Et Banquo n’en peut sortir !

LA COMTESSE
Écoutez !

LADY MACBETH
Rentrons bien vite.
Quel remords trop tard t’agite !
Quelqu’un frappe. Allons, viens vite !…
Ta pâleur pourrait te trahir,
Viens, Macbeth !

LA COMTESSE
Ô terreur !

LE MÉDECIN
Comme elle doit souffrir !

(Lady Macbeth s’éloigne lentement).

On annonce à Macbeth que la forêt de Birnam avance vers le château.  Macbeth se prépare pour le combat. Confronté à Macduff, il lui annonce ne rien redouter d’un homme ayant été enfanté par une femme. Mais Macduff révèle alors avoir vu le jour sans que sa mère ait accouché : une césarienne a dû être pratiquée pour donner naissance à l’enfant.  Macduff tue Macbeth. Le peuple acclame Malcolm, proclamé nouveau roi d’Écosse.

Les sources et la traduction de Nuitter et Beaumont

Charles-Louis-Étienne Nuitter et Alexandre  Beaumont traduisent ici (sauf pour les pages nouvelles spécifiquement composées pour Paris) le livret composé 18 ans plus tôt par Francesco Maria Piave pour la version italienne de l’œuvre, créée à Florence. Piave s’inspire quant à lui de la tragédie homonyme de Shakespeare, probablement écrite dans les toutes premières années du XVIIe siècle et publiée pour la première fois en 1623.

Que penser du livret de Charles Nuitter et Alexandre Beaumont ? Privé de la musique de Verdi, le texte paraît faible et parfois quelque peu ridicule – mais ni plus ni moins que ceux de bon nombre de livrets de l’époque. Certains passages comportent ce que l’on appellera pudiquement des « vers de mirliton », telle la scène du somnambulisme :

« Une tache que rien n’efface !
Ah ! va-t-en ! horrible trace !
Une… Deux… L’instant se passe ! »

D’autres souffrent de problèmes d’accentuation, l’accent tonique italien portant traditionnellement sur la pénultième syllabe, quand le français accentue plutôt la dernière. (Il est ainsi curieux d’entendre Lady Macbeth accentuer la première syllabe de « Après » dans sa  confrontation avec le roi au 3e acte, alors qu’en italien, le « Se- » de « Segui » portera tout naturellement l’accent). Par ailleurs, la musique de Verdi met judicieusement en valeur certains mots du texte de Piave, ce que le livret français ne permet plus. Un exemple parmi d’autres : l’air de Banco s’achève par les mots « E di terror ! », répété  à l’envi (huit fois !) et culminant sur l’aigu qui, par ailleurs, conclut l’air. Autant dire que les mêmes procédés appliqués aux mots « C’est pour toi ! » (dans la version française, Banquo, qui s’adresse à son fils, termine son air sur ces mots : « Ah, si je tremble, c’est pour toi ! ») paraissent quelque peu incongrus… Enfin certains choix opérés par les librettistes sont particulièrement malheureux : ainsi, le célèbre triple cri de Macduff découvrant, dans la pièce de Shakespeare, le cadavre de Duncan (« Horror ! Horror ! Horror ! »), fidèlement conservé par Piave, a malencontreusement été remplacé par une exclamation bien plate (« Malheur ! malheur ! que faire ? »). Certains passages, en revanche, offrent une belle adéquation entre texte et musique, et font entendre des vers convenablement tournés et efficaces (les scènes écrites pour Paris, mais aussi le premier air de Lady Macbeth, ou encore le finale du premier acte, les airs de Macduff et de Macbeth au dernier acte).

LA PARTITION

© Gallica/BnF

Comment expliquer que, contrairement à Don Carlos (surtout), Jérusalem ou Les Vêpres siciliennes (un peu), Macbeth ne soit jamais proposé dans sa version française, celle qui fut créée au Théâtre-Lyrique de Paris en 1865 ? C’est précisément que cette première version ne s’est pas maintenue au répertoire : si tel avait été le cas, il est probable que les théâtres afficheraient tantôt la version originale italienne, tantôt la version française remaniée – comme c’est le cas pour I Lombardi et Jérusalem. La version parisienne s’étant avérée supérieure à l’originale, musicalement et dramatiquement, c’est elle qui est aujourd’hui constamment jouée, les pages originelles en français (l’air de Lady Macbeth au deuxième acte, le duo entre Lady Macbeth et son époux à l’acte 3) ayant été retraduites en italien.

C’est un Verdi parvenu au somment de ses moyens artistiques et musicaux (deux ans plus sera créé son chef-d’œuvre Don Carlos…) qui retravaille Macbeth pour le Théâtre Lyrique Impérial. D’assez nombreuses modifications de détail rendent l’œuvre plus efficace et plus expressive : intervention des cuivres lors des hallucinations du roi au deuxième acte, nouvelle harmonisation de l’épisode de l’apparition des 8 rois (acte 3), prélude du chœur « Patria oppressa« ,… Mais l’on observe surtout l’ajout de trois nouvelles pages essentielles : un nouvel air pour Lady Macbeth au début du deuxième acte, un ballet et un duo entre Macbeth et sa Lady à la fin de l’acte III.

Le nouvel air de Lady Macbeth, « Que sur la terre / Descendent l’ombre et le mystère » (qui sera retraduit en italien par « La luce langue, il faro spegnesi ») est une merveille d’expressivité, et traduit magistralement la psychologie noire tourmentée de la Lady. Remplaçant l’air assez schématique et traditionnel conçu pour la création (« Trionfai ! Securi alfine »), il se déploie sur un orchestre étonnamment suggestif, traduisant parfaitement l’ambiance nocturne et angoissante dans laquelle la scène prend place. Quant au chant de la Lady, il évoque magistralement, par ses lignes tantôt sinueuses, tantôt brutales et péremptoires, le plaisir intense qui la gagne à l’idée des meurtres à venir, comme son implacable détermination à les accomplir.
Le troisième acte fait entendre l’un des ballets les plus intéressants composés par Verdi,  mais aussi une nouvelle scène entre Macbeth et son épouse, venant clore l’acte, en lieu une place d’une cabalette initialement prévue pour le héros éponyme. La triple exclamation de Lady Macbeth « Mensonges ! Mensonges ! Mensonges » lance un duo d’une étonnante sauvagerie (« Heure de mort et de vengeance »), dans lequel les personnages donnent libre cours à leurs pulsions morbides.
Enfin, tout le finale de l’œuvre a également été modifié : dans la version de 1847, Macbeth, blessé, chantait avant de mourir un bref air (« Mal per me che m’affidai ») que Verdi supprima (mais qui est parfois aujourd’hui rétabli). La version de 1865 fait entendre une fugue évoquant la bataille faisant rage, suivie d’une courte prière des femmes (« Jour funèbre ! Prions pour nos fils ! ») et de l’hymne final à la victoire.

LA FORTUNE DE L’ŒUVRE

Très vite, la nouvelle version de Macbeth s’imposa, mais dans sa (re)traduction italienne. La version originale française a été reproposée par le Festival Verdi de Parme en septembre 2020. Ludovic Tézier interprétait le rôle-titre. 

POUR ÉCOUTER L’ŒUVRE

Roberto Abbado / Ludovic Tézier, Silvia dalla Benetta, Riccardo Zanellato, Giorgio Berrugi. Filarmonica Arturo Toscanini, Chœur du Teatro Regio de Parme.  2CD Dynamic (janvier 2022). Enregistré en septembre 2020 au Festival Verdi de Parme.