LA VESTALE, Spontini (1807) – dossier

Tragédie lyrique en trois actes de Gaspare Luigi Spontini, livret de Victor-Joseph-Étienne de Jouy, créée le 15 décembre 1807 à l’Opéra de Paris (salle Montansier).

LES AUTEURS

Le compositeur

Gaspare Spontini (1774-1851)

Spontini naît à Maiolati (province d’Ancône) en 1774. Il se forme au conservatoire de Naples avant de s’installer à Paris en 1803. Il y remporte de très grands succès avec La Vestale (1807) et Fernand Cortez, obtenant ainsi le soutien de l’impératrice Joséphine. Nommé directeur des Italiens en 1810, c’est notamment grâce à lui que furent données à Paris les versions originales italiennes de Don Giovanni, des Noces de Figaro et de Cosi fan tutte

Il s’installe ensuite à Berlin (1820), où il fait représenter Agnes von Hohenstauffen en 1829. Il y devient compositeur attitré de Frédéric-Guillaume III.

Il se retire dans sa ville natale en 1848, où il meurt en 1851.

Le librettiste

Étienne de Jouy (1764-1846)

Après une carrière militaire, Étienne de Jouy se fait hommes de lettres. Il est chansonnier, journaliste, critique, mais est surtout connu en tant que dramaturge (sa tragédie Sylla, créée en 1821 et dans laquelle jouait Talma, connut un immense succès), et plus spécifiquement en tant que librettiste.

Ses livrets les plus célèbres sont ceux de La Vestale (Spontini, 1807), Moïse et Pharaon (Rossini, 1827, écrit en collaboration avec Luigi Balocchi) et Guillaume Tell (Rossini, 1829, écrit en collaboration avec Hippolyte Bis). 
Étienne Jouy est également l’auteur d’un ouvrage intitulé Essai sur l’opéra (1820).

L’ŒUVRE

La création

L’Opéra de Paris en 1807 : la « salle Montansier », construite par Victor Louis rue Richelieu (alors rue de la Loi) pour Mademoiselle de Montansier, qui lui donna son nom.

Monté à l’Opéra de Paris (alors installé salle Montansier) en 1807 notamment grâce au soutien de l’impératrice Joséphine, l’opéra de Spontini remporta un véritable triomphe lors de sa création. Caroline Branchu, cantatrice adulée de Berlioz, interprétait le rôle-titre, le rôle de Licinius étant confié au ténor Étienne Lainé. Dix ans après la première, on avait déjà dépassé la centième représentation de l’œuvre, et les reprises se poursuivirent au cours du XIXe siècle, en France (Falcon et Nourrit l’interprétèrent en 1834) comme à l’étranger : Bruxelles et Vienne en 1810 ; Berlin en 1811 ; Naples, également en 1811, où Isabella Colbran et Andrea Nozzari imposèrent la version italienne de l’œuvre, qui devait progressivement supplanter la version française originale : c’est en italien que La Vestale fut en effet reprise en Italie jusqu’au XXe siècle, où une production prestigieuse en 1954 à la Scala de Milan attira de nouveau l’attention des mélomanes sur l’oeuvre (Callas y interprétait le rôle-titre, dans une mise en scène de Luchino Visconti). 

Le retour à la version originale française fut assez tardif. Riccardo Muti la proposa à la Scala en 1993, le Théâtre des Champs-Élysées en 2013, la Monnaie de Bruxelles en 2015.

Caroline Branchu (1780-1850)

Caroline Branchu dans le rôle de Julie

Étienne Lainé dans le rôle de Licinius

Le livret

Pour son livret, Étienne de Jouy s’inspire très largement d’une tragédie de Joseph-Gaspard Dubois-Fontanelle (1737-1812) : Éricie ou la Vestale, créée à Lyon en 1768, et qui connut le succès en partie grâce aux déboires que rencontra l’auteur avec la censure.

Les personnages de la pièce sont très proches de ceux du livret : une Vestale (Éricie), une Grande Prêtresse (Arélie), un Grand Pontife, un jeune soldat (Osmide). Le nœud dramatique de la tragédie est le même que celui de l’opéra de Spontini : la vestale Éricie est déchirée entre son amour pour Osmide et ses fonctions qui lui interdisent tout amour humain.

Joseph-Gaspard Dubois-Fontanelle

Arélie
[…]
Conservez ce dépôt. Songez qu’à ces autels,
La Déesse a reçu vos serments solennels.
Un murmure indiscret peut blesser l’immortelle ;
Tremblez, soumettez-vous, et soyez digne d’elle.

Éricie (seule, regardant Arélie qui s’en va)
C’est ainsi qu’on me plaint !… Ces serments odieux
Devaient-ils jamais être entendus par les dieux ?
Je les désavouais ; mon inflexible père
Ordonna de mes jours l’hommage involontaire.
Déesse, tu le sais ! Indigne, hélas ! de toi,
Pus-je t’offrir mon cœur, qui n’était plus à moi ?…
Osmide l’occupait… il le remplit encore ;
Ici même, à tes pieds, je sens que je l’adore !
Connaît-il la douleur qui m’accable aujourd’hui ?
S’informe-t-il des pleurs que je verse pour lui ?
Donne-t-il des regrets à la triste Éricie ?
M’aime-t-il ?… Ah ! ce doute empoisonne ma vie,
Je t’offense, Vesta ! mais de mon souvenir
Cinq ans entiers n’ont pu l’éloigner, le bannir ;
Étouffe, anéantis cette flamme invincible,
Arrache-moi ce cœur si tendre, si sensible,
Et qui ne fait qu’aimer.

Joseph-Gaspard Dubois-Fontanelle, Éricie ou la Vestale, ACTE I, scène 1

ACTE I
Licinius, un jeune général romain, aime Julia, une jeune fille de haute naissance. Afin de mériter sa main, Licinius est parti combattre les Gaulois. Il revient à Rome victorieux, mais apprend qu’en son absence, le père de Julia a voué sa fille au culte de Vesta, ce qui lui interdit dorénavant d’aimer quelque homme que ce soit. Licinius se désespère, mais son ami Cinna jure de tout faire pour l’aider malgré le danger que représente son amour pour une prêtresse de Vesta.
On prépare les cérémonies pour célébrer la victoire de Licinius. Julia souhaiterait rester à l’écart des festivités afin de ne pas revoir l’homme qu’elle n’a cessé d’aimer, mais la Grande Vestale lui dit qu’elle devra remettre elle-même la couronne du vainqueur à Licinius. Alors que Julia remet à Licinius la couronne de lauriers, le général murmure à sa bien-aimée qu’il lui rendra visite cette même nuit dans le temple dont elle a la garde.

ACTE II
Dans le temple de Vesta, Julia veille sur le feu sacré tout en déplorant son sort et en invoquant la pitié des dieux. Licinius la rejoint et lui demande de s’enfuir avec lui. Julia refuse, avant de constater que, pendant leur entretien, le feu sacré s’est éteint… Les Romains, s’étant aperçu que le temple avait été profané, s’approchent furieux. Cinna fait irruption et somme Licinius de se sauver. Les deux jeunes gens s’enfuient mais jurent de revenir pour sauver Julia.
Julia avoue qu’elle est coupable d’avoir laissé le feu s’éteindre, mais refuse de donner le nom de l’homme qui l’a rejointe dans le temple. Le Souverain Pontife ordonne qu’on la dépouille de sa robe de vestale.

Esquisse de décor de l’acte III, tableau 1 : le champ d’exécration / Pierre-Luc Charles Cicéri (1821) – © Gallica / BnF

ACTE III
Cinna a réussi à rassembler quelques hommes prêts à combattre avec lui et Licinius pour libérer Julia. Mais avant d’en venir à cette extrémité, il demande à Licinius d’essayer d’obtenir la grâce de Julia. Le général avoue alors au Souverain Pontife qu’il est l’homme ayant profané le temple et demande à être tenu pour seul responsable des événements. Mais rien n’y fait : Julia, condamnée à être emmurée vivante, est conduite au tombeau. Seule une intervention divine pourrait la sauver : il faudrait pour cela que sa robe de vestale, déposée sur l’autel, s’embrase…
Les hommes de Licinius et Cinna se préparent pour la bataille. Les soldats du Souverain Pontife sont également prêts à combattre, lorsqu’un terrible orage éclate : la foudre frappe la robe de Julia, qui s’enflamme instantanément. Licinius et Cinna ouvrent le caveau et ramènent Julia évanouie à la lumière du jour. La jeune fille est pardonnée et le Souverain Pontife la libère de ses vœux : plus rien ne s’oppose dès lors à ce qu’elle épouse l’homme qu’elle aime.

La partition

L’importance de La Vestale dans l’histoire de l’Opéra est extrême : jalon essentiel sur la route qui conduit du classicisme au romantisme, elle mêle à la dignité et au hiératisme gluckiens (noblesse de la déclamation, puissance dramatique des récitatifs, expressivité de l’orchestration) un lyrisme italien qui annonce parfois par certains côtés le bel canto romantique : le grand air de Julia au second acte, qui fait se succéder une supplication ample et noble (« Toi que j’implore avec effroi, / Redoutabe déesse ») et une partie très agitée (« Impitoyables dieux ! ») où le chant de l’héroïne exprime un désespoir intense, souligné par l’accompagnement particulièrement violent et heurté de l’orchestre, annonce plus ou moins certaines scènes de folies romantiques. Quant au cantabile de la prière « Ô des infortunés », il n’a, en termes de noblesse et de pathétisme, rien à envier aux plus belles cantilènes belliniennes. De fait, la similitude esthétique et thématique existant entre La Vestale et Norma a été soulignée depuis longtemps par les critiques et commentateurs… Quant à l’orchestre, il fait entendre une densité et un dramatisme qui suscitèrent une immense admiration de la part de Berlioz.

https://www.youtube.com/watch?v=SUXtsEmTUAM

« Toi que j’implore » par Maria Casula (1877)

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« Ô des infortunés » par Renata Scotto (1989)

JULIA (seule)
Toi que j’implore avec effroi,
Redoutable déesse,
Que ta malheureuse prêtresse
Obtienne grâce devant toi !
Tu vois mes mortelles alarmes,
Mon trouble, mes combats, mes remords, ma douleur,
Laisse-toi fléchir par mes larmes,
Étouffe ma funeste ardeur.
(Elle se lève, monte sur l’autel, et attise le feu)
Sur cet autel sacré, que ma prière assiège,
Je porte en frémissant une main sacrilège.
Mon aspect odieux
Fait pâlir la flamme immortelle :
Vesta ne reçoit point mes vœux,
Et je sens que son bras me repousse loin d’elle.
(Elle parcourt la scène d’un pas égaré.)
Eh bien ! Fils de Vénus, à tes vœux, je me rends!
Où vais-je ? ô ciel! et quel délire
S’est emparé de tous mes sens ! …
Un pouvoir invincible à ma perte conspire;
Il m’entraîne, il me presse. Arrête, il en est temps;
La mort est sous tes pas, la foudre sur la tête …
(avec délire)
Licinius est là ! Quoi, je puis le revoir,
L’entendre, lui parler; et la crainte m’arrête ?
Non, je n’hésite plus ; l’amour, le désespoir,
Usurpent dans mon cœur une entière puissance.
N° 9  Ai r
Impitoyables dieux !
Suspendez la vengeance,
Que le bienfait de sa présence
Enchante un seul moment ces lieux !
Et Julia, soumise à votre loi sévère,
Abandonne à votre colère
Le reste infortuné de ses jours odieux.
L’arrêt est prononcé, ma carrière est remplie : Viens,
mortel adoré, je te donne ma vie !

JULIA
Ô des infortunés, déesse tutélaire!
Latone, écoute ma prière ;
Mon dernier voeu doit te fléchir :
Daigne, avant que j’y tombe,
Écarter de ma tombe
Le mortel adoré pour qui je vais mourir ! . . .

Voici l’une des plus belles versions de la prière « Ô des infortunés » jamais gravées : il s’agit d’un enregistrement de Rosa Ponselle datant de 1926, dont, de toute évidence, une certaine Maria Callas avait connaissance… L’air est ici chanté dans sa version italienne. 

https://www.youtube.com/watch?v=vU80147lnoU

NOTRE SÉLECTION POUR VOIR ET ÉCOUTER L’ŒUVRE

CD

Kreder / Mazella, Mollien, Grancher, Vessieres. Extraits. (Orchestre Radio-Lyrique et choeurs de la RTF, live, 1964) – 1 CD Gala

Norrington / Le Bris, Denize, Dumé, Méloni (Orchestre Radio-Lyrique et chœurs de la RTF, 1976) – 2 CD Ponto)

Kuhn / Plowright, Araiza (Müncher Rundfunkorchester, Chor des Bayerischen Rundfunks, 1992) – 2 CD Orfeo

Muti / Huffstodt, Michaels-Moore, Raftery, Graves, Kavrakos (Chœur et orchestre de la Scala, 1993) – 3 CD Sony

Rousset / Rebeka, de Barbeyrac, Christoyannis, Extrémo, Courjal (Les Talens lyriques, Flemish Radio Choir, 2023) – 2 CD Palazzetto Bru Zane

Streaming

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Rhorer – Lacascade / Jaho, Uria Monzon, Richards (Théâtre des Champs-Elysées, 2013)

COMPTES RENDUS

CD

Rousset / Rebeka, de Barbeyrac, Christoyannis, Extrémo, Courjal (Les Talens lyriques, Flemish Radio Choir, 2023) – 2 CD Palazzetto Bru Zane

Spectacles